Les mystères du collège/V

La bibliothèque libre.
Gustave Havard (p. 56-61).


V


LE SALON-PARLOIR

À une certaine heure de l’après-midi, et c’est le plus ordinairement à quatre heures et demie, le salon-parloir est ouvert aux parents qui viennent voir les élèves.

Là se trouve un pêle-mêle d’élèves et de parents, une sorte de confusion qui n’est pas sans intérêt, sans charme aux yeux de l’observateur ; il y découvre et dans les élèves et dans les parents, de ces nuances qu’un œil exercé et un esprit fin peuvent seuls saisir. En un mot, le salon-parloir donne une idée assez complète et des élèves qui composent le collège, et des familles auxquelles ces élèves appartiennent.

Là se rencontrent des personnes de toutes les conditions ; les portes du collège sont ouvertes à tous… à tous ceux qui ont le moyen de payer 1000 ou 1200 francs de pension, bien entendu. À un peu plus loin l’amélioration sur ce point-là.

Disons tout d’abord que dans ce salon est placé un tableau indicatif des élèves qui ont obtenu les premières places dans leurs études.

Oh ! c’est là que vont d’un pas rapide presque toutes les personnes qui se rendent dans ce lieu.

Entrent M. Renard, avocat, sa femme, et Amélie, sa jeune fille. Vite ils vont tous trois regarder au fameux tableau… Le nom de Maurice Renard, contre l’ordinaire, n’y figure pas. « Oh, oh, dit le père, mon fils se relâche dans ses études. Diable ! je ne suis pas content ; qu’est-ce que cela veut dire ? Ah ! mon père, ne te fâche pas, Maurice te récompensera la première fois… » En ce moment même le collégien Maurice arrive en courant, et du seuil de la porte du salon, à son père, il ne fait qu’un saut. — Il a une énorme tranche de pain sec à la main. — il saute au cou de sa mère et de son père, et serre sa jeune sœur dans ses bras.

Son père, d’un œil sévère, lui montre le tableau où son nom est absent.

« Ah ! mon père, dit Maurice, cette fois-ci j’ai été dépassé par un camarade, et ma foi, si tu veux que je te le dise, je n’en suis pas fâché… c’est mon meilleur ami… Nous nous promettons tous les jours de nous aimer toute la vie… Il n’y a qu’une chose qui nous attriste de temps en temps, c’est que Ferdinand veut être marin, et que moi je veux, comme toi, être avocat. Quand il sera sur mer, moi je ne serai pas à ses côtés… Enfin, nous n’y sommes pas encore, et en attendant, nous travaillons ensemble… — C’est très-bien, dit le père… — Oui, nous travaillons ensemble au plus joli petit vaisseau que l’on puisse voir… Tu verras, Amélie, dit-il à sa sœur, comme il figurera bien sur la




petite commode de ta chambre… là… placé en face de ta glace. Au lieu d’un on en verra deux… Il est presque fini… oui vraiment… et je te le porterai à ma première sortie. »

Pendant que Maurice parlait ainsi, son père est resté sombre et écoutait d’un air préoccupé. Puis, montrant le fameux tableau, il dit : « Mais ton nom n’est pas là… » Maurice, dont les dents étaient restées un instant dans l’inaction, avait amplement mordu dans sa tranche de pain sec et se dépêchait d’en finir pour répondre à son père.

Au même moment arrivent M. Bouvier, boulanger, et sa femme. Ils viennent voir leur fils Ferdinand, le bon ami de Maurice. Moins inquiets que beaucoup de parents d’une autre profession, ceux-là, par exception peut-être, ne sont pas allés regarder au tableau.

Ferdinand, qui avait été prévenu de l’arrivée de son père et de sa mère, se rend au pas de course auprès d’eux.

« Ah ! te voilà futur marin, lui dit son père en le serrant dans ses bras… Ça veut pourtant être marin, ajoute-t-il,




en regardant quinze ou vingt personnes qui étaient là présentes, comme si toutes avaient été de sa connaissance. »

Madame Bouvier, en embrassant son fils, était restée triste. « Marin ! se disait-elle en elle-même, mais quelle idée !… Je le vois déjà en pleine mer… une tempête éclate… le danger est grand et c’est mon fils qui commande le vaisseau… Non, non, bannissons cette idée… je ne veux pas y croire… je suis sa mère ! »

Pendant ce moment, Maurice disait à son père, à sa mère et à sa sœur : « Le voilà mon bon Ferdinand ! a Puis, allant prendre la main de M. Bouvier : « Et voilà son père ! Oh ! quel brave homme, et comme les pains de gruau qu’il nous apporte sont excellents !.. En avez-vous dans vos poches aujourd’hui ? — Je crois bien que j’en ai, répond M. Bouvier, et des bons encore ! … Ils sont cuits de la nuit. »

À ce mot, la jeune Amélie souriait gracieusement, et madame Renard disait à son mari : « Ma foi, il a l’air d’un bien brave homme ! — Oui, certainement, répond M. Renard. »

Après que M. Bouvier et sa femme eurent prodigué leurs caresses à Ferdinand, M. Bouvier frappant le parquet de sa canne, se mit à dire : « Ah ! ça, monsieur le marin, travaillez-vous bien, les maîtres sont-ils contents de vous ? C’est que voilà l’important de l’affaire !

-Tenez, s’écria Maurice en s’élançant vers le tableau, voyez, c’est très-lisible : Ferdinand Bouvier, le premier de sa classe. C’est joli, j’espère, ça ! » Et, en ce moment, il l’enlaça de ses bras.

Le jeune Ferdinand, très-ému, se rend auprès de sa mère et de son père.

« Vous êtes donc bien contents que j’aie été le premier de maclasse ?… Eh, mais oui, dit M. Bouvier. Tiens, après ta santé, c’est à ça que je m’intéresse le plus. » Ferdinand prend la main de son père, celle de sa mère, et les tirant à l’écart : « Vous voyez bien Maurice… là… celui qui m’appelle son ami ; eh bien c’est lui qui, en secret, me corrige mes leçons, et il m’a dit : « Tiens, Ferdinand, je veux que nous ayons une bonne place chacun à notre tour… » — Comment, il a fait ça pour toi…Vite, vite, que j’aille remercier son père de ce que le ciel lui a donné un pareil fils… Chut ! mon père, dit Ferdinand en le retenant par le bras, c’est un secret, et si l’on savait… Chut ! chut ! mon père. »

Ce bon M. Bouvier et sa femme étaient émus aux larmes.

Maurice, qui s’était bien aperçu de quelque chose, se mit au milieu des deux familles et dit : « Mais les provisions, où sont-elles donc ? Les confitures, le beurre, le miel, les fruits et les pains de gruau de M. Bouvier ? »

La mère de Maurice et celle de Ferdinand donnent de tout cela et amplement à leurs enfants : de tendres adieux leur sont faits, et nos deux jeunes collégiens se partagent confitures, beurre, etc.

« Adieu, Maurice, dit encore M. Renard à son fils ; et la première fois que je viendrai… — Je serai le premier… ce sera à mon tour de l’être, mon père. »