Les nègres de l’Afrique sus-équatoriale Senégambie, Guinée, Soudan, Haut-Nil/Avant-propos

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Lecrosnier et Babé (p. ix-xiv).

AVANT-PROPOS

On rencontre des populations de peau noire, ou noirâtre, en Afrique, en Asie, en Océanie.

Dans cette dernière partie du monde, ce sont les Papous de la Nouvelle-Guinée, les naturels des îles Viti, ceux de la Nouvelle-Calédonie, les Australiens.

En Asie, ce sont entre autres les Dravidiens du sud de l’Inde, les indigènes des îles Andaman.

Dans l’Afrique méridionale, ce sont les noirs bantous, qui occupent le Congo, le Benguela, tout le centre du continent, les pays de Zanzibar, du Zambèse et la Cafrerie proprement dite. Dans l’Afrique sus-équatoriale, ce sont les nègres de la Sénégambie, de la Guinée, du Soudan, du haut Nil.

C’est de ces derniers (Sénégambiens, Guinéens, Soudaniens, Nilotiques) que nous parlerons dans ce livre. On peut dire, d’une façon générale, qu’ils forment un ensemble ethnique.

À la vérité, leurs voisins du sud, les noirs bantous, doivent être, eux aussi, considérés comme des nègres, mais un certain nombre de caractères les dissocient. des peuples nigritiques sus-équatoriaux. Pris dans leur ensemble, ils appartiennent généralement à un type plus élevé.

Parmi les principaux caractères qui différencient du nègre de l’Afrique septentrionale (Sénégambie, Soudan, etc.) le noir de l’Afrique du sud (Congo, région des lacs, Cafrerie, etc.), nous noterons sommairement les suivants.

Chez les noirs du sud, la forme générale du visage est, pour l’ordinaire, moins bestiale que dans le nord ; les traits sont moins dissemblants des nôtres. L’ovale de la figure est assez prononcé ; le nez est loin d’être toujours épaté, parfois même il est plus ou moins convexe ; les lèvres sont fortes, mais point à l’excès, comme c’est le cas chez les noirs du nord ; le cheveu est laineux, mais moins grossier ; la barbe, sans être fournie, est plus développée ; le mollet est mieux indiqué, la peau est moins foncée. Les Bantous sont des nègres métissés, qui l’emportent sur leurs voisins du nord par une civilisation plus développée.

Cette distinction rapidement établie entre les populations nigritiques du nord et du sud de l’Afrique, indiquons l’habitat géographique des nègres proprement dits, des noirs sus-équatoriaux auxquels cette étude est consacrée.

Toute la partie septentrionale de l’Afrique est habitée par des Sémites (Arabes) et des Berbers : ceux-ci beaucoup plus nombreux que les premiers et les ayant précédés de longtemps dans l’occupation de cette contrée.

Vers l’ouest, c’est-à-dire du côté de l’Atlantique, c’est aux environs du vingtième degré de latitude septentrionale que les populations à peau blanche avoisinent les peuples noirs.

Ces blancs qui, au nord-ouest, confinent des populations nigritiques de la Sénégambie, sont les Maures, voisins extrêmement redoutables, qui vivent de rapines et de brigandage. Caillié, Mollien, Mungo Park, Cochelet, Raffenel, Douls, tous les voyageurs qui ont été en contact avec eux ont tracé des Maures un triste tableau. Le Maure, dit Raffenel, est à l’homme civilisé ce que le chat-tigre est au chat domestique. À la saison des basses eaux, les Maures ne manquent point de passer les rivières qui les séparent des noirs sénégambiens et ils se livrent alors à un pillage effréné. Les malheureux noirs fuient le plus souvent, sans résister, devant ces redoutables incurseurs dont la vaillance et l’audace sont légendaires.

Si nous continuons à suivre vers l’est la frontière qui sépare les nègres de leurs voisins du nord, nous voyons que ces voisins sont les Touaregs, population berbère nomade qui parcourt une grande partie du Sahara. « La ligne qui sert aujourd’hui de limite entre la race blanche et la race noire dans l’Afrique occidentale, dit Faidherbe, passe par le point le plus septentrional du cours du Sénégal, et par le point le plus septentrional du cours du Niger (Dhioliba) à Tombouctou ; mais entre ces deux points, cette ligne s’incline vers le sud, comme le cours même de ces rivières, et descend jusque vers le quinzième degré de latitude. » Au nord du lac Tchad le pays nigritique s’étend, avec le territoire des Tibbous, jusqu’à 26° de latitude, borné à l’ouest par des nomades berbers, à l’est par des nomades arabes.

Quant à la limite orientale, c’est le pays du haut Nil et l’Abyssinie, le territoire des Gallas. Du côté de l’orient les nègres proprement dits ne touchent donc pas à la côte de la mer Rouge ou de la mer des Indes.

Au sud, ils dépassent un peu la ligne équatoriale ; leur frontière extrême au sud-est est la contrée des grands lacs.

C’est, au total, une immense région, comprenant de l’ouest à l’est environ cinquante degrés, et quinze du nord au sud.

Dans tout ce pays la race est loin d’être homogène ; un peu d’expérience fait aisément distinguer les unes des autres la plupart des populations nigritiques. Il faut ajouter, d’ailleurs, que nombre de peuplades noires sont aujourd’hui extrêmement métissées. Ce que nous disons ici vaut particulièrement pour les nègres de l’est : ceux qui habitent au nord et à l’est du lac Tchad, ceux du Darfour, du haut Nil et des environs du lac Victoria ont dans les veines une part de sang qui n’a rien de nigritique. C’est ce que nous exposerons plus loin, lorsque nous aurons à parler des habitants de ces pays.

Il ne faut pas oublier, d’autre part, qu’au cœur même du pays des nègres, occupant une grande partie de la région située entre le lac Tchad et l’Atlantique, a pénétré et s’est installée une population conquérante de race rouge, les Peuls, ou Pouls, originaires de l’est, et qui n’ont rien de commun avec les races au milieu desquelles ils se sont violemment établis. Le territoire des Peuls, qui a une longueur d’environ cent cinquante lieues, est coupé à mi-chemin par le Niger. La population peule est incontestablement supérieure à celle des noirs ; partout où elle a rencontré cette dernière, elle lui a fait subir son influence, et, au point de vue ethnique, nombre de peuplades métisses se forment aujourd’hui grâce au mélange des deux races, la noire originaire et la rouge envahissante.

Quelques mots, maintenant, sur l’ordre que nous suivrons dans cet exposé sommaire.

Nous parlerons, en premier lieu, des nègres du nord-ouest, soit des Sénégambiens et de leurs voisins immédiats, c’est-à-dire des populations du Haut-Niger. En second lieu nous traiterons des Guinéens. En troisième lieu nous nous occuperons des Soudaniens ; enfin des noirs du haut Nil.

Le système d’exposition le plus clair nous a paru devoir être celui des monographies successives, et c’est à ce système que nous nous sommes arrêté : monographie des Wolofs, monographie des Sérères, monographie des Féloups, et ainsi de suite. Nous reconnaissons volontiers qu’une certaine uniformité peut résulter de l’adoption de ce plan, mais pour les personnes pressées de trouver un renseignement, une information, sur tel ou tel des peuples dont il est ici question, il a le grand avantage de faciliter les recherches.

En manière de conclusion, nous ferons suivre ces différentes monographies d’un résumé sociologique qui permettra d’embrasser d’un coup d’œil général l’ensemble de tout le sujet.