Les périodes végétales de l’époque tertiaire/9
LES PÉRIODES VÉGÉTALES
DE L’ÉPOQUE TERTIAIRE.
Le groupe immense des chênes se partage actuellement en un certain nombre de sections, d’autant plus difficiles à définir que les particularités qui les séparent se trouvent basées sur des caractères d’une faible valeur intrinsèque, ou se réduisent même à de simples nuances, dont quelques-unes pourtant ont assez de fixité pour reparaître dans une foule d’espèces et servir par conséquent à les grouper. La configuration des styles, la maturité annuelle ou bienne du fruit ; l’apparence, la consistance et le mode d’agencement des écailles de la cupule ; le sommet mu tique ou mucronulé des lobes de la feuille, telles sont les principales de ces notes différentielles, et l’on conçoit que les espèces ou les races qui témoignent par la similitude absolue de ces particularités organiques de leur étroite parenté, puissent être considérées comme sorties originairement d’une même souche, qui se serait ensuite ramifiée à travers les siècles, en conservant intacts les détails de structure que possédait en propre le prototype dont elles seraient issues.
Les sections actuelles les mieux définies correspondraient ainsi à autant d’entités primitives ou races-souches dont les races modernes, décorées ou non du titre d’espèces, ne seraient réellement que des variétés ou formes dérivées. Mais alors il devient évident que les caractères de section n’ont acquis l’importance qui leur est maintenant dévolue, qu’à raison même des résultats d’une descendance commune, grâce à laquelle ces caractères ont pu se maintenir définitivement chez tous les rejetons de la souche qui les présentait originairement. Chacune de ces souches typiques a dû nécessairement exister d’abord à l’état de race et, dans ce premier état, on conçoit qu’elle ait été associée à d’autres types semblables, mais chez lesquels les caractères, arrêtés postérieurement par les effets de l’hérédité et devenus ainsi caractères de section n’avaient encore acquis ni la même importance, ni la même fixité. On voit par là que si quelques-unes de ces espèces primitives ont pu, en se dédoublant, donner naissance aux principales sections actuelles, d’autres ont dû périr sans laisser de descendants, et d’autres enfin ont pu, au contraire, arriver jusqu’à nous en demeurant faibles, isolées, pourvues de caractères variables ou ambigus, qui ne permettent de les ranger dans aucune des sections existantes ; conséquence des plus naturelles, puisque ces espèces dateraient d’un temps où les sections que nous connaissons n’étaient pas encore définitivement constituées. Il s’ensuit encore que l’aspect des formes comprises dans ces mêmes sections a dû beaucoup varier ; elles sont allées en se compliquant et se diversifiant, par le fait même du mouvement de ramification, au moyen duquel elles n’ont cessé de s’étendre et de se développer. Au contraire, les types isolés et peu féconds, à raison même de ce défaut de plasticité, ont dû garder à peu près intacts les traits de leur physionomie antérieure, soumise aux effets d’une variabilité bien plus restreinte.
La marche que je viens d’esquisser a dû être celle du règne végétal presque entier, dès que l’on admet les lois de l’évolution ; mais elle est surtout applicable au groupe des chênes, et c’est pour cela que ceux de la flore aquitanienne, qui se rattachent à un temps où le genre lui-mème commençait à obéir à un mouvement d’expansion, ressemblent soit à nos chênes verts qui touchent aux Cerris, d’une part, aux Lepidobalanus, de l’autre ; soit au Quercus virens d’Amérique, type aujourd’hui très-isolé, qui se rapproche également des Lepidobalanus et des Erythrobalanus du groupe des aquatica, par l’intermédiaire d’une race hybride fort curieuse, le Q. heterophylla Michx. La figure 2 aidera mieux que le raisonnement à saisir le point de vue que j’ai cherché à établir.
J’ai déjà cité le Q. elæna Ung. comme ressemblant au Q. phellos et au Q. virens Ait. ; il reparaît dans l’aquitanien à Manosque, à Bonnieux et ailleurs. Les Q. divionensis Sap. et proveclifolia Sap. (fig. 2, n° 1) reproduisent le type des Q. imbricaria et laurifolia d’Amérique ; il en est de même du Q. Lyelli Hr. des lignites de Bovcy-Tracey. Le Q. larguensis Sap., de Manosque, présente des feuilles irrégulièrement lobées comme celles du Q. polymorpha Cham. et Schl., du Mexique. Le Q. Buchii Web. (fig. 2, n° 2) ressemble évidemment au Q. heterophylla Michx. et au Q. aquatiça Michx., espèces américaines dont les feuilles sont tantôt caduques, tantôt semi-persistantes. Enfin, le Q. mediterranea Ung. (fig. 2, nos 5-9), de Coumi, retrace fidèlement les traits du Q. pseudococcifera Desf., race ambiguë et jusqu’à présent imparfaitement connue, qui se place entre les Q. ilex et coccifera, qu’elle sert à relier entre eux.
Il existe encore à cette époque de nombreuses Rhamnées, des Juglandées, soit du type ordinaire, soit du type des Engelhardtia asiatiques, quelques Pomacées comparables à notre buisson ardent ou Mespilus pyracantha L., et, parmi les Légumineuses, des Cercis, des Calpurnia, des Casses, des Cæsalpiniées, des Acacia. Je dois signaler, en terminant cette revue nécessairement incomplète, une curieuse espèce de Gymnocladus que son fruit ouvert en deux valves applaties et d’une remarquable conservation range auprès du G. chinensis Baill. (fig. 5), récemment signalé aux environs de Shang-Haï. Les Gymnocladus ne comprennent d’ailleurs, dans la nature actuelle, que les deux seuls G. chinensis et canadensis, séparés par de grands espaces intermédiaires. Les types qui se trouvent dans cette situation ont généralement chance d’être rencontrés à l’état fossile ; leur disjonction actuelle étant un indice de leur ancienneté relative et de leur extension à un moment donné des âges antérieurs.
Si l’on rapproche la flore de Coumi, localité aquitanienne située dans l’ile d’Eubée, sous le 38e degré parallèle, des flores également aquitaniennes de la région de l’ambre (54° lat.), et de Bovcy-Tracey, dans le Devonshire (51° lat.), on est immédiatement frappé des ressemblances qui relient les trois localités, et qui démontrent évidemment une très-grande uniformité de conditions climatériques pour l’Europe entière, dans l’Age dont ces flores ont fait partie. Partout, les mêmes formes dominantes et caractéristiques reparaissent ; partout les masses végétales sont accentuées de la même façon, et le résultat ne changerait pas, si l’on joignait à ces dépôts dispersés aux extrémités de l’Europe celui de Manosque en Provence.
Les Séquoia, Taxodium, Glyptostrobus, parmi les Conifères ; les aunes du type orientalis et subcordata, certaines Myricées (Myrica banksuefolia Ung., M. hakeæfolia Ung., M. Iævigata Hr.) ; des Laurinées, particulièrement des camphriers, des Andromeda du groupe des Leucolthoc persistent à se montrer partout en première ligne et dominent évidemment dans les divers ensembles. Il serait pourtant inexact de croire que l’influence de la latitude fût alors de nul effet. La région de l’ambre, vers les bords de la Baltique actuelle, est la plus septentrionale de toutes les localités aquitaniennes ; les camphriers (fig. 4), qui maintenant ne végètent en plein air que sur les points les plus abrités du littoral méditerranéen, y abondent, il est vrai ; mais, d’autre part, on y remarque l’absence, jusqu’à présent absolue, des Palmiers. Il s’y montre seulement une plante à large feuille du groupe des Scitaminées, peut-être une Zingibéracée ; mais on y observe en revanche de nombreux Smilax, des pins variés du type de nos laricio, une sorte de Nerium (Apocynophyllum elongatum Hr.), plusieurs Myrsine et Leucothoe, et enfin une Rubiacée très-curieuse (Gardénia Wetzleri Hr.), reconnaissable à ses fruits et que l’on voit reparaître à Bovey-Tracey, ainsi que sur les bords du Rhin (Bonn).
Les lignites de Bovey, dans le Devonshire, marquent à peu près la limite boréale des Palmiers, lors de l’aquitanien ; cette limite coïncidait avec le 52e degré lat. M. Heer a signalé dans cette localité des vestiges qu’il rapporte sinon avec certitude, du moins avec probabilité à la spathe, hérissée d’épines à la surface, ou enveloppe protectrice de l’appareil fructificateur d’un palmier de la section dos Calamées (Palmacites doemonorops, Hr.). Il faut de nos jours aller jusque dans l’Inde ou dans l’Afrique intérieure pour rencontrer des Palmiers-Rotang à l’état spontané.
Le Sabal major se montre un peu plus au sud dans les lignites de Bonn, par 50°,45’de latitude. Ces lignites fournissent d’autres exemples de plantes vraiment tropicales, entre autres les folioles d’un Mimosa ou sensitive, plusieurs Acacia, une Araliacée aux feuilles digitées, une Dombeyée, etc. Par contre, à ces végétaux se joignent des ormes, des érables, des frênes, mélange inévitable à l’époque que je considère.
En continuant à descendre vers le sud, on rencontre, non loin de Dijon, les calcaires concrétionnés de Brognon, dont les blocs sont pétris de débris végétaux ; leur étude offre d’autant plus d’intérêt qu’il s’agit, non pas d’une formation marécageuse comme celle des lignites, mais d’une collection de plantes ayant servi d’entourage à des eaux limpides et jaillissantes. Un palmier à très-larges frondes, le Flabellaria latiloba, signalé également dans la mollasse rouge inférieure des environs de Lausanne, est ici l’espèce dominante ; une belle fougère, Lastræa (un Cyathea ?) Lucani. Sap., qui était peut-être arborescente, accompagne le palmier ; elle croissait au bord des eaux, non loin d’un groupe de chênes à feuilles saliciformes (Quercus provectifolia, Sap., Q. divionensis, Sap.), près d’un figuier, d’un jujubier, d’un laurier, et ces divers arbres se mariaient à un gainier (Cercis Tournoueri, Sap.) (fig. 5), dont les feuilles ont été moulées en grand nombre par la substance calcaire incrustante que les eaux aquitaniennes, probablement thermales, tenaient en dissolution.
Nous avons ainsi un tableau abrégé et partiel, saisi au coin d’un bois, une échappée du paysage auquel ne manque aucun trait essentiel et qu’anime le fracas des eaux se précipitant en flots écumeux.
Le paysage devient tout autre, si l’on veut suivre le professeur Hcer aux environs de Lausanne, et lui demander l’esquisse de la contrée aquitanienne qui occupait la place du canton de Vaud. Rien de plus frais, de plus calme, de plus opulent et de plus varié à la fois ne saurait se concevoir. Je ne puis mieux faire que de répéter les détails et d’emprunter jusqu’aux expressions dues à la plume du savant professeur de Zurich[1]. — Un lac s’étendait alors dos environs de Vevey à ceux de Lausanne. Sur ses bords on voyait se profiler les frondes en éventail des Sabals et des Flabellaria, et les longues palmes du Phœnicites. Plus loin, les lauriers, les figuiers, les houx, certains chênes mêlaient leur feuillage ferme, lustré ou d’un vert sombre et mat, aux branches opulentes, déployées en masses profondes, des camphriers et des canneliers. Les acacias aux rameaux tordus et aux fines folioles se détachent gracieusement sur le miroir des eaux ; des fougères grimpantes à la tige flexible et déliée, des salsepareilles entrelacées aux rameaux des arbres dont elles étreignent le tronc : plus loin, des érables plantureux complètent le rideau que forme autour du lac une lisière continue de végétaux. À la surface de l’eau s’épanouissent les feuilles du Nymphœa Charpentieri, Hr., associé au Nelumbium Buchii, Les laiches à grandes feuilles, les souchets, de grands roseaux s’élèvent du sein des eaux, tandis que dans le fond paraissent d’autres palmiers de formes diverses et même une broméliacée épiphyte, plante à physionomie exotique, dont la présence n’exclut pas celle d’un grand noyer, d’un aune et d’un nerprun, peu différents de ceux que nous avons sous les yeux. — M. Heer estime qu’il faudrait maintenant rétrograder de 15 degrés plus au sud pour avoir la possibilité d’obtenir un ensemble pareil à celui dont les vestiges ont été recueillis aux environs de Lausanne.
Manosque n’offre rien de plus méridional dans l’aspect. Les débris de végétaux que cette localité nous a conservés, consistent principalement en feuilles et en fruits légers ou en semences ailées, qui paraissent avoir été entraînes au fond des eaux où se formait le dépôt, surtout par l’impulsion du vent combinée avec l’action d’un faible courant à son embouchure. Le lac était considérable ; il mesurait au moins 60 kilomètres, de Peyruis aux alentours de Grambois, non loin de Pertuis ; il semble que l’endroit qui a fourni la majeure partie des empreintes, et qui se nomme le quartier du Bois-d’Asson, point situé entre Dauphin et Volx, ait été jadis à proximité d’un puissant escarpement montagneux, dont le rocher secondaire de Volx serait un dernier débris. Une végétation fraîche et d’un caractère relativement moins méridional aurait recouvert les flancs tournés au nord de ce grand massif (fig. 1). La flore de Manosque, comme celle des gypses d’Aix, renferme deux catégories juxtaposées de végétaux ; mais ici les deux catégories, bien que toujours inégales, se balancent mieux. D’un côté, sont de rares débris de Palmiers, des Séquoia, des Glyptostrobus, des Myricées à feuilles allongées, coriaces et dentées, des Diospyros, des Leucothoe, une foule de Laurinées, des ailantes, des Légumineuses variées et d’affinité subtropicale ; de l’autre, paraissent des aunes et des bouleaux, des hêtres et des charmes, des peupliers et des saules, des frênes et des érables, quelques pins ; moins abondants comme nombre et comme fréquence, que les arbres de la première catégorie, et dont les dépouilles entraînées des pentes et des escarpements boisés de la montagne sont venues, bien qu’avec moins de facilité, se confondre au sein de l’eau avec les espèces qui entouraient immédiatement l’ancienne plage lacustre. Ce n’est là qu’une conjecture ; mais elle ne manque ni de vraisemblance ni d’un commencement de preuves.
Les eaux tranquilles du lac de Manosque étaient fréquentées par une belle Nymphéacée (Nymphœa calophylla, Sap.), par une foule de Cypéracées, par des massettes ; à l’ombre des grands arbres, croissaient des fougères variées dont j’ai précédemment signalé les principales : Osmunda lignitum, Ung., Lastrœa styriaca, Ung., Pleris pennœformis, Hr., Pteris urophylla, Ung., Lygodium Gaudini, Hr., Chrysodium aquitanicum, Sap. (nov. sp.).
Avant de passer en Grèce et d’aborder la localité de Coumi, que j’ai déjà signalée à plusieurs reprises, si nous nous dirigeons vers l’est et que nous franchissions les Alpes, nous rencontrerons le dépôt aquitanien des lignites de Cadibona, déjà nommé à propos du Phœnicites Palavicini, Sism., qui le caractérise.
1. Fruit ouvert. 2. Foliole. 3. Portion de feuille restaurée.
Deux autres points de la région piémontaise, Stella et Bagnasque, situés sur le même horizon, ont également fourni des plantes qui diffèrent trop peu de celles de Manosque pour mériter de nous arrêter ; mais si l’on traverse l’Italie pour atteindre le rivage opposé de l’Adriatique, on rencontre, en Croatie, le célèbre dépôt de Radoboj, dont les plantes fossiles, décrites par le professeur Unger, s’élèvent à plus de 280 espèces.
1-2. Cercis Tournoueri, Sap. Feuilles.
Radoboj n’est pas un dépôt purement lacustre, comme la plupart des précédents, ni terrestre et superficiel comme celui des calcaires concrétionnés de Brongnon, mais un dépôt d’embouchure, formé sous l’influence d’un courant fluviatile au contact des flots de la mer. La présence d’un certain nombre d’algues, associées aux empreintes des plantes terrestres, atteste la réalité de cette situation. Les espèces sont en grande partie celles qui ont été désignées comme caractérisant plus particulièrement l’aquitanien ; d’autres sont communes à cet étage et au miocène proprement dit ; d’autres aussi, comme le bel Aralia Hercules, les Palœocarya, l’Ostrya atlantidis, Ung., etc., se retrouvent à Armissan et accusent une liaison avec le tongrien supérieur, ou tout au moins avec la partie ancienne de l’aquitanien. Le fleuve dont les eaux entraînèrent un si grand nombre de fossiles et de débris végétaux de toutes sortes, parcourait sans doute une région fertile et boisée.
1. Acacia insignis, Ung. Légumes. — 2-3. Copaifera radobojana, Ung. 2. Fragment de feuille avec foliole. 3. Fruit.
Les groupes aujourd’hui exotiques des Rubiacées frutescentes, des Myrsinées, des Sapotacées, celui des Diospyrées, les Malpighiacées, les Sapindacées, les Célastrinées, et, par-dessus tout, les Légumineuses de toutes les tribus sont richement représentés.
Encephalartos Gorceixianus, Sap. (Coumi).
L’Acacia insignis, Ung. (fig. 6), ressemble beaucoup à l’A. Bousqueti, Sap., d’Armissan, de même que le Copaifera radobojana, Ung., se range non loin de Copaifera armissanensis, Sap. Généralement, les deux localités tertiaires, celle de Croatie et celle de l’Aude, présentent une étroite liaison par la quantité de formes identiques ou seulement analogues qu’elles renferment. Un genre de plantes sarmenteuses et volubiles, dont les liges devaient s’enlacer dès cette époque aux branches des plus grands arbres et s’associer aux Salsepareilles, a encore laissé des traces incontestables de sa présence à Radoboj ; je veux parler des Aristoloches, dont la figure 7 représente une fort belle espèce, provenant de cette localité et qui paraît avoir échappé à la perspicacité du professeur Unger, qui ne l’a pas connue.
La localité de Coumi (île d’Eubée) se distingue de celle de Manosque, dont elle est contemporaine, par une plus grande profusion de formes méridionales, bien que celles de la zone tempérée soient loin d’en être exclues. Les genres aune, bouleau, charme, peuplier, érable, s’y trouvent représentés, mais seulement à l’aide d’un petit nombre d’exemplaires. Les chênes verts, les Myricées à feuilles persistantes, les Diospyros, les Myrsinées, les Légumineuses abondent et forment la grande masse de l’ensemble. On distingue une Araliacée de type africain (fig. 8), dont les feuilles digitées ressemblent à celles des Cussonia ; les Acacias y sont fréquents, les Séquoia et les Glyptostrobus dominent parmi les Conifères, sans exclure précisément les Callitris et Widdringtonia, à l’exemple de ce qui se passait en Provence à la même époque. Les Palmiers sont jusqu’ici inconnus à Coumi, mais, en revanche et comme pour attester l’influence de la latitude et le voisinage de l’Afrique, une Cycadée congénère des Encephalartos de ce continent y a été découverte, il y a environ trois ans, par M. Gorceix ; c’est l’Encephalartos Gorceixianus, Sap., dont la figure 9 représente une fronde presque entière. Cette Cycadée est sans doute une des dernières qui ait persisté sur le sol de l’Europe tertiaire, où la présence du groupe a été longtemps considérée comme problématique. Il faut bien l’avouer, nous ne connaissons que très-superficiellement la végétation miocène et seulement par ses côtés les plus vulgaires. Les stations rapprochées des eaux ou voisines des parties boisées sont presque les seules dont il nous ait été donné de recueillir les plantes. Les autres points situés à l’écart, abrités par certains accidents du sol, ou placés dans des conditions toutes spéciales, nous échappent nécessairement. Bien des épaves soustraites aux destructions antérieures devaient alors survivre çà et là au sein de l’Europe, comme ces édifices gothiques qui frappent l’œil au milieu des quartiers modernes de nos grandes villes. Cette uniformité qui nous frappe si justement dans la flore aquitanienne devait s’étendre surtout au voisinage des lacs, alors si nombreux. Certaines stations, plus rares et en général plus pauvres que les dépôts les mieux connus, semblent échapper effectivement aux effets de l’uniformité dont l’aspect paraît alors si général ; ces stations nous dévoilent tout d’un coup le tableau d’associations végétales dont la physionomie contraste avec celles que l’on observe le plus ordinairement. Il en est ainsi de Bonnieux, en Provence, localité voisine d’Apt (Vaucluse) et contemporaine, de celle de Manosque. Des Protéacées, des Rhizocaulées, de maigres Quercinées, un saule de type entièrement exotique, des arbustes de petite taille et probablement chétifs de feuillage, peuplaient ce canton, lors de l’aquitanien ; là aussi une Cycadée (Zamites epibius, Sap.) a laissé l’empreinte d’une fronde de petite taille, et cette empreinte se trouve accompagnée d’une autre qui rappelle singulièrement les strobiles de certaines Zamiées actuelles.
Il faut conclure de ces divers faits que dans toutes les époques la nature végétale ne s’est dépouillée que graduellement de l’aspect qu’elle avait d’abord revêtu, et qu’elle a gardé plus ou moins longtemps certains éléments isolés et comme dépaysés au milieu d’un ensemble déjà presque entièrement renouvelé. C’est ainsi que, de nos jours, plusieurs plantes européennes ne se maintiennent plus que par artifice, sur des points restreints ou même dans des stations uniques ; d’autres, comme le Ceratonia siliqua et le Chamœrops humilis, achèvent de disparaitre du sol français, tandis que le houx a quitté, il y a moins d’un siècle, la Norvège où l’on en connaissait quelques individus que l’on chercherait vainement à l’heure qu’il est. Cte G. de Saporta
Correspondant de l’Institut.
- ↑ Voy. le Monde primitif de la Suisse. Trad. de l’allemand par Isaac Demole, p. 546. — Genève et Bâle, lib. Georg., 1872.