Les préjugés contre l’Espéranto/Conclusion

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CONCLUSION

Notre première intention était de reprendre une à une toutes les erreurs entassées dans le volume qui s’appelle La Sottise espérantiste, afin de bien montrer jusqu’où peuvent aller l’ignorance ou le parti-pris des contradicteurs de l’Espéranto.

Mais, outre qu’il y aurait eu trop à faire, une telle polémique devient fastidieuse à la longue et on doit lui préférer une documentation plus substantielle. Le peu que nous avons dit rétorque suffisamment les plus grossières erreurs ; il était plus utile d’apporter des faits.

Avons-nous réussi à intéresser le lecteur à la question de la langue universelle, qui, depuis si longtemps, inquiète le monde intelligent, et pour laquelle depuis deux siècles et demi l’humanité se passionne ? et dont voici la meilleure preuve. Depuis que l’humanité est en possession de cette langue seconde, toutes les nations du monde civilisé se rallient à l’idée d’une langue commune. Les Japonais y sont venus en grand nombre, les Hindous l’apprennent, la Chine commence à suivre cet exemple ; et cela parce que les Asiatiques ont compris l’indéniable nécessité de l’Espéranto pour leurs relations avec l’Europe et les deux Amériques.

D’où vient donc la ténacité des préjugés contre l’Espéranto ?

Est-ce parce que l’échec du volapuck a fait croire un moment que la tentative était irréalisable ? Mais en doit-on rigoureusement tirer la conclusion que la réalisation d’une autre langue internationale ne saurait un jour s’effectuer ? L’échec éclatant du volapuck démontre seulement que la langue créée par l’abbé Schleyer était imparfaite et dépourvue des qualités nécessaires à la vitalité : on n’a pas le droit de lui faire signifier autre chose.

Dans toutes les branches de l’activité humaine des essais ont avorté ; on ne s’est pas découragé, on a cherché dans une autre direction, et le succès a récompensé les efforts.

Que n’a-t-on pas dit, à l’origine, sur les bateaux à vapeur, les chemins de fer, la navigation aérienne ? A-t-on assez de fois tourné en dérision leurs courageux inventeurs ? A-t-on assez souvent confondu les mots irréalisation momentanée avec impossibilité absolue ?

L’humanité ne sait pas attendre ; elle manque de patience. On porte avec trop de hâte un jugement définitif, et quand l’avenir casse sans pitié ce jugement, on s’entête contre la réalité, on ne veut pas se déjuger, on va jusqu’à nier la matérialité des faits par mille sophismes plus spécieux les uns que les autres ; on refuse de se rendre à l’évidence ; par un sot amour-propre on ne veut pas s’avouer vaincu. C’est, il faut en convenir, une bien « fâcheuse » et bien « prétentieuse » façon de discuter. Elle est humaine, dira-t-on ? Mauvaise excuse. Néanmoins d’orgueilleux adversaires peuvent causer de graves préjudices aux idées qu’ils persécutent. Par l’artifice d’une parole brillante, la mise en œuvre de la plus basse flatterie à l’égard des sentiments sur lesquels les individus se montrent les plus chatouilleux ils peuvent semer, chez les personnes non averties, le doute et l’indifférence.

À nous d’apporter le remède. Sa formule très simple se résume en quelques lignes :

« Que les personnes susceptibles de tirer, dans tous les domaines possibles, quelque avantage d’une langue commune à tous les hommes apprennent à connaître par eux-mêmes l’Espéranto, sans parti-pris, sans jugement préconçu. Que de leurs propres yeux ils se rendent compte de sa facilité, de sa clarté, de sa souplesse, de sa logique. L’espéranto alors plaidera sa cause plus éloquemment que nous ne saurions le faire ». Quand on cherche la vérité on la trouve ; c’est une chose terrible en effet pour les partisans de l’erreur. N’est-ce point vous qui le dites, M. de Gourmont ?

Et à tous ceux qui hésiteraient encore par une ultime paresse, par l’effroi d’un faible effort à tenter, je conseillerai de méditer cette phrase de Tolstoï :

« Les sacrifices que fera tout homme de notre monde européen, en consacrant quelque temps à son étude (de l’Espéranto) sont tellement petits et les résultats qui peuvent en découler tellement immenses qu’on ne peut pas se refuser à faire cet essai ».