Les premiers cimetières catholiques de Montréal et l’indicateur du cimetière actuel/Chapitre I

La bibliothèque libre.

CHAPITRE I.

des funérailles et des sépultures dans l’antiquité.


Le culte des morts, les soins pieux rendus à leurs restes, les pompes religieuses des funérailles, le respect universel des lieux de sépulture se retrouvent dans tous les temps, dans tous les pays, chez tous les peuples, depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours.

Partout et toujours, chez les anciens, les funérailles et la sépulture furent des actes religieux, accomplis avec les solennités du culte parce que tous les peuples, dit Cicéron « pensent qu’ils ont des devoirs à remplir envers les âmes des défunts. »

En Égypte, les funérailles se faisaient avec la plus grande pompe et les tombeaux étaient magnifiques. Creusés dans le roc, souvent une rampe et une galerie souterraine y conduisaient. Autour d’eux s’élevaient des temples, et c’est pour cela que dans la nécropole de Memphis on a trouvé un grand nombre de momies. Les Égyptiens, on le sait, embaumaient les corps, et cet usage prouve qu’ils croyaient à leur résurrection. C’était un prêtre qui faisait l’embaumement ; les prêtres assistaient au convoi funèbre et y occupaient la première place. Des fresques découvertes par des archéologues « représentent la momie transportée par des prêtres jusqu’au pied d’un petit autel. Les parents font les offrandes habituelles ; les prêtres, debout d’un côté de l’autel, la tête rasée, couverts de peaux de léopards, récitent les prières du rituel, et présentent au mort l’encens au bout d’une cassolette. Dans quelques peintures murales, on voit les prêtres prononçant sur le corps du défunt les prières sacrées. »

D’après Hérodote, le « deuil des Assyriens et leurs rites funèbres ressemblaient beaucoup à ceux des Égyptiens. »

Chez les Indous, la présence du prêtre, du brahmane, est prescrite au repas funèbre qui, loin d’être une réjouissance, est une sévère et sérieuse solennité en l’honneur du défunt sur les restes duquel le prêtre, la tête découverte, les pieds nus, a déjà récité à voix basse les prières d’usage.

La sépulture était pour les Hébreux de droit divin. Aussi quand un roi d’Assyrie, ayant fait périr un grand nombre de Juifs, défendait de les ensevelir, voit-on Tobie, qui craignait Dieu plus que le roi, emporter les corps, les cacher dans sa maison et les ensevelir pendant la nuit. Le Talmud prend soin de déterminer la forme et la grandeur des sépulcres et il veut qu’on laisse un petit vestibule pour qu’on puisse déposer le corps et réciter sur lui les prières funèbres.

Les Gaulois, qui, tout le prouve, avaient une croyance profonde en l’immortalité de l’âme, faisaient à leurs morts de magnifiques funérailles, dans les bois qui étaient pour eux de véritables temples. Là, leurs prêtres dressaient les autels destinés aux sacrifices ; là s’élevait le bûcher sur lequel on jetait tout ce qui avait appartenu au défunt et même ses esclaves.

Les Germains consacraient des bois touffus, de sombres forêts, où ils adoraient la divinité. Leurs prêtres présidaient aux funérailles qui étaient simples, sans faste. Ils se contentaient pour tombeau d’un simple tertre de gazon, les monuments que l’orgueil élève à grands frais leur semblaient peser sur la cendre des morts. Ils consacraient peu de temps aux lamentations et aux larmes ; mais beaucoup à la douleur et aux regrets, car, disaient-ils, c’est aux femmes à, pleurer, aux hommes à se souvenir : Feminis lugere honestum est, viris meminisse.

En Grèce et à Rome, les funérailles, soit par inhumation, soit par incinération, étaient des plus solennelles. Les poèmes d’Homère, de Sophocle, de Virgile, peintures fidèles de l’antiquité, en sont une preuve évidente. À chaque instant dans l’Illiade, on trouve le récit de combats sanglants pour arracher à l’ennemi les corps des héros qui ont succombé, afin de leur rendre les honneurs funèbres. Il n’est pas de devoir plus sacré et les dieux eux-mêmes interviennent pour le faire observer. C’est ainsi que, grâce à l’intervention d’un dieu, Achille se décide à rendre à Priam le corps de son fils Hector. Il fit plus ; il ordonna de le couvrir d’un riche manteau, d’une fine tunique ; de le laver, de le parfumer d’essences, de l’étendre sur un lit et de le placer sur un chariot magnifique.

La question des funérailles et de la sépulture fait le fond de plusieurs tragédies de Sophocle. Dans Ajax, ce héros prêt à mourir invoque Jupiter pour le prier de veiller à sa sépulture et de défendre sa dépouille mortelle contre les injures de ses ennemis. Le culte des morts a inspiré à Sophocle son Œdipe à Colone ; à Euripide, sa tragédie des Suppliantes ; à Eschyle, celle des Sept Chefs devant Thèbes. Le choix de ces deux questions pour sujet de ces tragédies montre l’importance qu’elles avaient chez les Grecs. Mais ce qui le prouve d’une manière plus évidente encore c’est le fait suivant, qui serait incroyable s’il n’était rapporté par Xénophon et Diodore de Sicile. Dix généraux athéniens avaient négligé de rendre les honneurs funèbres aux soldats morts dans le combat des Arginuses. Ils furent tous condamnés à mort, et cependant ils venaient de remporter la victoire. Sans doute par leur valeur ils avaient sauver Athènes ; mais par leur négligence ils avaient perdu des milliers d’âmes, dont le salut était attaché à la sépulture. Le salut de l’âme chez les anciens passait avant celui de la patrie.

Chez les Grecs, les premiers monuments dédiés aux dieux étaient les champs de sépulture ; et comme les temples, les tombeaux étaient des lieux d’asile. Les grands législateurs, Solon à Athènes, Lycurque à Sparte, avaient réglé jusqu’aux moindres détails des funérailles dont ils confiaient la surveillance aux prêtres.

Ce culte des morts, ce respect des sépultures, nous les trouvons aussi intenses chez les Romains que chez les Grecs. Tous, sauf peut-être quelques adeptes de la philosophie stoïcienne, étaient fidèles à la religion des tombeaux, considéraient la sépulture comme l’acte le plus important ; car les Romains croyaient profondément à l’immortalité de l’âme. Chez eux, les lieux d’inhumation étaient considérés comme sacrés, et le Digeste consacre un titre spécial aux lois protectrices de la sépulture.

Les obsèques avaient un caractère éminemment religieux chez les Romains, qui y joignaient une croyance qui seule peut nous faire comprendre les erreurs dans lesquelles le paganisme avait fait tomber l’humanité. Le paganisme avait divinisé les morts. Les Grecs les appelaient des génies. Les Romains, des lares, ou mânes, ou pénates. « Nos ancêtres, disait Cicéron, ont voulu que les hommes qui avaient quitté cette vie fussent comptés au nombre des dieux. » Les tombeaux étaient les temples de ces divinités. « Lorsque le corps avait été brûlé sur le bûcher, on recueillait les cendres dans des urnes qui étaient placées à leur tour dans des columbaria, espèces de niches semblables à des nids de pigeons. On les pratiquait dans les murs de la chambre sépulcrale. Les quatre parois en étaient couvertes et elles s’élevaient quelquefois à une grande hauteur. Au-dessus de cette chambre funéraire se trouvaient de riches appartements, qui servaient aux membres de la famille, lorsqu’ils venaient accomplir, sur le tombeau des leurs, certaines cérémonies religieuses. »

Les pompes de la religion entouraient à Rome les funérailles. On les appelait ainsi parce que primitivement la sépulture ayant lieu la nuit, les personnes qui conduisaient le deuil portaient en guise de torches, des cordes tortillées (funalice). Plus tard les enterrements nocturnes n’eurent plus lieu que pour les classes pauvres. Mais qu’elles fussent publiques, funus publicum, ou qu’elles fussent sans pompe ni spectacle, funus tacitum, toujours les funérailles étaient empreintes d’un caractère religieux. Les pontifes, les prêtres étaient chargés de tout ce qui regardait les obsèques. Un citoyen romain venait-il à mourir, on lavait et parfumait son corps ; on l’enveloppait dans un drap blanc, symbole, dit Plutarque, de la pureté et de l’immortalité de l’âme. On plaçait ensuite le corps sur un lit devant lequel on dressait un autel où brûlaient des parfums.

Dans le convoi funèbre, les prêtres occupaient une place importante. Au bûcher, comme au lieu de l’inhumation, c’était le prêtre qui, une branche de laurier en main, purifiait l’assistance ; c’était lui qui prononçait les dernières paroles en congédiant la foule. C’était encore le prêtre qui, le neuvième jour après le décès, accomplissait l’acte le plus important : par trois fois il jetait de la terre sur la tombe. À dater de ce moment, le lieu de la sépulture devenait religieux, et nul n’y pouvait toucher sans la permission du prince ou des pontifes.

Cette rapide revue historique prouve manifestement combien furent universels dans l’antiquité le culte des morts et le respect pour les lieux de sépulture. Ces sentiments nous allons les retrouver aussi généraux, aussi intenses chez les peuples modernes ; et l’étude des coutumes des diverses nations nous montrera qu’elles sont restés fidèles aux traditions du passé.