Amicale des anciens combattants des 54e R.I., 254e R.I., 13e Tal (Compiègne), (p. 165-170).
bookLes régiments d'infanterie de CompiègneLieutenant-colonel Weill et Lieutenant DelacourtAmicale des anciens combattants des 54e R.I., 254e R.I., 13e Tal (Compiègne)1930CompiègneVLE 54e DEPUIS LE TRAITÉ DE PAIXLes régiments d'infanterie de Compiègne.djvuLes régiments d'infanterie de Compiègne.djvu/7165-170
LE 54e DEPUIS LE TRAITÉ DE PAIX
I. — LE RETOUR À COMPIÈGNE
Immédiatement après la revue du 14 juillet 1919, le 54e se
rend à Épernay ; il y séjourne peu de temps et revient enfin, au
courant du mois d’août, dans sa garnison de Compiègne.
I. — LA DISSOLUTION
Le Lieutenant-Colonel CODEVELLE, chef de bataillon au régiment en 1923,
a bien voulu nous communiquer les souvenirs suivants concernant la dissolution
du 54e.
À la date du 10 janvier 1923 parut l’état des régiments dissous.
Le 54e était maintenu et ainsi réparti :
E.-M. et 2 bataillons à Compiègne ;
1 bataillon à Soissons.
La Municipalité de Soissons, fortement soutenue par ses représentants
au Parlement, s’émut de cette répartition, et d’actives
démarches furent entreprises en vue du maintien du 67e.
À Compiègne, on pressentit le danger qui menaçait le 54e et la
presse locale jeta un cri d’alarme.
En fin de compte Soissons eut gain de cause et le 22 janvier 1923
un état rectificatif maintenait l’existence du 67e ainsi réparti :
État-Major et 2 bataillons à Soissons ;
1 bataillon à Compiègne.
Le 54e devait disparaître à la date du 1er avril.
À Compiègne l’émoi fut grand à la pensée que le 54e, qui tenait
garnison dans la ville depuis 1871, bientôt n’existerait plus.
Le Conseil municipal exprima les regrets de la population si
attachée à son régiment, et le Maire proposa de faire les démarches
nécessaires pour que les fanions des compagnies et des bataillons
ainsi que les souvenirs du régiment fussent confiés à la garde de la
Municipalité et exposés dans le Musée Vivenel.
Dès le mois de février, commença la fusion du 54e et du 67e. À
ce moment l’ordre de bataille du 54e était le suivant :
3e Compagnie. — Capitaine de Branges, Lieutenant Berger.
CM1. — Capitaine Meunier
2eBataillon. — Commandant Richet.
5e Compagnie. — Capitaine Delavenne.
6e Compagnie. — Capitaine Chevrier.
7e Compagnie. — Capitaine Clerc.
CM2. — Capitaine Balestier.
3eBataillon. — Commandant Van den Vaero.
9e Compagnie. — Lieutenant Vasseur.
10e Compagnie. — Capitaine Bornel.
11e Compagnie. — Capitaine Le Couteulx.
CM3. — Lieutenant Fagard, Lieutenant Theilland de Chandin.
Le 9 mars 1923, la 3e division d’infanterie tout entière était
envoyée dans la Ruhr pour les motifs que l’on connaît, ce qui
devait encore compliquer la question de la dissolution du 54e,
lequel existait toujours, ne devant disparaître que le 1er avril.
Le même jour, en présence des anciens officiers du corps, le
lieutenant-colonel Marminia présentait, dans la cour de la caserne
Royallieu, le drapeau du 54e au régiment rassemblé. Cette cérémonie
fut empreinte d’une tristesse profonde et vraie. Bien des
larmes coulèrent.
Nous passons la parole au Progrès de l’Oise du 13 mars 1923.
LES ADIEUX AU DRAPEAU DU 54e
« Une imposante et poignante cérémonie s’est déroulée le vendredi 9 mars 1923, à la caserne de Royallieu.
Le colonel Marminia présenta une dernière fois son drapeau au 54e, réuni au complet sur le terre-plein des casernes.
À 10 heures, le drapeau, porté par le lieutenant Fagard et escorté des fanions, arriva au milieu du carré formé par la troupe. Après la sonnerie Au Drapeau, le Colonel Marminia, d’une voix claire mais émue, prononça le vibrant et patriotique discours suivant :
Officiers, sous-officiers, caporaux et soldats du 54e,
J’ai l’honneur de vous présenter pour la dernière fois le drapeau de votre Régiment.
Au moment où les écussons du 54e quittent votre collet, inclinez-vous pieusement devant lui. Il a conduit à l’honneur des générations de soldats.
Je salue respectueusement les anciens du 54e qui sont à nos côtés. Par leur présence au milieu de nous, ils viennent attester de leur fidélité à notre drapeau et au bouton qu’ils ont porté, en même temps qu’ils nous apportent le plus fraternel témoignage de sympathie. À eux se sont joints les officiers des autres corps de la garnison : 15e régiment de Chasseurs et 2e bataillon d’Aérostiers, qui viennent vous prouver que la camaraderie militaire, toute de délicatesse, existe surtout aux heures graves que nous vivons en ce moment.
Mes chers camarades, vous avez connu notre drapeau encore endeuillé des tristesses de 1870. Vous l’avez vu tout frémissant de prendre sa revanche. C’est à son ombre que vous avez instruit pour vaincre les soldats de 1914, les vainqueurs de la Marne.
Soldats de la classe 21, vous pensiez terminer votre temps de service dans quelques jours, le Boche ne l’a pas voulu. Il suffit. Votre sacrifice est fait. Vous n’êtes pas de ceux qui se laissent intimider et vous avez dans les veines du sang de vainqueurs.
Vous resterez jusqu’à l’arrivée des bleuets de 1923 à la garde du drapeau.
Et vous, jeunes hommes de 1922, vous étiez fiers d’être les héritiers de ces poilus qui, au cours des quatre années de la grande guerre, ont écrit de leur sang sur notre drapeau les noms à jamais fameux de la Marne, des Éparges, de Verdun, de la Lys et de l’Escaut, qui ont supporté dans les tranchées d’héroïques souffrances, qui, dès la rupture de l’équilibre, à la suite du drapeau volant comme autrefois l’Aigle Impérial de clocher en clocher, ont défilé dans la Lorraine reconquise, vengeant ainsi nos morts de 1870.
Vous espériez finir au 54e votre service militaire et voici que le même sacrifice est exigé de vous comme de vos, officiers et de vos sous-officiers. Du moins vous quittez votre Régiment en soldats : c’est dans une atmosphère de bataille que vous allez défiler devant votre drapeau pour la dernière fois.
Fixez sur lui vos yeux et jurez-lui d’être dignes de vos aînés. Demain vous compterez au 67e ; ayez une belle tenue, une conduite exemplaire. Soyez toujours volontaires pour les missions difficiles. Que les étrangers puissent dire en vous voyant : Certainement celui-ci a dû appartenir au 54e. Quel fier Régiment ce devait être !
Et quand bientôt votre nouveau drapeau, qui fut longtemps le frère du vôtre à la 7e brigade, vous sera présenté, vous penserez quand même à l’autre. Vous lui avez juré fidélité, c’est pour la vie.
Noble drapeau du 54e : ne garde pas rigueur à tes enfants s’ils te délaissent au moment de repartir pour l’action !
Sois certain que tous ceux ayant eu l’honneur de servir sous tes plis garderont fidèlement ton souvenir.
Au nom des officiers, des sous-officiers, caporaux et soldats du 54e, drapeau des Royal-Roussillon et Royal-Catalan, d’Alkmaer, d’Austerlitz, de Friedland, de la Grande Kabylie, drapeau de la Marne, des Éparges, de Verdun, de la Lys et de l’Escaut : Adieu.
Plus d’un spectateur, beaucoup d’officiers et de soldats avaient la paupière humide lorsque le colonel Marminia, le commandant Decourbe et l’adjudant Jalinot embrassèrent une dernière fois le glorieux emblème de notre beau régiment.
Le commandant Leveau, des Aérostiers, avec tout son bataillon, beaucoup d’officiers du 15e Chasseurs, des anciens officiers du 54e, tels les commandants Keller, de Bernières et Legrand, étaient venus apporter à leurs camarades toute leur sympathie et leurs regrets.
Nos petits troupiers sont rentrés dans leur cantonnement pour se préparer au départ. Samedi, à 15 heures, ils s’embarquaient pour la Ruhr. »
Le 54e était envoyé à Dortmund sous le commandement du
Colonel du 67e.
Le 30 mars, l’écusson du 54e disparaissait du collet des uniformes
et le Général Douchy commandant la 3e division d’infanterie
adressait l’ordre du joursuivant de son Quartier général de Castrop.
« Au moment où le 54e et le 72e Régiment d’infanterie sont dissous, le Général commandant la 3e division d’infanterie adresse à ces vieux et glorieux régiments son « au revoir » le plus ému.
« Depuis le jour où il a eu l’honneur d’avoir le 54e et le 72e sous ses ordres, le Général n’a eu qu’à se louer de leur moral, de leur discipline et de leur confiance en leurs chefs.
« Le 54e et le 72e nevont pas mourir ; leurs drapeaux resteront aux Invalides sur les lauriers de la vieille France et ceux de la Grande Guerre jusqu’au jour où un nouvel appel de la patrie en danger regrouperait autour d’eux les fils des vainqueurs d’Austerlitz, de Friedland, de la Marne et de Verdun, et ceux de Marengo, Wagram, Maurupt et Bouchavesnes. »
Cependant les éléments restés à Compiègne se débattaient dans
de nombreuses difficultés auxquelles s’ajoutait le sentiment pénible
de voir s’effacer chaque jour quelque souvenir du 54e. C’est ainsi
que l’ordre était donné de faire disparaître ce numéro partout
où il pouvait encore subsister dans les bâtiments militaires, dans
les papiers administratifs ou autres.
Le drapeau lui-même qui était resté à la salle d’honneur de
Royallieu partit pour Soissons.
Les fanions des compagnies et des bataillons sont maintenant
à l’Hôtel de Ville de Compiègne et bien des souvenirs (diplômes,
photographies, gravures, etc.) ont été gardés à Royallieu par les
soins d’officiers et de sous-officiers qui ne voulaient pas laisser
périr la mémoire de leur régiment.
Grâce à eux, le souvenir du 54e n’est pas mort et le commandement
lui-même favorise désormais tout ce qui peut le conserver.
Le 54e renaîtra-t-il un jour ? C’est le secret de l’avenir. Mais si
comme le disait dans son ordre du jour le général Douchy, un
nouvel appel de la patrie en danger se faisait entendre, l’âme du
Régiment viendrait animer une formation nouvelle qui serait heureuse
et fière de porter bien haut le drapeau du Royal-Roussillon,
des guerres de la Révolution et de l’Empire, de la Grande Kabylie,
de Saint-Privat, de Bitche et de la Grande Guerre.