Les résultats de l’enseignement des écoles normales en Allemagne

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Les résultats de l’enseignement des écoles normales en Allemagne
Revue pédagogique, premier semestre 1887 (p. 465-467).

Les résultats de l’enseignement des écoles normales en Allemagne. — Le rédacteur des Pädagogische Blätter, le Dr Schoppa, directeur de l’école normale de Delitsch, avait adressé diverses questions sur l’état actuel de l’enseignement primaire et sur les résultats des écoles normales à M. Kannengiesser, conseiller d’État à Cassel. Celui-ci a répondu par une longue lettre dont voici quelques extraits :

« Vous me demandez, écrit il, s’il n’y a pas un recul sur les années précédentes. Naguère, tout le monde poussait les écoles normales à marcher en avant ; on considérait comme un gain tout progrès, toute innovation, soit dans les matières, soit dans la méthode : il n’en est plus de même aujourd’hui. Est-ce que la pratique a donné des résultats fâcheux ?

» Je vous répondrai par mon expérience de conseiller scolaire à Magdeboury. Là, il y a trois ans, j’ai réuni en conférence les inspecteurs de douze districts d’inspection, appartenant à quatre circonscriptions de Landrath (sous-préfectures). Je les ai interrogés sur la valeur pédagogique des maîtres, principalement des jeunes, sur leur tenue, soit dans leur école, soit au dehors. La réponse a été unanime. Tous m’ont déclaré que le niveau s’était sensiblement élevé depuis 1872, non seulement au point de vue de la valeur professionnelle, mais encore de la tenue et de la conduite. Comme cette question me paraissait des plus importantes, j’y insistai, j’en fis sentir la portée, je déclarai que je comptais en faire usage ; j’interrogeai chacun individuellement, demandant des faits, et rien ne vint démentir leur première assertion. Et pourtant, c’étaient des hommes d’opinion et de tendance diverses, et dont plusieurs avaient eu, dans le temps, de sérieuses objections contre les « Regulative » de Stiehl et les règlements généraux de 1872.

» Tous, néanmoins, persistèrent à déclarer qu’il y avait depuis cette époque plus de vie, plus d’activité, plus de goût pour la culture générale, plus de facilité intellectuelle, et, chez les jeunes maîtres, plus de cordialité et de confiance dans leurs rapports avec leurs supérieurs immédiats, lesquels sont, sans exception, des pasteurs.

» Ce témoignage vraiment réjouissant ne portait sans doute que sur quatre sous-préfectures ; mais je ne sache pas que l’on ait au contraire recueilli ailleurs les preuves d’une décadence.

» Je sais qu’on attaque nos séminaires (écoles normales) et nos écoles, qu’on se plaint qu’on y enseigne trop de matières, et des matières qui ne se rapportent pas assez directement au but que ces établissements doivent poursuivre, qu’on donne par là aux instituteurs une demi-culture, une science creuse, qui les porte à la vanité, à la dispersion intellectuelle, qui leur donne des prétentions excessives pour leur toilette, leur logement, leur traitement, que d’autre part on accable et on fatigue les enfants d’une foule de connaissances inutiles, qu’ils se hâtent d’oublier quelques années, quelques mois même après avoir quitté l’école.

» Je connais ces plaintes ; je sais qu’on les entend surtout proférer dans les cercles de la noblesse, où l’on s’exprime souvent à cet égard en termes rudes et peu flatteurs pour l’administration scolaire.

» Je me souviens d’une visite que je fis en compagnie du surintendant et de l’inspecteur du district à un très gros personnage, M. Y. Après les compliments d’usage, M. Y. se lança immédiatement dans les plus violentes invectives contre le gouvernement et les mesures tendant à élever le traitement des instituteurs ; il manifesta aussi son vif mécontentement des efforts actuellement tentés pour élever le niveau de l’enseignement populaire. « Je ne vous cacherai pas, Monsieur le conseiller, » dit-il, « que je suis loin d’être partisan de cette éducation « moderne » ; savoir un peu lire, écrire et calculer, et surtout beaucoup de religion, voilà qui suffit amplement aux besoins de notre peuple. En bornant ainsi sagement ce programme des écoles, on rendrait un éminent service aux parents, aux enfants, au point de vue moral et économique, et l’on épargnerait aux communes des dépenses auxquelles elles ne pourront bientôt plus suffire. »

» Je répondis qu’il était certainement désirable de limiter sagement les matières de l’enseignement populaire et que l’administration regardait cette tâche comme importante, que c’était sans doute déjà beaucoup de savoir lire, écrire et calculer, et qu’il fallait souvent s’estimer heureux quand ce résultat était atteint, La tendance moderne à répandre la culture dans les couches les plus profondes de la population peut avoir ses dangers ; mais nous n’y pouvons rien changer. L’État prussien est fondé tout entier sur le développement de la culture individuelle de chaque homme du peuple, et on ne peut revenir en arrière.

» — C’est là la question », répliqua mon interlocuteur, « et j’espère que l’on reviendra bientôt, et de soi-même, sur cette tendance « moderne » de l’enseignement populaire.

» — Je ne le crois pas », répondis-je. « Je date cette tendance « moderne de 1763, du règlement scolaire général. Frédéric le Grand et son père sont les fondateurs de l’école prussienne et de l’ère moderne de la culture du peuple. On peut, sans doute, imaginer d’autres bases de la société, et nous en voyons la preuve dans les pays catholiques. Mais nous sommes ici dans les souliers de Frédéric le Grand, et nous n’avons qu’à marcher en avant sans en sortir. Les vrais coupables sont Frédéric-Guillaume Ier et Fréderic le Grand, et non le ministre Falk. »

» Le fait est que pour donner satisfaction aux plaintes qui se font entendre, dans ces cercles, sur les excès de nos programmes, il faudrait les alléger singulièrement. « Un peu lire et écrire. Mais à quoi bon pousser ce savoir au delà des éléments ? Qu’on sache lire le livre de cantiques et l’almanach, et enregistrer les rations de foin et de paille, n’est-ce pas suffisant ? » Que de fois il est arrivé que des patrons d’école ont demandé pour des instituteurs stagiaires la dispense de l’examen du brevet, non par pitié pour de pauvres diables qui sont manifestement incapables de le subir et qui se verraient privés d’emploi, mais par sympathie, par goût, parce que ce sont justement là les maîtres qu’ils préfèrent.

» Un autre jour, je dînais chez un noble, homme de cour, et tout à coup, par dessus la table brillante, il me jeta à brûle-pourpoint cette question : « Pourquoi, Monsieur le conseiller, faut-il maintenant que les enfants de nos villages apprennent la physique, la chimie et l’histoire des États de l’Europe ? »

» Cette question provoqua l’attention et une légère gaieté chez les convives. Je répondis à peu près :

» — La physique et la chimie, c’est-à-dire la connaissance de la nature ? C’est à cause du choléra. Quand les gens ne savent pas le premier mot des lois de la nature, ils perdent la tête et lapident les médecins. Nous devons protéger les médecins. » (À cette époque, les journaux étaient pleins du récit des événements qui venaient de se passer au milieu des populations profondément ignorantes et superstitieuses du midi de l’Italie.) « Et l’histoire des États européens ? Nous n’avons que l’histoire de la patrie sur le programme. Et il est nécessaire qu’on la connaisse, pour savoir tout ce que nous devons aux Hohenzollern, depuis qu’ils sont arrivés dans le Brandebourg. Il faut que les gens apprennent, » ajoutai-je en élevant la voix, « que c’est à la bonté de Dieu que nous devons la race royale des Hohenzollern ; s’ils l’ignoraient, ils ne voteraient pas comme ils doivent. »

» Il ne faut pas nous laisser intimider par ce genre de plaintes. Notre mot d’ordre doit être non pas : En arrière ! mais : En avant ! Il faut nous maintenir fermement sur le terrain de notre situation actuelle des séminaires et des écoles, pour y progresser. Déjà beaucoup de bien a été réalisé, ne serait-ce que les trois résultats suivants :

» 1. L’habileté incontestable à exposer oralement les connaissances acquises.

» 2. La certitude méthodique avec laquelle le maître formé dans nos séminaires aborde ses fonctions.

» 3. Le zèle actif qui le porte à pousser plus avant son instruction.

» Ce dernier résultat me paraît dû, par dessus tout, à l’institution de l’examen de titulaire d’école moyenne et de directeur, qui offre aux jeunes instituteurs un stimulant, un but plus élevé à leur activité et une plus large carrière. »