Les révélations du crime ou Cambray et ses complices/Chapitre VII

La bibliothèque libre.

CHAPITRE VII.


Soupçons. — Complot contre Waterworth. — Regrets de ce dernier. — Nouvelle expédition à l’Isle d’Orléans


Waterworth reprend ici le fil de ses révélations.

« Le vol sacrilège de la Congrégation nous avait donné tant d’occupation, et avait excité tant de recherches de la part de la Police, qui était presque tombée sur nos traces, que nous fûmes obligés de rester tranquilles pendant quelque temps. On commença dès lors à se défier de nous, et voici comment les premiers soupçons prirent naissance.

« Le Gouverneur avait offert par une proclamation une somme de cent Louis au Dénonciateur qui ferait connaître les coupables. C’était une somme assez forte pour tenter bien des gens. Une femme de mauvaise vie, Catherine Rocque, était chez M de A…, lorsque nous sortîmes le soir du vol de la Congrégation : rapprochant ces deux faits, elle avait imaginé que nous pourrions bien être les auteurs de ce crime. Elle alla trouver Carrier, le Connétable, et lui proposa de tirer parti de ses soupçons à profits communs. Ce dernier communiqua ce projet à un certain individu de nos connaissances, qui avait déjà eu vent de nos menées. Je fus, moi, la victime que choisirent ces délateurs et c’est dans cette vue que les voyages à Broughton furent entrepris. D’après ce plan, je devais seul être compromis, et Cambray restait inconnu. Grande fut la déconvenue de ces hommes avides, quand ils furent obligés de revenir sur leurs pas sans avoir rien découvert. Mais Carrier peut remercier le ciel de n’avoir rien eu dans sa carriole, quand nous le rencontrâmes ; car nous lui aurions évité la peine de faire le reste du chemin : notre projet était formé et nos précautions étaient prises pour l’assassiner. Il est certain que nous avons en maintes occasions poussé l’indulgence et l’humanité trop loin : ce système de lénité nous a perdus. Ces premiers soupçons à la vérité n’eurent pas de suite, mais ils ne laissèrent pas de jeter sur nous un jour défavorable, et qui a peut-être amené plus tard des découvertes mieux fondées.

« En effet, je ne doute nullement que ce ne soit les démarches de Carrier à Broughton qui n’aient donné à Cécilia Connor, la servante de Norris, l’idée que nous avions en notre possession l’argenterie de la Chapelle ; qui n’aient excité dans son esprit de graves soupçons, et ne l’aient enfin portée plus tard, dans le cours de l’été, (1835,) à donner les renseignemens imaginaires, sur lesquels nous fûmes arrêtés : car, sachez-le bien, cette femme n’avait jamais rien vu de ce que contenait le baril que j’avais emporté à Broughton ; elle n’avait pu entendre aucune conversation ; enfin pour dire le mot, elle jura sur une imagination, et malheureusement cette imagination était fondée. Voilà un incident qui nous a toujours étonnés, et que nous n’avons pu comprendre. »

— « Arrêtez ! vous ne savez peut-être pas qu’elle vous a suivis dans le bois ; qu’elle a vu l’image de la Vierge entre les mains de Cambray ; qu’elle a ôté à Knox un petit sceptre d’argent… ?

— « Est-il possible ? est-il possible ? Quoi ! elle nous avait suivis, espionnés, découverts ! Ah ! si nous l’avions su… ! Il m’était si facile de m’en défaire ! Si j’eusse jamais imaginé qu’une vieille imbécile comme elle ôsât seulement nous observer, par précaution je l’aurais étranglée sans remords. La sûreté personnelle ! c’est la première des lois ! Comment ! elle nous avait suivis, seule, dans le bois, au milieu des ténèbres ! Ah ! que ne puis-je l’y rencontrer encore ! »

En prononçant ces paroles d’une voix menaçante, le dénonciateur se trahit un instant, et se montre à découvert : la force de la passion et du naturel l’emporte sur toute autre considération, et prend la place des beaux sentimens de componction et de regret qu’il avait d’abord montrés. Une expression horrible se répand sur sa figure, un sourire, mais un sourire qui fait frissonner, passe sur ses lèvres ; il se soulève sur son siège, serre les poings de fureur, et semble altéré de la soif du sang. Bientôt une longue rêverie succède à cet accès, et ses traits reprennent leur calme et leur froideur de marbre. Il continue son récit.


— « Quand l’argenterie de la Chapelle fut fondue en lingots, et déposée en lieu de sûreté, je partis pour Broughton d’où je revins à Québec vers le commencement de Mai. À mon arrivée, nouvelle expédition. Nous n’avions pas travaillé depuis le vol sacrilège. Nous reprîmes l’affaire de l’Isle d’Orléans, dont j’ai parlé au commencement de ces mémoires. Nous étions quatre du parti, Cambray, Matthieu, Knox et moi : mais Knox ne connaissait rien du complot, et nous ne l’avions emmené que pour prendre soin de notre chaloupe. Nous nous rendons à St. Laurent, nous entrons en fesant effraction, dans la maison du vieux célibataire, que nous trouvons seul, et que nous prenons à la gorge dans son lit. Il voulut faire quelque résistance, et nous fûmes obligés de le régaler de quelques coups de bâton. Mais le voyage fut perdu ; car il n’avait point d’argent, et je l’en crois sur sa parole, après les épreuves auxquelles il fut soumis pour lui faire avouer où était son or. Faute de mieux, nous emportâmes ses provisions et ses meilleurs habits. C’était une cruauté, je l’avoue, que d’aller troubler ce vieillard pour si peu de chose. »

« L’Expédition qui suivit immédiatement valait beaucoup mieux, et était moins pénible ; ce fut le vol chez Madame Montgomery, dont les détails, assez intéressans, vous sont fournis par le procès de Cambray et de Mathieu. »