Les souvenez-vous/Fraternité
FRATERNITÉ
Après l’inondation de 1910.
Dans les champs un lugubre exode
Entraîne des gens harassés,
Parmi les sillons défoncés…
Silence ! C’est la mort qui rôde.
S’avançant à chaque moment,
Comme un loup-cervier prêt à mordre,
Dans l’horreur et dans le désordre,
Passant irrésistiblement,
C’est l’eau qui monte, l’eau qui chante
Sa grande chanson d’épouvante,
Force énigmatique et méchante,
Qui, sous la neige et la tourmente,
Vient étendre son linceul noir,
Sur des deuils et du désespoir !…
Les travailleurs de la campagne,
Qui ne connaissaient pas la peur,
Sont glacés jusqu’au fond du cœur,
Et la terreur les accompagne !
Les enfants courent demi-nus,
Appelant à grands cris leur mère,
Qui s’affole et qui ne sait plus,
Que sangloter sur leur misère !…
Car, sous les auvents démolis,
C’est le craquement lamentable
Des murs qui croulent dans l’étable
Sur les troupeaux ensevelis…
Oh ! pour ceux qui sont sans demeure,
Pour chaque petiot qui pleure,
Et voudrait un morceau de pain,
Donnons, sans attendre à demain.
C’est dur la faim, dur la déroute,
C’est dur de pleurer dans la nuit ;
Pour ceux que le fléau poursuit
Et qui grelottent sur la route.
Donnons, qu’un vent d’humanité
Passe sur notre âme qui tremble,
Pour que nous fassions, tous ensemble,
Le geste de fraternité !