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Les souvenez-vous/Les souvenez-vous

La bibliothèque libre.
H. Falque (p. 11-17).

LES SOUVENEZ-VOUS

À Madame Charles de Pomairols.

I

Les Souvenez-vous sont des cloches,
Qui sonnent, lointaines ou proches…

Les Souvenez-vous sont des mains,
Blanches, dans l’ombre des chemins…


Les Souvenez-vous sont des choses,
Faites de rayons et de roses.

Ils disent les espoirs défunts,
Tissés de rêve et de parfums.

Les matins de fraîche lumière,
Où fleurissait notre prière.

Les midis rayonnants de jour,
Où s’alanguissait notre amour.

Les soirs de tristesse pensive,
Où l’on voit si loin sur la rive…

Ils disent l’enclos, les moissons
Les fleurs, les fruits et les chansons,

L’espalier, l’allée et les treilles,
Remplis de frelons et d’abeilles.

Tout ce que l’Avril nous promet,
Que l’été ne donne jamais ;


Et ce peu que l’été nous donne,
Si vite fané par l’automne…

Ils disent, les Souvenez-vous,
Ce qui fut douloureux et doux.

L’espoir et l’amour et la tombe,
Ce qui s’élève, ce qui tombe…

Ils sont le contour effacé
Des paysages du Passé…


II

Souvenez-vous de notre enfance,À ma sœur.

Souvenez-vous de notre enfance,
Remplis du miel de la candeur,
Parfumés de la bonne odeur,
Du printemps nouveau qui commence.

Sur le balcon enguirlandé
De lierres et d’aristoloches,
Notre rêve s’est accoudé,
Pour entendre chanter les cloches ;
Et, pour les voir, il s’est penché :
Elles jasent, l’une après l’une
Dans les dentelles du clocher,
Rose d’aurore ou bleu de lune…
Quand elles mêlent leur babil,
On ne retrouve pas le fil
De leur histoire ;
Mais c’est frais et c’est puéril,
Comme si les muguets d’avril
Clochetaient tous dans la mémoire !


Puis, c’est l’espoir carillonneur,
Carillonnant notre jeunesse,
Carillonnant tant de bonheur,
Que le cœur saute d’allégresse.



Oh ! les rythmes fous, éperdus,
Dont l’harmonie est si sonore,
Qu’après les avoir entendus
On voudrait les entendre encore !


Quel tumulte, que de rumeurs !
Chaque son monte, fuse, trille,
S’envole, revient, s’éparpille,
Parce qu’un cœur de jeune fille
S’éveille dans le soir qui meurt !


Cloches d’amour des fiançailles,
Légères dans les clairs matins,
Qui faites si grands les jardins,
Où nos premiers rêves tressaillent.


Et vous sonnant pour l’avenir,
Cloches troublantes et divines,
Annonçant au creux des poitrines,
L’être choisi qui doit venir !



Sonnez, les cloches bien-aimées,
Pour que viennent s’épanouir
Les roses d’or du souvenir,
Devant nos paupières fermées.


Le Passé revient pas à pas,
Cloches lentes, au crépuscule,
Sonnez, lorsque le jour recule,
L’Angelus que l’on dit tout bas :


Cloches des heures abolies,
Sonnez pour ces ensevelies.
Cloches des profondes amours,
Sonnez toujours, sonnez toujours !


Sonnez quand nos forces s’épuisent,

Dites-nous l’ancien bonheur,
Pour que ses rayons de douceur,
Comme des étoiles qui luisent,
Brillent au ciel de notre cœur !