Les souvenez-vous/Musique
MUSIQUE
Vos mains fines passaient sur le clavier d’ivoire
Ainsi que des oiseaux diaphanes et doux,
Et le thème éveillait au fond de ma mémoire
L’écho dormant de très anciens Souvenez-Vous.
Car les sons, de leurs voix vivantes et pressées,
Savent ressusciter l’âme du Souvenir.
Ils ouvrent des chemins par où l’on voit venir
Des formes qu’on croyait à jamais effacées…
Ils sont purs et légers comme un matin d’avril,
Souples, multipliés, mouvants comme des ondes,
Ils sont le grand archet de rêve, dont le fil
Promène sa ferveur sur nos fibres profondes.
Et puis, voici qu’ils sont comme un hymne cruel
Répercutant des cris héroïques de guerre ;
Et puis, voici qu’ils sont doux comme une prière,
Qui pourrait entrouvrir quelque porte du ciel.
Écoutez, écoutez ce chant : c’est l’églantine,
Dont l’étoile fleurit au penchant du buisson ;
C’est un souffle des bois qui passe et nous câline ;
C’est, d’un amour craintif, la première chanson ;
Et puis, c’est de la vie ; et c’est grave et c’est triste ;
Et ce sont les vieux nids désormais superflus,
Et les rameaux séchés qui ne verdiront plus,
Et tous les cœurs trahis que personne n’assiste.
Oh ! tristesse ! Oh ! douceur ! Oh ! pénétrant frisson
Que la musique apporte en nous ; chère torture,
Dont le charme enivrant se renouvelle et dure
Tant que dure l’appel impérieux du son.
Musique en broderie et musique en dentelles,
Ou musique éclatante aux sons cuivrés et lourds,
Musique des combats aux tournoyantes ailes,
Ou musique d’amants aux traînes de velours,
Vous êtes une auguste et magnifique fée,
Et sur les cœurs à vous, agitant l’encensoir,
Parfois vous leur jetez, comme un divin trophée,
Les parfums du printemps et les baisers du soir.
Vous leur offrez, avec la jeunesse et les roses,
Tout l’émerveillement des espoirs infinis,
Et, pèlerins d’amour, qu’un chant a rajeunis,
Ces cœurs ne savent plus les heures ni les choses.
Voilà pourquoi, lorsque vos voix se sont éteintes,
Que les mains au repos ne les rappellent pas,
Tout au profond de nous, comme en un geste las,
Nous reprenons la vie et son mal et ses craintes.
Mais lorsque vous régnez, tous nous vous bénissons,
Car pour tous vous avez, ô féconde, ô déesse,
Des larmes pour les deuils, des cris pour l’allégresse,
Et du soleil qui rit dans toutes vos chansons !