Les textes de la politique française en matière ecclésiastique 1905-1908/Déclaration

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Collectif
Librairie critique Émile Nourry (p. 194-195).



DÉCLARATION



La France est aujourd’hui complètement séparée de l’Église qui l’appelait sa fille aînée. La France est, de tous les vieux États, le seul dont la politique ne s’inspire d’aucune religion ou irréligion, d’aucune organisation religieuse ou irréligieuse, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur.

Pour obtenir cette émancipation, cette reconnaissance de sa majorité, elle n’a mis que trois ans, et il n’a fallu que trois lois : lois condamnées, il est vrai, par le Pape, mais qui fonctionnent tout de même, car il n’a pu qu’empêcher le clergé d’en profiter, il ne pouvait pas l’empêcher d’y obéir.

C’est la première fois qu’un État se sépare d’une Église aussi tranquillement et pacifiquement. En effet, cette grave séparation n’a dérangé ni les croyants, ni l’État ; nulle part le culte n’a été troublé, et les simulacres de résistance organisés dans quelques paroisses, ne semblent déjà plus intéressants que par leur archaïsme.

Cette tranquillité montre bien le progrès des mœurs et des esprits depuis cent ans, depuis la première année de la Révolution, quand la Constitution civile du clergé, d’ailleurs moins respectueuse des exigences romaines que nos trois lois de séparation, déterminait le conflit de la France révolutionnaire avec son roi d’abord, avec les provinces de l’Ouest ensuite, conflit d’où sortit une guerre de vingt ans d’un bout à l’autre de l’Europe.

Du récent conflit il n’est sorti que des polémiques. En France, l’expérience a déjà fait justice des calomnies et faussetés répandues par la presse romaine. Mais à l’étranger, elles ont laissé des traces, qu’il s’agit d’effacer.

Qu’on ne s’étonne pas de cet appel à l’opinion étrangère. Les Français n’oublient pas qu’en 1904 le Saint-Siège dénonça leur gouvernement à toutes les puissances, parce que le président Loubet s’était permis de visiter un roi sans l’autorisation du pape. Ils n’oublient pas aussi que tous les peuples, quand une fièvre d’idéalisme les saisit, commencent par chanter la Marseillaise.

Nous imitons aujourd’hui l’empereur d’Allemagne Frédéric II qui, dans un cas pareil, écrivait aux rois le 20 avril 1239 : « Il sera facile au pape d’humilier les autres rois et princes, si la puissance de l’Empire, contre qui ses premiers coups sont dirigés, est écrasée. Nous invoquons donc votre appui, afin que le monde sache que notre honneur commun est en cause chaque fois qu’un prince laïque est attaqué ».