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Les trois chercheurs de pistes/07

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Bibliothèque à cinq cents (p. 20-25).

CHAPITRE VII
FEU ET ENNEMIS

Il est probable qu’aucun homme ne souffrit jamais de plus poignante angoisse que Munroe durant sa course furibonde vers sa demeure, après qu’il eut entendu le signal de l’Apache qui avait découvert la maison.

La vitesse effrayante de son cheval lui paraissait lente comme la marche d’une tortue.

Quand Munroe bondit par-dessus les taillis il vit tout l’emplacement rempli d’Apaches hideux.

Des ennemis sortaient de tous les bouquets d’arbres. Il vit Marion et son enfant et tourna vivement son cheval pour ne pas les fouler aux pieds.

Quand il les eut dépassés, il partit comme un trait, sachant qu’il lui était impossible d’arrêter son cheval à ce moment pour saisir sa femme et son enfant afin de fuir. Ils auraient été tués tous les deux avant de pouvoir accomplir cet acte téméraire.

Munroe savait bien que la fuite était impossible pour Marion. Il n’ignorait pas non plus que son sort était scellé quand son cheval se précipita au milieu de la horde d’Apaches. Mais il résolut que le cri de mort des Apaches retentirait souvent avant que leurs flèches vinssent à lui percer les entrailles.

Il savait que les sauvages l’avaient reconnu à son cri de guerre ; par conséquent ils essayeraient de le capturer pour le torturer, mais avant d’arriver à ce but, Munroe se proposait de leur tuer le plus de guerriers possible.

Les signaux du chef prouvèrent que Madison pensait vrai, car il comprenait chaque cri et chaque hurlement de ses ennemis.

Alors il n’essaya plus de retenir ou de guider son cheval.

Il pointa ses revolvers à droite et à gauche et tira aussi vite qu’il put le faire.

La horde Apache recula, effrayée par cette héroïque attaque. Chaque cabriole du cheval faisait sortir des jets de feu des canons meurtriers, qui semaient la mort parmi les sauvages. C’était un spectacle frappant et terrible que ce vengeur se battant contre ces soixante guerriers sauvages au milieu des cris et des hurlements les plus féroces.

Les Apaches bariolés, la tête ornée de plumes flottantes, levaient les bras au ciel, pressant encore leurs armes dans l’étreinte de l’agonie et la figure contorsionnée, tombaient en exhalant leur dernier cri avec leur dernier soupir.

Les flèches volaient drues dans l’air, toutes paraissant dirigées sur le cheval de Munroe qui en reçut une vingtaine dans les flancs et le cou. Le sang de toutes ces blessures jaillit sur les blessés et sur les corps des victimes du jeune éclaireur.

Alors des flammes s’élancèrent de la maison, et le noble coursier de Madison s’abattit. En même temps une douzaine d’Apaches s’élançaient sur Munroe, qui lança sur eux avec une force terrible, ses révolvers vides et inutiles.

Il saisit alors son coutelas, et se battit avec fureur jusqu’à ce qu’il fut blessé d’un coup de hache.

Quand il tomba sans connaissance et couvert de sang il n’avait cependant pas encore reçu de blessure sérieuse.

De nouveaux hurlements de triomphe suivirent la chute de l’éclaireur détesté mais fort redouté.

Rien n’aurait pu décider les Apaches à donner la mort à leur ennemi. Il s’était montré grand guerrier, chef sans peur, et pour cela il méritait la mort lente d’un brave, mort qui éprouverait son courage jusqu’à la fin.

Très peu de chagrin fut manifesté par les sauvages pour la mort de leurs frères, car aucun n’avait été scalpé, ce qui devait leur donner droit d’entrer dans la belle vallée de la lune, où, d’après les croyances Apaches « l’herbe est toujours verte, les rivières éternelles, le gibier abondant et les mustangs aussi légers que le vent. »

Les Apaches étaient justement transportés de joie, car ils venaient de faire un pillage en règle chez les habitants du Rio Llano et de San Saba et pour comble ils avaient capturé un ennemi implacable et longtemps redouté. En outre sa femme et son enfant étaient en leur pouvoir, et sa demeure avait été pillée et brûlée.

Tout ceci se passait à moins d’une heure de marche du camp Johnston où un détachement de « longs couteaux » (la cavalerie) attendait une saison favorable pour envahir les terrains de chasse des sauvages, et ce détachement devait être guidé par ce même éclaireur qu’ils venaient de capturer. Le succès était en effet inouï pour les Apaches, qui n’en pouvaient cesser leurs danses devant la maison en feu de leurs victimes.

Ils lièrent d’abord Munroe qu’ils qualifièrent « Grand Médecin » parce qu’il s’était montré presque invincible.

Deux jeunes sauvages gardèrent Marion, qui perdit connaissance quand la main de l’un d’eux se plaça sur son épaule. Elle fut attachée, et l’un des misérables allait fracasser le crâne de son enfant contre un arbre quand le chef « Loup Rouge » intervint et donna des ordres à ce sujet qui parurent satisfaire les principaux guerriers.

Marion fut placée près de son mari et l’enfant à ses côtés : un guerrier fut préposé à leur garde, quoique l’éclaireur et sa femme fussent encore sans connaissance. Le butin pris dans la maison, fut transporté ainsi que les morts, et plus tard les captifs, de l’autre côté du Rio Concho sur un radeau de bois flottant construit pour cet objet.

Le déménagement fut vite opéré, car les sauvages craignaient que la lueur de l’incendie ne fut aperçue du camp Johnston. Dans ce cas, un détachement de troupe serait envoyé pour en rechercher la cause.

Les captifs furent liés à terre dans le camp indien, et immédiatement les Apaches résolurent de faire une course nocturne afin de prévenir une attaque des « longs couteaux. »

Munroe et Marion recouvrèrent bientôt connaissance et regrettèrent tous deux de n’avoir pas été tués, en voyant leur affreuse position.

L’éclaireur savait bien le sort terrible qui lui était réservé, mais il ne pensait qu’à sa pauvre femme et à son enfant ; la destinée probable de Marion le rendait presque fou.

Il avait été surpris, en recouvrant connaissance, d’entendre les faibles cris de son enfant. Il avait cru qu’il serait tué de suite comme c’était l’usage ordinaire parmi les sauvages. Les jeunes enfants avaient le crâne fracassé de peur que leurs cris ne trahissent leurs capteurs. Si Munroe avait connu le plan infernal que le chef avait conçu pour son enfant, son agonie morale aurait encore augmenté, quoique cela parut impossible dans les conditions où il se trouvait.

En recouvrant connaissance Marion avait été au comble de la joie. Son mari vivait encore et n’était pas grièvement blessé, mais la douleur peinte sur sa figure, et l’expression affreuse de ses yeux, fit regretter à la pauvre femme d’avoir été épargné tous les deux.

La mort les aurait délivrés du sort affreux qu’ils ne pouvaient éviter. Leur entourage était si épouvantable et leur position si désespérée, qu’aucun d’eux ne parlait, bien que leurs yeux exprimassent beaucoup.

Madison ne crut pas que la lueur de l’incendie de sa maison pût être vue du camp Johnston, à cause des arbres élevés situés à l’est du poste, ou, si elle l’était, on l’attribuerait probablement à un simple feu de prairie si commun dans ces régions de l’ouest. Par conséquent il n’y avait aucun secours à espérer des troupes.

L’absence de Munroe, le lendemain, éveillerait les soupçons, et le commandant enverrait sans doute un soldat pour en savoir la cause. Mais alors, cela ne serait que de très peu d’utilité. Les Apaches seraient alors trop loin pour être rejoints et leurs pistes, s’ils se dirigeaient vers l’ouest, seraient déjà effacées par les troupeaux de buffles. Enfin, il y avait si peu d’espoir de délivrance que même si l’on venait au secours, Munroe et les siens seraient tués avant que les soldats pussent arriver à eux.

Le brave éclaireur ne pouvait que par un effort surhumain, réprimer des gémissements de désespoir. Mais ce désespoir n’était pas provoqué par l’idée de son propre sort. Il pensait à sa femme, à son pauvre enfant et aux tortures auxquelles ce dernier serait condamné par ces horribles démons rouges.

Sa seule espérance était que son enfant se mit à crier et à pleurer au point de provoquer les Sauvages et de les forcer à le tuer de suite, ce qui le sauverait de la mort lente, qui lui était sans doute réservée.

Le soleil était descendu à l’horizon et la course de nuit se continua au clair de la lune.

Munroe fut brusquement jeté en travers d’un cheval et lié à l’animal au milieu des cris et des railleries de la bande sauvage ; il ne dit pas un mot, ne proféra pas une plainte. Le silence de Madison exaspéra tellement les sauvages qu’ils saisirent Marion par les bras et la traînèrent par terre jusqu’au cheval sur lequel elle devait être attachée, puis la jetant rudement sur l’animal, ils la lièrent fortement en lui causant de vives douleurs.

Pendant cette scène, un autre sauvage tenait l’enfant par une jambe, la tête en bas et le petit criait terriblement de peur et de douleur.

Munroe écumait de rage. Il grinçait des dents avec fureur et ses yeux brillaient d’un éclat sauvage. Il se tordait et faisait des efforts inouïs pour rompre ses liens.

— « Chiens, loups de prairie, lâches » criait-t-il « déliez-moi et je vous rosserai tous. Les Apaches sont des femmes qui n’osent pas se battre avec des hommes. Les loups des Pécos devraient mettre des jupons et n’aller jamais à la guerre : ils ne peuvent se battre qu’avec des femmes et des enfants. Je crache sur vous ! Les cris de vos guerriers mourants sont de la musique à mes oreilles, et ma maison était remplie de chevelures apaches avant que vous l’ayez brûlée. « Mauvais Médecin » va être sur vos pistes, car vous avez brûlé les chevelures de beaucoup de guerriers haut placés dans le conseil de vos tribus de chiens lâches. Munroe l’Enragé entendra votre dernier cri avant qu’il meure. Vous ne pouvez pas me tuer. Le « Grand Esprit » enverra les « Longs couteaux » sur vos traces. À présent mes paroles ont retenti et j’ai fini de parler ! »

L’éclaireur parla d’un ton si menaçant que les sauvages commencèrent à croire que le malheur allait les suivre pour avoir brûlé les chevelures de leurs frères. Le chef était furieux contre ses hommes parcequ’ils n’avaient pas mieux examiné la maison avant d’y mettre le feu.

Ils auraient alors trouvé les chevelures et les auraient enterrées avec les morts afin que ceux-ci pussent les emporter sur « le rivage noir » et cesser d’y errer pour avoir été dépourvus de leur chevelure sans laquelle ils ne pouvaient entrer dans la « Vallée bienheureuse. »

On ne fit plus aucun mal aux captifs. Les Apaches semblaient pressentir un grand danger parce que les chevelures de leurs braves avaient été brûlées par leur propre faute. La bande indienne sortit du camp sur une longue ligne suivie des captifs qui étaient séparés, Munroe marchant en avant et Marion en arrière avec son enfant.

Ils s’avancèrent ainsi, à travers les ténèbres, suivant pendant quelques milles les bois qui bordent le Rio Concho. Puis ils traversèrent le ruisseau à gué et continuèrent vers l’ouest à travers les prairies, dans la direction de la grande région du pays des buffles.