Les vertus du républicain/07

La bibliothèque libre.
Charles Furne Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 37-40).


vii.

LA MODÉRATION.


Sainte modération aux jours de colère on t’avait flétrie du nom repoussant de modérantisme. Viens sans crainte présider aux débats fraternels qui vont s’ouvrir. Il n’y a rien qui puisse t’effaroucher dans ce concert touchant de bouches amies, qui appellent de toutes parts la concorde et la paix. Les notes discordantes, s’il y en a, n’arriveront pas jusqu’à toi ; elles se perdront en route, dans les harmonies gigantesques de la voix commune.

La modération n’est pas le juste milieu. Le juste milieu entre le vrai et le faux, entre le juste et l’injuste, il ne faut pas y penser.

La modération n’est pas la faiblesse, la faiblesse qui voit le but, et s’arrête en chemin ; qui voudrait avancer, et recule.

La modération n’est pas non plus la peur, ni la froideur, ni la trahison, ni rien de tout ce qui voudraient bien supposer les esprits d’emporte pièce qui se ruent, comme des sangliers blessés, à travers des fourrés dont chaque branche est un homme.

La modération est cette vertu suprême des forts et des généreux qui triomphent modestement, et n’ont pas besoin d’insulteurs apostés, comme autrefois les triomphateurs romains, pour se rappeler qu’ils sont des hommes.

La modération est l’opposé de l’exagération : c’est la meilleure définition qu’on puisse en donner ; c’est le plus bel éloge qu’on puisse en faire.

La sagesse dans la raison, la mesure dans l’acte, le respect du droit d’autrui dans la lutte au nom de son propre droit, tout cela s’appelle la modération, tout cela est digne de faire partie du bagage d’un républicain.

Otez l’orgueil, la rancune et l’égoïsme du cœur d’un homme, vous avez fait une belle place où peut se loger la modération.

Nous avons aussi besoin de cette vertu-là avec les autres. Si nous avions l’imprudence de l’oublier sur la liste, nous pourrions payer cher cet oubli. Les vertus se tiennent toutes par la main : si, dans la ronde sacrée, l’une des sœurs vient à manquer à l’appel, la chaîne brisée s’en va bientôt flottant au hasard, et tout s’envole en un clin d’œil.

Amis, jurez-moi d’être modérés. Notre salut en dépend. Point d’excès sans réaction, cela est inévitable ; toutes les révolutions sont nées d’un excès ; tous les pouvoirs tombés sont morts d’un excès. Nous en sommes nés, n’en mourons pas.

Vous savez l’histoire de l’ours qui pour délivrer son ami d’une mouche importune, écrasa d’un pavé et la mouche et la tête de l’ami trop bien servi. Toutes les fois qu’un ami viendra, pour vous sauver d’un embarras, vous proposer un excès, dites : C’est le pavé de l’ours.