Les vertus du républicain/06

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vi.

LA CONSTANCE


Voici une vertu difficile, une vertu qui ne serait pas indigène, s’il fallait en croire les mauvaises langues.

J’ose espérer que nous leur donnerons tort. Les Français de Louis xv pouvaient bien, sans trop y prendre garde, se laisser traiter de frivoles et de légers : nous, cela ne nous est pas permis.

Une chose me rassure, c’est que les Allemands, au milieu du siècle dernier, nous avaient appelé : un peuple de coiffeurs et de danseurs, et qu’à quelque temps de là Napoléon, dans sa langue monumentale, nous appelait : la grande nation, sans que rien autre chose au monde, si ce n’est la modestie, pût y trouver à redire.

Citoyens, il nous faut ici de la constance. La constance, c’est le courage dans la conduite ; le plus difficile, parce qu’il est le plus long, mais aussi le plus glorieux des courages. S’il n’y a rien de trop glorieux pour nous, il faut que rien ne nous paraisse trop difficile.

Nous vivons si richement en France de la vie du moment, que nous oublierions volontiers ce qui s’est passé la veille, si nous nous laissions aller à notre pente. Maintenant que ces flots tumultueux, qui ont inondé la cité, sont rentrés d’eux-mêmes dans leur lit, que les pavés renivelés livrent passage aux voitures, que les armes vagabondes, et les couleurs rivales disparaissent une à une, et que rentrant chez vous vous ne trouvez rien de changé, dites, amis, ne seriez-vous pas tentés de croire que vous avez rêvé ?

Oh ! vous n’avez pas rêvé. On a brisé les barrières, et tout ce monde de pensées nouvelles qui ont envahi vos têtes et vos cœurs, il faut maintenant les garder pour toujours. Ce ne sont pas des oiseaux de passage : elles ont conquis leur droit de cité.

Un républicain sans constance est un soldat sans armes. Or, nous sommes républicains. Le mot rend encore un son étrange à nos oreilles : c’était hier une injure, et nous l’écoutons, étourdis, sans le bien comprendre encore. Mais la chose est faite : il n’y a pas à y revenir.

Nous sommes républicains, c’est-à-dire qu’avec le lien qui nous attachait à lui, nous avons jeté le bouclier ; c’est-à-dire que désormais ce qui s’appelait autrefois le gouvernement ne saurait plus être qu’un écho, l’écho de la volonté publique ; c’est-à-dire qu’il faut payer aujourd’hui de sa personne, penser tous à ce qui est juste, et le vouloir ; c’est-à-dire que l’intérêt privé, libre et joyeux tout à l’heure, doit rentrer désormais sous terre, quand vient à passer l’intérêt commun.

Je parle à tous ici, aux petits comme aux grands. Nous avons congédié nos hommes d’affaires : il faut les faire nous-mêmes à cette heure.

Qu’allons-nous devenir, si nous n’avons pas la constance ?

Aussi bien nous l’aurons, ne serait-ce que parce que nous ne pouvons pas faire autrement. Le lâche au pied du mur devient de force un héros ; et nous ne sommes pas des lâches, Dieu merci.

La constance qu’il nous faut, c’est la constance dans le bien.

Sachons bien tous que l’honnêteté absolue est pour longtemps encore de rigueur. Je dis pour longtemps, parce que je veux bien laisser ici de côté le devoir, qui est éternel ; je parle uniquement du danger qu’il y aurait à être malhonnête. Plus tard, quand là société aura trouvé ses bases, qu’elle cherche encore, les mains en avant, plus tard il y aura une place pour l’indulgence dans le cœur généreux de la patrie ; mais à cette heure décisive où la société joue sa vie à pile ou face, malheur à qui voudrait la tricher !

Ah ! ce n’est pas le tout de jeter au vent ses lunettes et ses béquilles, ses jambes et ses yeux d’emprunt ; il faut marcher droit ensuite, voir clair, et se tenir ferme sur ses pieds. Il faut de la volonté pour être républicains, et vous l’êtes sans rémission.

Que personne ne me dise qu’il n’en voulait pas de ce titre, lourd à porter. Il le fallait : le terme était venu. Par cette porte ou par toute autre, il fallait entrer ici. Le terrain nous manquait là-bas, et ce que la résistance a précipité, la condescendance le laissait venir fatalement. Ce qui est juste ne se proclame pas pour rire, Notre troisième révolution est sortie d’une envie de banquet, absolument comme la première d’un embarras financier. Quand le fruit tombe, ce n’est pas parce qu’on a secoué l’arbre, c’est parce qu’il était mûr.

Nous avons bien commencé : persévérons. Le plus fort est fait. Nous avons traversé avec un courage et une sagesse de bon augure une crise terrible qui pouvait tout perdre, où nous étions tous à la merci d’une faiblesse, d’un mauvais vouloir, d’un malentendu. Persévérons, et soyons confiants. Dieu doit être content de nous.

La constance est légère quand elle est soutenue d’un côté par la conscience, de l’autre par la nécessité.