Aller au contenu

Les vertus du républicain/11

La bibliothèque libre.
Charles Furne Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 56-59).


xi.

LA JUSTICE.


Cette révolution-ci a été prêchée au nom de la justice.

Ceux qui l’ont faite, sans savoir peut-être où ils allaient, se sont levés, emportés, à l’aveugle, par un sentiment irrésistible, l’horreur de l’injustice.

Ceux qui l’ont acceptée, faite sans eux, ou même malgré eux, ont obéi avec une noble soumission à un maître, toujours vainqueur dès qu’il paraît, au sentiment de la justice. Tant que nous serons justes, je n’ai peur de rien, ni de personne. Nous pouvons tout faire et tout braver. Dieu sera avec nous.

Si nous cessons d’être justes, il faut nous disposer à périr. Nous pourrons disputer notre vie, lutter avec le châtiment, fuir devant la vengeance boiteuse. Elle est infatigable, elle saura toujours nous atteindre.

Le scélérat, endurci au crime, vole et tue, et dort insolemment d’un sommeil d’enfant. Mais un remords au cœur d’une nation, trouble à jamais son sommeil. Nous serions les premiers-nés de l’histoire, et nous n’aurions pas de passé, que je dirais cela sans hésiter. Une nation a le cœur honnête. C’est pour cette raison que la voix du peuple a été appelée la voix de Dieu.

Amis, veillez sur notre révolution. Elle ne nous appartient pas à nous tout seuls. Le sort du monde en dépend.

Le monde averti nous regarde, palpitant d’espoir et d’effroi. Toutes les oppressions vont crouler, si nous vivons, crouler sans guerre et sans larmes, ainsi que doit s’accomplir une œuvre du ciel. Les peuples qui nous été confiés, nos fils futurs en bonheur et en liberté, les peuples attendent pleins d’une joyeuse angoisse, ce que nous allons faire du dépôt divin. Notre salut, c’est une dette d’honneur que nous ayons à leur payer. Une dette d’honneur ! acquittons-la.

Que personne ne me dise que l’on peut se tromper sur ce qui est juste. Les intérêts et les passions habitent à la surface du cœur, et quand vous y regardez, en passant, vous ne voyez rien que cette troupe hideuse et désordonnée. Plus loin, frères, ce sont là les faubourgs. Descendez dans la cité, fouillez-la s’il le faut, demandant aux portes la justice ; vous ne sortirez pas sans l’avoir trouvée. Allez, c’est le même Dieu qui a fait tous les hommes.

Pour moi, j’ai parcouru nos rues et nos places, alors qu’elles étaient inondées par cette foule immense, sortie comme par enchantement des entrailles soulevées de la ville, et si je suis rentré chez moi plein de confiance, c’est que partout j’ai trouvé l’amour, le besoin de la justice. Sans doute que les intérêts et les passions grondaient encore, mais, nulle part, ils n’osaient éclater. C’étaient là les vrais vaincus.

C’est pour cela que j’ai confiance. Les égoïstes et les insensés, oui certes, il en reste encore. Ne demandons pas trop à l’humanité. Mais nul n’osera réclamer une chose injuste ; une chose juste, nul n’osera la refuser. Ceux qui oseraient ne seraient pas les plus forts.

Amis, balayons la surface, et faisons place nette à la justice. C’est elle qui nous a guidés au combat : quitter son étendard, ce serait une trahison. Et puis toujours cette raison victorieuse qui retombe sans cesse sur nous, comme un marteau sur l’enclume. Quitter cet étendard, nous ne le pouvons pas.