Les vertus du républicain/10

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Charles Furne Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 52-55).


x.

LA FRANCHISE.


Salut ! vertu des hommes de cœur ; vertu des nobles natures, salut !

Viens, que je serre la main généreuse, ta main qui n’a jamais trahi.

Non, tu n’es pas la brutalité, qui n’a pas d’âme ; tu n’es pas l’insolence qui n’a pas de cœur, l’indiscrétion qui n’a pas d’esprit. Tu es intrépide et douce, intelligente et simple. Ta bouche, avec un fraternel sourire, ta bouche aimable dit la vérité, et ne la hurle pas.

La franchise républicaine ne connaît point d’amis ni d’ennemis. Elle sait dire à son frère : « Tu as tort, » à son rival : « Tu as raison. » Elle s’immole elle-même de bonne grâce, quand on lui montre ce qu’elle ne voyait pas.

Amis, ne sentez-vous pas en vous-mêmes quelle joie ce serait dans le ciel et sur la terre, si nous étions tous francs les uns envers les autres, quels soucis, quelles angoisses le mensonge traîne partout derrière lui, et combien il est triste d’user sa sueur et son temps à creuser péniblement dans l’ombre des conduits étroits et tortueux, quand il y a là, sous le soleil, une route si large, si droite, et si bonne au pied, la route de la vérité.

On dit que le mensonge est un rempart, et que l’homme franc marche au combat sans cuirasse. Ah ! que cette cuirasse-là était lourde et gênante, comme on la perçait bien vite à jour, et qu’il était facile d’en trouver le défaut ! Je ne voudrais pas remuer, d’un pied sacrilège, la cendre des morts ; mais dites-moi par où ont été touchés au cœur les hommes puissants qui viennent de tomber.

Les secrets d’État ! Il y a longtemps que ce mot de plomb me pèse. Les secrets qui sont la fable de la ville ! les secrets de Polichinelle, diraient les enfants. Une chose si vulgaire à cette heure qu’elle est tombée dans le théâtre de Scribe ; et que l’homme d’esprit me comprenne : n’entend pas qui veut ce qui bruit à l’oreille de tout le monde. Au panier, vos secrets d’État ! Le vrai secret, maintenant, le secret de la force et de la vie, c’est la franchise.

Ah ! s’il nous fallait voir plus tard les chefs d’un grand peuple ruser et marchander, comme des brocanteurs ; s’il nous fallait encore jouer la comédie, et cacher une défroque dans la coulisse, je dirais à Dieu : « Ce n’était pas la peine de nous avoir fait changer ! »

Et nous autres, frères, ne jouons pas au plus fin entre nous. Soyons francs. N’ayons pas nos secrets d’État, nos secrets qui se devineraient en un jour, qui seraient contre-minés par d’autres secrets. Ne nous poursuivons pas tremblants et aveuglés sous la terre. Allons droit l’un à l’autre, à la face du ciel, les mains ouvertes et le front au vent, comme il convient à des hommes libres, à des républicains.

Républicains ! encore une fois, c’est fait, nous le sommes. Ayons les vertus de notre état. Nous pouvions peut-être nous en passer tout à l’heure, si l’homme peut jamais se passer d’une chose qui est une vertu. Nous ne le pouvons plus aujourd’hui. Croyez-moi, remercions Dieu. Ce qu’il fait est bien fait.