Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Baccio d’AGNOLO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (2p. 222-225).
Baccio d’AGNOLO
Architecte florentin, né en 1462, mort en 1543

Dans sa jeunesse, Baccio[1], s’appliquant avec succès à la marqueterie, fit les stalles du chœur de Santa Maria Novella, où se trouvent un saint Jean-Baptiste et un saint Laurent d’une rare beauté. Il exécuta, dans la même manière, l’ornementation de cette chapelle, celle du maître-autel de la Nunziata[2], et le buffet d’orgue de Santa Maria Novella[3], ainsi qu’une foule d’ouvrages analogues, pour la commune ou pour des particuliers, à Florence, sa patrie, d’où il s’en alla ensuite à Rome, où il se consacra, avec beaucoup d’application, à l’étude de l’architecture.

De retour à Florence, il éleva plusieurs arcs de triomphe en bois, lors de la venue du pape Léon X. Ces travaux ne l’empêchèrent pas de tenir ouverte sa boutique. Aussi, l’hiver, des citoyens distingués et les premiers artistes de l’époque, tels que Raphaël d’Urbin, dans sa jeunesse, Andrea Sansovino, Filippino, le Maiano, le Cronaca, Antonio et Giuliano da San Gallo, le Granacci, et d’autres jeunes gens, florentins ou étrangers, s’y rassemblaient pour tenir de beaux discours et discuter d’importance sur les arts ; Michel-Ange y prenait part aussi, mais plus rarement.

S’étant donc consacré de cette manière à l’architecture et ayant fait quelques essais de ce qu’il savait, il commença à être en crédit à Florence, au point que les constructions les plus considérables de l’époque lui furent confiées. Piero Soderini étant gonfalonier, Baccio, avec le Cronaca et d’autres architectes, fut appelé aux délibérations[4] qui eurent lieu au sujet de la grande salle du palais ; il y sculpta de sa main, et sur le dessin de Filippino, le cadre en bois du grand tableau ébauché par Fra Bartolommeo. En compagnie des mêmes artistes, il fit l’escalier qui conduit à la grande salle, ainsi que les colonnes et les portes de marbre de la salle que l’on appelle aujourd’hui celle des Deux-Cents.

Sur la Piazza di Santa Trinità, il construisit un palais très orné à l’intérieur[5], pour Giovanni Bartolini, puis il dessina les jardins de Gualfonda pour le même[6]. Comme ce palais fut le premier édifice où l’on vit des fenêtres carrées ornées de frontons, et la porte accompagnée de colonnes soutenant l’architrave, la frise et la corniche, cette innovation de Baccio lui attira le blâme des Florentins, qui l’accablèrent de railleries et de sonnets satiriques. Ils attachèrent à la façade des guirlandes de feuillages, comme on fait aux églises les jours de fête, disant que son bâtiment avait plutôt la forme d’une église que d’un palais. Baccio fut sur le point de perdre la tête ; toutefois il passa outre, en songeant qu’il était dans la bonne voie et que son édifice se tenait. À la vérité, la corniche de tout le palais a trop de hauteur, mais le monument a toujours été fort admiré.

Pour Lanfredino Lanfredini, il bâtit une maison[7] le long de l’Arno, entre le Ponte a Santa Trinità et le Ponte alla Carraia ; il commença ensuite, sur la Piazza de’ Mozzi, la maison des Nasi, qu’il ne termina pas[8]. La belle et commode habitation des Taddei est également de lui[9]. Il donna à Pierfrancesco Borgherini les dessins de la maison que celui-ci construisit au Borgo Sant’Apostolo[10], et dans laquelle on remarque la richesse des ornements des portes et la beauté des cheminées. Baccio y sculpta, pour l’ameublement d’une chambre, des coffres en noyer couverts de petits enfants, d’un fini que personne aujourd’hui ne serait capable d’égaler. Il fournit de plus les plans de la magnifique villa que Borgherini éleva sur la colline de Bellosguardo[11] ; pour Giovan-Maria Benintendi, une antichambre et des cadres d’ornement pour des tableaux de maîtres excellents. Il fut le modèle de l’église San Giuseppo da Santo Nofri et éleva la porte qui fut sa dernière œuvre. Il présida à la construction du campanile de Santo Spirito, à Florence, mais il n’en vit pas l’achèvement ; le duc Cosme a ordonné, de nos jours, de le terminer sur le dessin de Baccio. On lui doit aussi le campanile de San Miniato al Monte[12], qui ne put pas être détruit par l’artillerie du prince d’Orange pendant le siège de Florence, et dont la renommée est due autant au mal qu’il causa aux ennemis, qu’à la bonté et la beauté que Baccio sut mettre dans sa construction.

Grâce à son mérite et à l’amitié que lui portaient ses compatriotes, Baccio, ayant été nommé architecte de Santa Maria del Fiore, donna les dessins de la galerie extérieure qui fait le tour de la coupole que la mort de Filippo Brunelleschi avait fait laisser de côté, bien qu’il en eût fait les dessins aujourd’hui perdus, à cause de l’incurie des fabriciens. Baccio, ayant donc refait le dessin et le modèle de cette galerie, fit exécuter toute la partie qui se trouve face au Canto de’Bischeri[13] ; mais Michel-Ange Buonarroti, à son retour de Rome, voyant qu’on a abattait les pierres d’attente laissées à dessein par Brunelleschi, fit tant de bruit que l’on arrêta les travaux. Il lui semblait, disait-il, que Baccio avait fait une cage à grillons, que cette immense masse de la coupole demandait une chose plus grande, faite sur un autre dessin, avec plus de science et de beauté qu’il n’y en avait dans le dessin de Baccio et il ajoutait qu’il montrerait comment on devait opérer. Il présenta donc un autre modèle et la chose fut discutée longuement entre artistes et connaisseurs, en présence du cardinal Jules de Médicis ; finalement ni l’un ni l’autre de ces projets ne fut mis à exécution. Celui de Baccio fut vivement blâmé, non parce qu’en lui-même il était mal proportionné, mais parce qu’il était mesquin, en raison de l’immensité de l’édifice ; voilà pourquoi la galerie n’a jamais été achevée. Baccio s’occupa ensuite du pavement de Santa Maria del Fiore et de diverses entreprises importantes. Il avait la charge d’entretien des principaux monastères et couvents de Florence et de quantité de maisons particulières. Il était encore robuste et possédait toutes ses facultés, lorsqu’il mourut en 1543[14], à l’âge de 83 ans environ. Il fut enseveli dans l’église de San Lorenzo par ses fils Giuliano[15], Filippo et Domenico, qui tous trois exercèrent l’art de la sculpture en bois ; mais Giuliano, qui était le second, s’adonna plus particulièrement à l’architecture. Grâce à la faveur du duc Cosme, il succéda à son père dans la place d’architecte de Santa Maria del Fiore et dans la conduite de tous les autres travaux que Baccio avait commencés.

Il mourut l’an 1555. Giuliano avait un digne rival dans son frère Domenico, qui le surpassait comme sculpteur en bois et qui de plus entendait fort bien l’architecture, ainsi qu’en témoigne la maison de Bastiano da Montaguto, qui fut construite d’après ses dessins, dans la Via de’Servi[16]. On trouve dans cette maison plusieurs sculptures en bois de la main de Domenico. Il est l’auteur de la belle terrasse de la maison des Nasi, commencée par son père Baccio. S’il n’était pas mort prématurément, on croit qu’il aurait certainement dépassé de beaucoup son père Baccio et son frère Giuliano.


  1. Bartolommeo d’Agnolo di Baglioni, né le 19 mai 1462, d’après le Livre des baptêmes de Florence.
  2. N’existe plus dans cette forme.
  3. Actuellement dans l’église de Rueil, près de Paris. La cantoria est au Musée de South Kensington, à Londres.
  4. Le 17 février 1497. On a encore les comptes de ces divers travaux.
  5. Actuellement l’Hôtel du Nord.
  6. Appartenant aujourd’hui à la famille Strozzi.
  7. Palais Corboli.
  8. Palais Torrigiani.
  9. Palais Pecori Giraldi, via de’ Ginori.
  10. Qui appartient aujourd’hui à la famille Rosseti.
  11. Appartenant à la famille Castellani.
  12. Commencé le 6 février 1524, non terminé.
  13. Aujourd’hui, via del Proconsolo.
  14. Le 6 mai 1543.
  15. Giuliano était l’aîné ; né en 1491.
  16. Actuellement Palais Boutourlin.