Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/DELLO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 278-280).
DELLO
Peintre et sculpteur florentin, né en 1404[1], mort en (?)

Bien que Dello, artiste florentin, n’ait jamais eu, pendant sa vie et depuis sa mort, que la réputation de peintre, il s’occupa néanmoins de sculpture. C’est ainsi que, longtemps avant de commencer à peindre, il fit en terre cuite, sur l’arc qui surmonte la porte d’entrée de Santa Maria Nuova, un Couronnement de la Vierge[2], et un groupe[3] des douze Apôtres dans l’intérieur de l’église. Il exécuta en outre un Christ mort, sur les genoux de la Vierge[4], dans l’église des Servi et beaucoup d’autres ouvrages par toute la ville[5]. Mais, voyant qu’il ne gagnait pas assez à ce métier, pour être à l’abri du besoin et étant d’un caractère capricieux, il résolut, ayant un bon dessin, de s’adonner à la peinture, il y réussit assez bien, d’autant qu’il apprit rapidement à tirer bon parti des couleurs, comme on peut s’en rendre compte par beaucoup de peintures qu’il fit dans sa patrie, et particulièrement par ses figures de petites dimensions qui ont meilleure grâce que ses grandes. Cette chose fut très heureuse pour lui, car à cette époque on avait l’habitude de meubler les appartements avec de grands coffres en bois sculpté, dont l’intérieur était garni en toile, ou en soie, suivant le rang ou la fortune des possesseurs, pour conserver des vêtements, ou d’autres objets précieux. Tout le monde faisait orner de peintures ces coffres, et outre les sujets, épisodes et histoires qui étaient peints sur les grands et petits côtés, certains y faisaient ajouter les armes ou emblèmes de leurs maisons. Les sujets que l’on représentait de préférence, sur le devant, étaient des fables tirées d’Ovide et d’autres poètes, ou des histoires racontées par les historiens grecs et latins, ou bien encore des chasses, des joutes, des nouvelles d’amour et choses analogues, selon la préférence de chacun. On couvrait encore de semblables peintures, les lits, les dos de sièges, les corniches, en un mot cette infinité d’objets qui meublaient ou décoraient les appartements et dont il s’est conservé un grand nombre par toute la ville. Cette mode fut tellement en faveur pendant nombre d’années que les meilleurs peintres ne rougissaient pas d’enrichir de leurs peintures et de dorer de pareils objets, besogne dont bien des artistes d’aujourd’hui rougiraient. Et pour prouver la vérité de ce que j’avance, je dirai qu’on a vu jusqu’à notre époque des coffres, des sièges et des corniches, dans les appartements de Laurent le Magnifique, sur lesquels avaient été représentés, par la main des artistes les plus illustres et avec un art merveilleux, les joutes, les tournois, les chasses, les fêtes et autres spectacles de son temps.

Dello, étant donc passé maître dans ce genre, ne fut occupé pendant plusieurs années qu’à peindre des coffres, des sièges, des lits et autres meubles. On peut dire que c’était son unique profession, et il en tira honneur et profit.

Il peignit, en autre choses, pour Giovanni de’ Medici, un ameublement complet, qui fut estimé chose rare et vraiment belle, comme on peut s’en assurer par ce qui en reste. On dit qu’il fut aidé par Donatello, encore très jeune, qui modela, en stuc, en plâtre et en brique écrasée, divers sujets et ornements en relief, qui furent ensuite dorés et relevèrent admirablement les peintures.

Il peignit à fresque et en camaïeu un coin du cloître de Santa Maria Novella, où il représenta Isaac donnant sa bénédiction à Esaü[6]. Peu de temps après, il alla en Espagne et se mit au service du roi ; il obtint un crédit qui dépassa tout ce qu’un artiste pourrait désirer. Bien qu’on ne sache pas exactement, quelles œuvres il produisit[7], elles durent être fort belles, car il revint dans sa patrie comblé d’honneurs et de richesses. Il lui prit, en effet, fantaisie, au bout de quelques années, et ayant été royalement récompensé de ses peines, de revenir à Florence, pour montrer à ses amis comment, d’une extrême pauvreté, il avait su arriver à une grande opulence. Etant allé demander congé au roi, non seulement ce prince le lui accorda, mais encore, pour lui témoigner plus vivement sa gratitude, il le nomma chevalier.

De retour à Florence, il se vit refuser la confirmation de ses privilèges, par suite des intrigues de Filippo Spano degli Scolari, qui revint à cette époque[8] victorieux de la guerre des Turcs, comme grand sénéchal du roi de Hongrie. Dello écrivit en Espagne, se plaignant de cette injure au roi, qui le recommanda si chaudement à la Seigneurie, qu’on lui accorda sans retard ce qu’il demandait. Mais il s’aperçut bientôt que l’envie et la méchanceté, qui avait déjà tourmenté sa jeunesse, quand il était très pauvre, ne le laisseraient jamais en repos dans sa patrie ; aussi il demanda et obtint du roi de retourner en Espagne [9] où il fut très bien accueilli, et où il vécut jusqu’à sa mort, en grand seigneur, ne peignant plus qu’habillé d’un costume de brocart. Il mourut à l’âge de 49 ans.

Dello n’était pas très bon dessinateur, mais il fut un des premiers à rendre, avec quelque jugement, la musculature dans la représentation des corps nus. Paolo Uccello introduisit son portrait dans une fresque[10], en clair-obscur, du cloître de Santa Maria Novella, qui représente l’ivresse de Noé découverte par son fils Cham.



  1. Dans la déclaration de son père au Catasto de 1427, il est dit que Dello a 24 ans ; dans celle de 1480, 26 ans ; dans celle de 1448, 25 ans. ― Dello (abrégé de Daniello) di Niccolo Delli, immatriculé en 1433 : XXVI januari. Pro Dello Nicolai Delli pictore populi Sancti Frediani de Florentia
  2. Existe encore.
  3. Existe encore ; restitué à Bici di Lorenzo, 1424.
  4. N’existe plus.
  5. En 1425, il est à Sienne et y a fait un Jacquemard de bronze, pour l’horloge de la tour du palais. Dans le contrat d’allocation, qui est du 21 mars 1425, il est appelé Dello Nicholai de Florentia.
  6. Côté ouest du Chiostro Verde, première fresque. Dello peignit les côtés sud et ouest de ce cloître. (Fresques très altérées.)
  7. Il ne reste rien de lui en Espagne ; il signait Dello eques florentinus.
  8. Il ne revient qu’une fois à Florence, en 1410.
  9. En 1448. Il vivait encore en 1464, car Filarète le mentionne parmi les artistes vivants, dans la dédicace de son Traité d’Architecture, écrit entre 1464 et 1466.
  10. Existe encore en mauvais état, côté est du Chiostro Verde. Dello est représenté par la figure de Cham.