Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/De l'architecture

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DE L’ARCHITECTURE




Chapitre Premier. — Des diverses pierres qui servent aux Architectes pour les ornements, et à la Sculpture pour les statues, à savoir, le porphyre, le serpentin, le cipollacio, le mischio, le granit, le granit gris, la pierre de touche ; les marbres transparents, les marbres blancs, veinés, cipollins, les marbres saligni campanini ; le travertin, l’ardoise, le pépérin, la pierre d’Ischia, la pierre sereine, la pierre forte.



S i grands que soient les services rendus par l’Architecture, je n’ai pas à les énumérer, parce que quantité d’écrivains l’ont fait avec grand soin et tout au long. Laissant donc de côté les chaux, les sables, les bois, les ferrements, le mode de fondation et tout ce qui est employé dans la construction, les eaux, les régions et les sites, choses qui ont été décrites longuement par Vitruve et par notre Leon Battista Alberti, je parlerai simplement, pour rendre service à nos artistes et à tous ceux qui aiment apprendre, comment doivent généralement être faites les bâtisses, et quelles doivent être leurs proportions, et leur contexture, pour acquérir cette grâce et cette beauté que l’on peut désirer. Je rassemblerai brièvement tout ce qu’il me paraîtra nécessaire de dire à ce propos. Pour montrer plus clairement l’extrême difficulté qu’il y a à travailler les pierres qui sont dures et résistantes, je parlerai séparément, mais avec brièveté, de chaque sorte de pierre que son artistes emploient, et premièrement du porphyre. C’est une pierre rouge finement veinée de blanc, qui a été amenée autrefois en Italie d’Égypte, où l’on croit communément qu’à l’extraction elle est plus tendre qu’après avoir été exposée, hors de la carrière, à la pluie, à la gelée et au soleil. Toutes ces causes la rendent plus dure et plus difficile à travailler. Dans cette matière, on voit quantité d’ouvrages traités au ciseau, ou sciés, ou faits au tour et polis à l’émeri, par exemple, des plaques carrées ou rondes, ou des morceaux plats destinés à faire des carrelages ou encore des statues destinées à des édifices, ainsi qu’un grand nombre de colonnes grandes et petites, des fontaines ornées de masques et sculptées avec grand soin. On en fait aussi des tombeaux, avec des figures en bas-relief et en demi-relief, exécutés à grand travail, comme il y en a au temple de Bacchus hors de Rome, à Sant’Agnèse où est le tombeau présumé de sainte Constance, fille de l’empereur Constantin[1]. On y voit quantité d’enfants avec des pampres et des raisins, qui montrent la difficulté qu’éprouve celui qui travailla cette pierre si dure. C’est ce que l’on voit également sur un vase placé à Saint-Jean-de-Latran près de la porte Sainte, et qui est historié d’un grand nombre de figures, et sur un magnifique sarcophage qui est sur la place de la Rotonde[2], et qui, travaillé avec un art extrême, est par sa forme d’une grâce et d’une beauté merveilleuses, bien différent d’ailleurs des sépultures de ce genre. De nos jours, aucun ouvrage en pierre de cette nature n’a été amené à grande perfection, parce que nos artistes ont perdu le procédé de tremper leurs outils et les autres instruments destinés à ce travail. Il est vrai qu’on scie communément avec de l’émeri des fûts de colonnes et d’autres blocs, pour les diviser soit en surfaces planes soit en d’autres parties d’ornement pour les édifices, en les séparant peu à peu avec une scie en cuivre sans dents tirée à bras par deux hommes ; cette scie enduite continuellement d’émeri en poudre et d’eau coupe finalement la pierre. Bien qu’à diverses époques beaucoup d’hommes industrieux aient tènté de retrouver le procédé qu’employaient les anciens pour travailler le porphyre, tous ces efforts ont été vains. Leon Battista Alberti le premier qui parvint à quelque résultat, mais non pas dans des travaux importants. Entre tous les procédés de trempe qu’il essaya, il n’en trouva pas de meilleur que le sang de bouc ; tout en n’enlevant que très peu de cette pierre si dure qui lançait continuellement des étincelles sous l’outil, il put néanmoins en faire les dix-huit lettres antiques qui sont sur le fronton de la porte principale de Santa Maria Novella à Florence. Ces lettres qui sont très grandes et de belles proportions sont les suivantes : bernardo oricellario[3]. Comme le tranchant du ciseau ne lui donnait pas les arêtes, et que l’œuvre ne pouvait pas avoir le poli et le fini qui lui était nécessaire, Alberti fit faire un moulin à bras avec un manche en forme de broche qui se maniait très aisément ; on appuyait le manche à la poitrine, et en tenant la courbure avec les mains, on amenait le mouvement de rotation. La pointe armée d’un ciseau ou d’un trépan avec quelques roues à dents de cuivre plus ou moins grandes suivant le besoin, qui, enduites d’émeri mouillé, usaient peu à peu et aplanissaient la pierre, faisant le plat et les arêtes, tandis que la main faisait tourner rapidement le moulin. Malgré l’ingéniosité de cet outil, Léon Battista ne put faire d’autre travail en porphyre. On y perdait tant de temps qu’on y renonça, et qu’on ne fit ni statues, ni vases, ni autres choses fines. D’autres qui ont repris ce procédé pour faire des plaques ou restaurer des colonnes ont opéré de la manière suivante. Ils fabriquent des marteaux gros et lourds, avec des pointes d’acier fortement trempées dans du sang de bouc et ayant la forme de pointes de diamant. Frappant à petits coups sur le porphyre et l’écornant peu à peu le mieux possible, ils le réduisent finalement soit en plaques soit en corps ronds, au gré de l’artiste, mais avec beaucoup de fatigue et une grande dépense de temps. Ils ne peuvent néanmoins en tirer de statues, car nous n’en avons pas le procédé, mais ils le polissent à l’émeri et au cuir, de manière à lui donner un fini merveilleux. Bien que chaque jour l’esprit humain se perfectionne et s’affine à force de recherches, néanmoins les modernes, qui ont essayé en divers temps de nouveaux procédés pour tailler le porphyre, qui ont inventé des trempes nouvelles et trouvé des aciers très purs, se sont efforcés en vain, jusqu’il y a peu d’années. En 1553, le seigneur Ascanio Colonna ayant donné au pape Jules III un admirable vase antique de porphyre, large de sept brasses, le pontife voulut en orner sa vigna, et ordonna de le faire restaurer, car il lui manquait quelques morceaux. On mit donc la main à l’œuvre, en essayant divers procédés, sur le conseil de Michel-Ange Buonarroti et d’autres maîtres excellents, mais, après beaucoup de temps, l’entreprise fut jugée impossible, d’autant plus qu’on ne pouvait en aucune manière rétablir quelques arêtes vives, comme le besoin s’en faisait sentir[4]. Michel-Ange, qui était pourtant habitué à travailler des pierres dures, s’y essaya comme les autres, sans meilleur résultat. Enfin, comme rien ne manquait, à notre époque, à la perfection de nos arts, que la manière de travailler parfaitement le porphyre, ce désideratum a été à la fin rempli, et le procédé retrouvé de la manière suivante. L’an 1555, le duc Cosme, ayant amené des jardins de son palais Pitti une eau admirable jusqu’à la cour de son principal palais de Florence, voulut y faire élever une fontaine d’une extraordinaire beauté, et comme on avait trouvé quelques morceaux de porphyre d’une belle grandeur, il ordonna d’en faire une vasque avec son pied pour la dite fontaine. Afin de rendre au maître-ouvrier le travail plus facile, il composa avec je ne sais quelles herbes un liquide d’une vertu telle qu’en y plongeant les fers au rouge blanc, ils acquéraient une trempe extrêmement dure. C’est avec ce secret, et sur mes dessins, que Francesco del Tadda[5], tailleur de pierres de Fiesole, construisit la vasque de cette fontaine qui a deux brasses et demie de diamètre, ainsi que son pied, comme on les voit actuellement en place dans ce palais. Le Tadda, trouvant que le procédé du duc était merveilleux, se mit à essayer quelques travaux de taille par ce moyen, et il réussit si bien qu’en peu de temps il a fait trois ovales en demi-relief renfermant les portraits, grands comme nature, du duc Cosme, de la duchesse Éléonore, et une tête de Jésus-Christ. Ces têtes sont si parfaites que les cheveux et la barbe, choses très difficiles à représenter, sont exécutés de telle sorte que l’antiquité n’offre rien de mieux. Quand le duc alla à Rome, il parla de ce travail à Michel-Ange qui ne put croire que cela fût. Aussi le duc me fit envoyer la tête de Jésus-Christ à Rome, et Michel-Ange l’ayant beaucoup admirée lui donna de grands éloges, et se réjouit de voir de nos jours la sculpture enrichie de ce procédé précieux, dont la recherche était restée vaine jusqu’alors. Récemment, le Tadda a terminé la tête de Cosme l’Ancien dans un ovale, comme les portraits indiqués ci-dessus, et il continue à faire des ouvrages semblables. En ce qui concerne le porphyre, il me reste à dire, comme les carrières de cette pierre ne sont plus connues, que nous sommes forcés de nous servir de fragments antiques, de fûts de colonnes et d’autres débris, et que celui qui le travaille doit d’abord s’assurer s’il a vu le feu. Car dans ce cas, s’il ne perd pas entièrement sa couleur, et s’il ne se défait pas, il manque néanmoins toujours de cette vivacité de ton qui lui est propre, et ne se laisse pas polir aussi facilement que lorsqu’il n’a pas vu le feu. Ce qui est pire encore, le porphyre qui a vu le feu éclate facilement quand on le travaille. Il faut savoir également, quant à la nature du porphyre, que, mis au fourneau, il ne subit pas la cuisson et ne laisse pas se cuire les pierres qui l’entourent. Au contraire il augmente de verdeur, comme en font foi les deux colonnes que les Pisans donnèrent aux Florentins l’an 1117, après l’acquisition de Majorque, et qui sont aujourd’hui à la porte principale de San Giovanni ; le poli en est peu brillant, et elles n’ont plus de couleur, pour avoir vu le feu, comme le raconte Giovanni Villani dans son Histoire[6]. Le serpentin, ou serpentine, vient après le porphyre ; c’est une pierre de couleur verte un peu foncée, semée entièrement de petites croix allongées et jaunes. Les artistes s’en servent de la même manière pour faire des colonnes et des carreaux de pavage, pour les édifices. On n’a jamais vu de statues exécutées dans cette matière, mais bien une quantité de bases pour des colonnes, des pieds de tables, et d’autres travaux plus communs. Cette pierre se fend facilement, bien qu’elle soit plus dure que le porphyre, et le travail en est doux, moins pénible que celui du porphyre. On l’extrait en Égypte et en Grèce ; sa solidité, une fois qu’elle est en morceaux, n’est pas grande ; aussi n’a-t-on jamais vu d’œuvre en serpentine qui ait plus de trois brasses dans tous les sens. On en fait des tables et des morceaux de carrelage. On en fait aussi quelques colonnes, mais ni grandes ni larges, ainsi que quelques masques et consoles, mais jamais de figures. Cette pierre se travaille de la même façon que le porphyre.

Le cipollaccio est beaucoup plus tendre. Cette pierre, que l’on extrait en divers endroits, est de couleur vert vif tirant sur le jaune ; elle est semée de taches noires carrées, grandes et petites, ainsi que de blanches assez grosses. Dans plusieurs endroits on voit des colonnes de cette matière, grosses ou minces, des portes et d’autres ornements, mais non des figures. Il y a à Rome, au Belvédère, une fontaine qui est en cipollaccio ; c’est une niche, dans le coin du jardin, où se trouvent les statues du Nil et du Tibre. Le pape Clément VII la fit élever sur le dessin de Michel-Ange, pour servir de cadre à un fleuve antique, qui est vraiment fort beau dans son entourage simulant des rochers. On fait encore avec cette pierre, en la sciant, des tables, des plaques rondes, ovales, et d’autres choses semblables, qui, jointes à d’autres pierres, soit dans des pavements, soit sur des surfaces planes, forment un assemblage très beau, et une charmante composition. On peut polir aussi bien que le porphyre et le serpentin, et on la scie de même. On en trouve à Rome quantité de morceaux enfouis sous les ruines que l’on déblaye chaque jour. Ainsi, avec ces fragments antiques, on fait des ouvrages modernes tels que des portes et d’autres motifs d’ornement, qui font grand effet une fois mis en place.

Voici une autre pierre appelée le mischio, composée de diverses pierres congelées ensemble, et que le temps ainsi que la crudité de l’eau ont intimement liées. On en trouve de grandes quantités en divers endroits, comme dans les montagnes de Vérone, dans celles de Carrare, de Prato en Toscane et de l’Impruneta dans la banlieue de Florence. Les plus beaux et les meilleurs ont été trouvés, il n’y a pas longtemps, à San Giusto à Monterantoli[7] à cinq milles de Florence. Le duc Cosme m’en a fait décorer toutes les nouvelles chambres du palais de portes et de cheminées qui ont été très bien réussies. Pour le jardin Pitti, on a extrait du même endroit des colonnes de sept brasses très belles, et j’ai été étonné d’y trouver tant de solidité. Parce que cette pierre tient de la pierre à chaux, elle peut recevoir un très beau poli, et elle a la couleur du violet tirant sur le rouge, veiné de blanc et de jaune. Mais les plus fins se trouvent en Grèce et en Égypte ; ils y sont également plus durs que les nôtres d’Italie ; il y en a de tant de sortes de couleurs que la nature s’est plu à en former. On en voit à Rome des œuvres antiques et modernes, telles que des colonnes, des vases, des fontaines, des ornements de portes, des incrustations pour des édifices et des carreaux de pavement. Les couleurs en sont extrêmement variées, tirant sur le jaune on sur le rouge, sur le blanc ou sur le noir, sur le gris ou sur le blanc, tachetés de rouge et veinés de diverses couleurs. Les orientaux ont certains tons rouges, verts, noirs et blancs, et le duc en a un vase très ancien, large de quatre brasses et demie, dans son jardin Pitti ; c’est une œuvre très rare, pour être d’un mischio oriental, très beau et très difficile à travailler. Toutes ces pierres sont plus dures, plus belles de couleur et plus fines, comme en font foi aujourd’hui deux colonnes, hautes de douze brasses, qui sont à l’entrée de Saint-Pierre, à Rome, et soutiennent la première travée, lune à droite et l’autre à gauche. Le mischio qui provient des montagnes de Vérone est infiniment plus tendre que l’oriental, et il tire sur la couleur du pois gris. On le travaille aussi bien de nos jours, avec nos outils trempés, que les autres pierres de nos pays ; on en fait des fenêtres, des colonnes, des fontaines, des pavements, des jambages de portes, des corniches. La Lombardie et toute l’Italie en offrent de nombreux exemples.

On y trouve également une autre sorte de pierre, très dure, bien plus rude, toute piquée de points noirs et blancs, quelquefois rouges, d’une même fibre et d’un même grain que le mischio, qu’on appelle communément granit, et dont on trouve en Égypte des pierres d’une solidité et d’une grandeur incroyables. On en voit des échantillons, à Rome, dans les obélisques, les aiguilles, les pyramides, les colonnes, et dans ces grandes cuves à bain, qui sont à San Pietro in Vincola, à San Salvadore del Lauro, et à San Mario, de même que dans une infinité de colonnes, qui pour la dureté et la solidité ne craignent ni le fer ni le feu. Le temps, qui ruine toute chose, non seulement ne les a pas détruites, mais n’a même pas altéré leur couleur. Pour cette raison, les Égyptiens s’en servaient pour en tirer des tombeaux, gravant sur ces monuments, leurs caractères étranges, et relatant la vie des grands hommes, pour conserver la mémoire de leur noblesse et de leurs vertus.

Un autre granit provenait également d’Égypte, gris et dont les noirs et les points blancs tirent plus sur le vert. Il est certes très dur, mais pas au point que nos tailleurs de pierre n’aient pu se servir, pour la construction de Saint-Pierre, des fragments qu’ils ont trouvés, en sorte, qu’avec les fers trempés dont on se sert actuellement, ils ont pu amener les colonnes et les autres objets au point de finesse qu’ils ont voulu, avec un aussi beau poli que pour le porphyre. On trouve de ce granit gris sur plusieurs points de l’Italie, mais le plus solide provient de l’île Elbe, où les Romains eurent continuellement des hommes occupés à extraire de cette pierre, en grande quantité. C’est dans cette matière qu’ont été faites les colonnes du portique de la Rotonde [8], qui sont très belles, et d’une grandeur extraordinaire. On s’aperçoit que, dans la carrière, au moment où on le coupe, il est plus tendre que lorsqu’il a été extrait, et on le travaille alors avec plus de facilité. De vrai, il faut, pour la plus grande partie, le travailler avec des marteaux dont la pointe est analogue aux marteaux employés pour tailler le porphyre, et les gradines doivent être munies de dents coupantes d’un côté. D’un fragment de cette pierre, qui s’était détaché de la montagne, le duc Cosme a fait faire une vasque large de douze brasses dans tous les sens, et une table de mêmes dimensions, qui ont été placées dans le palais et le jardin Pitti.

On extrait également d’Égypte et de diverses contrées de la Grèce une certaine pierre noire, dite pierre de touche, qu’on appelle ainsi, parce que, lorsque l’on veut éprouver de l’or, on le gratte sur cette pierre et l’on reconnaît la couleur ; c’est de là que vient son nom. Il y a une variété de cette pierre, différente de grain et de couleur, dont le noir n’est pas aussi franc, et qui n’est pas très belle. Les anciens en ont tiré des sphinx et d’autres animaux, comme on en voit quelques-uns à Rome. La pierre de touche est dure à tailler, mais extraordinairement belle, et susceptible de recevoir un brillant merveilleux. On en trouve en Toscane, dans les montagnes de Prato, à dix milles de Florence, et également dans les montagnes de Carrare. Elle a servi à faire quantité de sarcophages et de tombeaux modernes, par exemple, au Carmine de Florence, dans le chœur, où l’on voit le tombeau de Piero Soderini (qui ne renferme d’ailleurs pas son corps), et le baldaquin, tous deux en pierre de touche de Prato ; ce dernier est si bien travaillé et si brillant qu’il paraît être en satin de soie plutôt qu’en pierre [9]. L’incrustation extérieure de Santa Maria del Fiore, à Florence, est d’une autre sorte de marbres, noir et rouge, qui se travaille de la même manière.

On extrait, en Grèce et, dans tout l’Orient, différentes espèces de marbres qui sont blancs, tirent sur le jaune et sont très transparents. Les anciens les employaient beaucoup pour des bains, des étuves et d’autres lieux où le vent pouvait être incommode pour les habitants. On voit encore aujourd’hui quelques fenêtres qui en sont garnies, dans la tribune de San Miniato à Monte, couvent des moines de Monte Oliveto, devant la porte de Florence : la clarté les traverse et non le vent[10]. Autrefois, avec cette disposition ingénieuse, on remédiait au froid et on éclairait les habitations. On extrayait des mêmes carrières d’autres marbres non veinés, mais de la même couleur, dont on tirait les plus belles statues. Ces marbres étaient très fins de fibre et de grain, et ils servaient encore à tous ceux qui taillaient des chapiteaux, des ornements et d’autres objets en marbre destinés à l’architecture. C’étaient des blocs très solides, comme on le voit dans les colosses de Montecavallo, à Rome, dans la statue du Nil, au Belvédère, et dans toutes les statues les plus belles et les plus célèbres. On reconnaît qu’elles sont de facture grecque, outre la qualité du marbre, à la belle manière dont sont traitées les têtes, les chevelures, et en particulier les nez des figures qui sont carrés de la jonction des sourcils jusqu’aux narines. Ce marbre se travaille avec des outils ordinaires et avec des trépans. On lui donne le brillant à la pierre-ponce et au tripoli avec des cuirs et des tampons de paille.

Dans les montagnes de Carrare, à la Carfagnana, près des montagnes de Luni, on trouve quantité de sortes de marbres, des noirs, d’autres qui tirent sur le gris, d’autres qui sont mêlés de rouge, d’autres qui ont des veines grises et qui recouvrent, comme d’une croûte, des marbres blancs. Cette couleur provient de ce qu’ils ne sont pas purs, et que le temps, l’eau et la terre les altèrent. On extrait encore d’autres marbres qu’on appelle cipollins, saligni, campanini et mischiati. Le plus fréquent est un marbre très blanc et laiteux, qui est d’un bel aspect et parfait pour en tirer des statues. Il offre une grande solidité à l’extraction, et même de nos jours, on en a extrait des blocs de neuf brasses pour faire des colosses. D’un même bloc, on a pu de notre temps, en tirer deux. L’un est le David que sculpta Michel-Ange Buonarroti, et qui est à la porte du palais du duc de Florence. L’autre est le groupe d’Hercule et Cacus, dû à Bandinello et qui se trouve de l’autre côté de la même porte. Il y a peu de temps on a extrait un autre bloc de neuf brasses, dont Baccio Bandinello voulait tirer un Neptune pour la fontaine que le duc fait élever sur la place. Comme Bandinello est mort, le bloc a été donné à l’Ammanato, excellent sculpteur, qui doit en tirer également un Neptune[11]. De tous ces marbres, ceux qui proviennent des carrières dites del Polvaccio, qui sont dans le même endroit, n’offrent pas de taches ni d’yeux, pas plus que de ces nœuds et de ces noyaux qu’on rencontre d’ordinaire dans les blocs d’une certaine dimension, et qui donnent ainsi autant de peine à l’ouvrier que de laideur à l’œuvre, une fois qu’elle est terminée. On a pu également tirer des carrières de Serravezza, dans la région de Pietrasanta, des colonnes de la même hauteur, comme celles qui devaient orner la façade de San Lorenzo, à Florence, et dont une est couchée à peine ébauchée à la porte de l’église, tandis que d’autres sont ou à la carrière ou au port d’embarquement. Pour en revenir aux carrières de Pietrasanta, je dirai que les anciens y puisèrent continuellement ; ces maîtres excellents n’employèrent pas d’autres marbres pour faire leurs statues. Tandis qu’on extrayait les blocs destinés à leurs statues, ils s’exerçaient continuellement à faire des ébauches de figures sur la paroi même de la carrière ; on en voit encore les traces en maint endroit. Les modernes en tirent également leurs statues non seulement pour l’Italie, mais encore on envoie des blocs en France, en Angleterre, en Espagne et en Portugal. C’est ainsi que, de nos jours, Giovan da Nola, excellent sculpteur, éleva à Naples le tombeau de D. Pietro de Toledo, vice-roi de ce royaume, avec des marbres qui lui furent donnés et envoyés à Naples par le duc Cosme de Médicis[12].

Cette sorte de marbre a plus de solidité, il est plus pâteux et plus fin à travailler que les autres marbres, enfin on lui donne un poli bien plus beau. Il est vrai qu’il arrive quelquefois au sculpteur de tomber sur un œil et de voir ses outils s’y briser. On ébauche ces marbres avec un instrument appelé subbia qui a la pointe affûtée de court et en forme de fer à facettes ; la grosseur en est variable. Le travail se continue avec des ciseaux appelés carcagnuoli qui ont une entaille au milieu du tranchant, et ensuite avec des ciseaux de plus en plus fins, qui ont plus d’entailles, et l’on incise après avec un autre ciseau, quand le marbre est arrondi. Ces fers s’appellent des gradines, parce qu’avec eux on procède comme par gradins, et en réduisant peu à peu la figure. Ensuite avec des limes de fer, droites et courbes, on fait disparaître les gradins restés sur le marbre. En adoucissant après avec la pierre-ponce, on obtient la fleur de la pierre que l’on veut. Tous les trous se font, pour ne pas faire éclater le marbre, avec des trépans de grandeur variable, pesant douze livres et quelquefois vingt. Il en faut de plusieurs sortes, suivant la grandeur du trou, et pour terminer entièrement le travail. Les marbres blancs, veinés de gris, servent aux sculpteurs et aux architectes pour des ornements de portes et des colonnes destinées à divers édifices. On peut également en faire des pavements, des incrustations et s’en servir pour d’autres travaux. Il en est de même de tous les marbres mischiati.

Les marbres cipollins sont d’une autre espèce, différents de grain et de couleur, et on n’en a pas encore trouvé ailleurs qu’à Carrare. Ils tirent sur le vert, sont pleins de veines et servent à différents usages, mais non à faire des statues. Ceux que les sculpteurs appellent saligni ressemblent à de la pierre congelée, comme offrant de ces brillants que l’on remarque dans le sel, et ils sont quelque peu transparents. On a assez de peine à en tirer des figures, parce que leur grain est gros et rude, et parce que, dans les temps humides, ils laissent échapper continuellement des gouttelettes d’eau comme s’ils suaient. On appelle campanini des marbres qui sonnent quand on les travaille, et qui donnent un son plus aigu que les autres. Ils sont durs, se fendent plus facilement que les autres marbres et s’extraient à Pietrasanta. Dans différentes carrières de Serravezza et à Campiglia, on extrait des marbres, qui pour la plupart sont excellents pour le travail rectangulaire, et quelquefois bons pour la statuaire. Dans le pays pisan, au Monte San Giuliano, on extrait pareillement un marbre blanc, qui tient de la pierre à chaux, et dont on s’est servi pour incruster extérieurement le Dôme et le Campo Santo de Pise, outre quantité d’ornements que l’on voit çà et là dans la ville. Comme le transport de ces marbres du Monte San Giuliano jusqu’à Pise était incommode et coûteux, et comme d’autre part le duc Cosme, tant pour assainir le pays que pour rendre plus facile le transport de ces marbres et d’autres pierres qu’on extrait de ces montagnes, a canalisé la rivière d’Osoli, et d’autres cours d’eau qui sortaient en plaine, au grand dommage du pays ; on pourra désormais amener, par le dit canal, les marbres travaillés ou non, sans grands frais, et pour la plus grande utilité de la ville. Pise, d’ailleurs a retrouvé presque entièrement son ancienne splendeur, grâce au duc de Cosme ; il n’a pas de souci plus grand que d’agrandir et de restaurer cette ville qui se trouvait en misérable état avant qu’il s’en fût rendu maître.

Il y a une autre pierre qu’on appelle le travertin, qui sert beaucoup pour la construction et pour différentes sculptures d’ornement. On l’extrait sur divers points de l’Italie, près de Lucques, de Pise et de Sienne, entre autres. Mais les meilleures pierres, celles qui offrent le plus de solidité et sont les plus belles, proviennent des bords du Teverone, à Tivoli. On dirait une espèce de congélation d’eau et de terre qui par sa crudité et sa température, non seulement congèle et pétrifie la terre, mais encore les troncs, les rameaux et le feuillage des arbres. Comme ces pierres renferment de l’eau, elles ne peuvent jamais se sécher, quand l’humidité les environne, et elles deviennent toutes poreuses, paraissant spongieuses et entièrement remplies de trous, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Les anciens se servirent de cette pierre pour élever leurs plus admirables constructions et édifices, tels que les Colisées et l’Erario de Saint-Cosme et Saint-Damien. Ils la plaçaient en grande quantité dans les fondations. Quand ils la travaillaient, ils ne s’attachaient pas à lui donner du fini ; au contraire, ils la taillaient grossièrement, ce qu’ils faisaient peut-être trouvant en cela une certaine grandeur et majesté. Mais de nos jours on l’a travaillée plus soigneusement ; nous en avons un exemple dans le temple rond, non terminé sauf le soubassement, qui est sur la place Saint-Louis-des-Français à Rome. Il a été commencé par un Français, nommé maître Jean, qui étudia l’art de la sculpture d’ornement à Rome, et y excella au point d’être chargé de cette œuvre qui pouvait égaler les meilleures constructions anciennes et modernes faites dans cette pierre. Il y a sculpté des sphères d’astronomie, des salamandres au milieu du feu, qui sont les armes royales, des livres ouverts montrant leurs pages, des trophées et des masques, tous travaillés avec grand soin. Tous ces ornements témoignent de l’excellence de cette pierre, et de la facilité que l’on a de la traiter comme le marbre, malgré sa rusticité. Elle offre en elle une grâce spéciale, par suite de son apparence spongieuse, qui est belle à voir. Ce temple inachevé fut rasé par la nation française ; les pierres et les ornements prirent place dans la façade de l’église Saint-Louis, et en partie dans quelques chapelles où elles font très bon effet. Cette pierre est bonne pour élever des murailles, étant facilement équarrie et chantournée. On peut l’incruster de stuc et y tailler les ornements que l’on veut. C’est ce que firent les anciens aux grandes entrées du Colisée et ailleurs, et c’est ce qu’a fait de nos jours Antonio da San Gallo dans la salle du palais papal qui précède la chapelle et qu’il a construite en travertin, incrusté de stuc et sculpté d’ornements variés. Mais plus qu’aucun maître Michel-Ange Buonarroti a ennobli cette pierre, dont il s’est servi pour orner la cour du palais Farnese ; avec un jugement merveilleux, il en a fait faire des fenêtres, des masques, des consoles et tant d’autres motifs originaux, tous travaillés comme on fait le marbre, en sorte qu’on ne saurait voir plus belle ornementation de ce genre. Et si ces choses sont remarquables, la grande corniche qui couronne la façade antérieure du même palais est encore plus extraordinaire, car on ne peut désirer de chose plus belle, ni plus magnifique. Michel-Ange a composé également dans la même pierre certaines niches à l’extérieur de Saint-Pierre, et dans l’intérieur, la corniche qui forme le tour de la tribune, et qui est faite avec tant de fini qu’on ne saurait voir les joints des pierres, et que chacun peut en déduire les services que cette pierre est appelée à nous rendre. Mais ce qui surpasse toute merveille, c’est la voûte d’une des trois tribunes de la même église de Saint-Pierre, qui est faite de la même pierre, et dont les claveaux sont assemblés de manière que non seulement la stabilité de cette construction est entièrement assurée, mais encore que cette voûte vue du sol, paraît être d’un seul morceau.

Voici une autre sorte de pierre, qui tire sur le noir, et dont les architectes ne se servent que pour couvrir les toits. Ce sont des plaques très minces, que le temps et la nature produisent par stratifications pour les besoins des hommes[13]. On en fait aussi des bassins, en faisant entrer les stratifications de ces plaques les unes dans les autres, et l’on peut y conserver de l’huile sûrement et en quantité plus ou moins grande suivant leur capacité. Cette pierre se trouve sur la côte de Gênes, dans un endroit que l’on appelle Lavagna, et l’on en tire des plaques longues de dix brasses. Les peintres s’en servent pour peindre dessus à l’huile, c’est un genre de peinture qui se conserve beaucoup plus longtemps que sur les autres matières, comme nous le dirons en son temps, dans les chapitres de la peinture. On peut en dire autant d’une pierre appelée par les uns piperno et par beaucoup d’autres peperigno (le pépérin). C’est une pierre noirâtre et spongieuse comme le travertin, que l’on extrait dans la campagne de Rome, et dont on fait des jambages de fenêtres ou de portes, en plusieurs endroits, tels qu’à Naples et à Rome. Elle sert encore aux peintres qui y peignent à l’huile, comme nous le dirons en son temps. C’est une pierre sèche et que l’on dirait grillée.

On extrait pareillement, en Istrie une pierre blanc livide, qui se laisse fendre très facilement. On s’en sert plutôt que de toute autre, non seulement dans la ville de Venise, mais encore dans toute la Romagne, pour tous les travaux tant rectangulaires que de sculptures d’ornement. On la travaille avec des instruments et des outils spéciaux, plus longs que les ordinaires, particulièrement avec certains marteaux, en ayant soin de suivre le fil de la pierre, car elle est très cassante. Une grande quantité de cette sorte de pierre a été mise en œuvre par Messer Jacopo Sansovino qui a construit, à Venise, le bâtiment dorique de la Panatteria et le bâtiment toscan de la Zecca, sur la place de Saint-Marc. C’est ainsi que tous les travaux d’ornement, portes, fenêtres, chapelles et autres qui ont été faits dans cette ville, sont dans cette pierre, bien qu’il y ait eu toute commodité pour faire venir de Vérone, par le cours de l’Adige, des marbres genre Mischio et toutes autres sortes de pierre. De celles-ci, on s’en sert peu, ayant l’habitude de la première, et l’on y enchâsse souvent du porphyre, du serpentin et d’autres pierres bigarrées, qui, assemblées avec l’autre, font un effet décoratif merveilleux. Cette pierre tient de la pierre à chaux, comme celle de nos pays, et comme on l’a déjà dit, on la fend commodément. Restent à examiner la pierre sereine (calcédoine) et la pierre grise appelée macigno ; puis la pierre de taille dont on se sert beaucoup dans les régions montagneuses de l’Italie, particulièrement en Toscane, le plus souvent à Florence et dans son territoire. La pierre qu’on appelle sereine tire sur l’azur, ou bien est teintée de gris ; on l’extrait en divers endroits près d’Arezzo, ainsi qu’à Cortone, à Volterra et dans tous les Apennins. Celle qu’on trouve dans les monts de Fiesole est très belle, car elle offre une très grande fermeté, comme nous pouvons le voir dans tous les édifices que Filippo di ser Brunellesco a élevés à Florence ; c’est de là qu’il a extrait toutes les pierres de San Lorenzo, de Santo Spirito et une infinité d’autres pierres qui forment les édifices que l’on voit par la cité. Cette sorte de pierre est très belle à voir, mais si on l’expose à l’humidité, à la pluie ou à la gelée, elle se consume et s’exfolie ; à l’abri elle dure indéfiniment.

Bien plus durable et d’une plus belle couleur est une pierre azurée qu’on appelle aujourd’hui la pierre del Fossato. Quand on l’extrait, le premier lit est plein de gravier et grossier, le second offre des nœuds et des fissures, le troisième est admirable, étant plus fin. Michel-Ange s’en est servi dans la bibliothèque et la sacristie de San Lorenzo, élevées pour le pape Clément, parce qu’il la trouvait jolie de grain. Les corniches, les colonnes et les autres parties qu’il en a tirées sont exécutées avec tant de soin, qu’en argent elles ne seraient pas plus belles. Cette pierre est susceptible d’un poli merveilleux, et l’on ne saurait désirer mieux dans ce genre. Aussi avait-on autrefois ordonné par une loi, à Florence, que cette pierre ne pourrait être employée que pour des édifices publics et qu’avec l’autorisation du gouvernement. Le duc Cosme a fait mettre également en œuvre beaucoup de cette pierre, tant pour les colonnes et ornements de la loggia di Mercato Nuovo, que pour la salle d’audience commencée par le Bandinello dans la grande salle du Palais, ainsi que pour celle qui est en face. Une quantité plus grande que celle qui a jamais été employée dans aucun autre endroit a servi, par ordre de Son Excellence, pour la salle des Magistrats qu’elle fait élever sur le dessin et sous la direction de Giorgio Vasari d’Arezzo [14]. Cette pierre demande la même durée de temps pour être travaillée que le marbre, et elle est si dure qu’elle résiste à l’eau et se défend parfaitement des autres injures du temps.

Il y a une autre pierre qui est aussi appelée sereine, qu’on trouve dans les mêmes montagnes ; mais elle est plus rugueuse et plus dure, moins colorée et comme remplie de nœuds, résistant d’ailleurs à l’eau, à la gelée. On en tire des figures et des ornements entaillés. C’est dans cette matière que la statue de l’Abondance[15] due à Donatello, qui est sur la colonne du Mercato Vecchio, à Florence, ainsi que quantité d’autres statues faites par des artistes excellents, non seulement dans cette ville, mais sur tout le territoire.

La pierre de taille est extraite dans divers endroits ; elle résiste à l’eau, au soleil, à la gelée et aux tempêtes. Il faut du temps pour la travailler, mais elle se comporte bien et n’offre pas grande dureté. Dans cette pierre ont été faits, et par les Goths et par les modernes, les plus beaux édifices qui soient en Toscane : ce qu’on peut voir à Florence, dans le remplissage des deux arcs qui forment les portes principales de l’oratoire d’Or San Michele, et qui sont vraiment des œuvres admirables et travaillées avec un soin merveilleux. On voit également dans la même pierre quantité de statues et d’armoiries, par toute la ville, comme on l’a déjà dit, en particulier à la forteresse et dans d’autres lieux. Cette pierre a une couleur quelque peu jaunâtre, avec de fines raies blanches qui lui donnent beaucoup de grâce. On en a encore tiré quelques statues destinées à des fontaines, parce que cette pierre tient bien l’eau. C’est dans cette pierre qu’on a construit le Palais de la Seigneurie, la Loggia, Or San Michele et tout l’intérieur de Santa Maria del Fiore ainsi que tous les ponts de la cité, le palais Pitti et le palais Strozzi. Il faut la travailler au petit marteau, parce qu’elle est assez dure, de même que toutes les pierre susdites, pareillement au marbre et aux pierres analogues. Quelles que soient d’ailleurs la qualité des pierres et la trempe des outils, il faut, à ceux qui s’en servent, savoir, intelligence et jugement. Il y a une grande différence entre les artistes, même employant le même procédé, dans la manière de donner de la grâce et de la beauté à l’œuvre qu’ils produisent. C’est ce qui fait distinguer et reconnaître la façon de ceux qui savent et de ceux qui ne savent pas. Le beau et le bon des œuvres hautement réputées consistant dans l’extrême perfection que l’on voit dans les choses considérées comme telles par ceux qui s’y entendent, il est nécessaire de s’ingénier toujours, et par tous les moyens, de rendre ses œuvres parfaites et belles ; bien plus, aussi parfaites et aussi belles qu’il soit possible de l’imaginer.


Chapitre II. — De la différence entre le travail rectangulaire simple et le travail rectangulaire sculpté.

Ayant parlé en substance de toutes les pierres qui servent à nos artistes dans leurs travaux soit d’ornement, soit de sculpture, nous dirons à présent que lorsqu’on travaille la pierre pour la construction, on appelle travail rectangulaire celui dans lequel on emploie l’équerre et le compas, et dans lequel on ménage des angles à la pierre. Ce nom dérive des faces et des arêtes qui sont à angle droit ; tout ordre de corniche, tout élément qui soit droit, ou qui ait des ressauts et des angles, est du travail rectangulaire. C’est ainsi que les artistes l’appellent entre eux (lavoro di quadro). Mais si la pierre ne reste pas plane, si l’on sculpte sur les corniches des frises, des feuillages, des oves, des fuserolles, des dentelures, des écailles et d’autres sortes d’ornements, on fait du travail rectangulaire sculpté (lavoro d’intaglio), ou, comme on dit, de la sculpture d’ornement. On traite de cette sorte les différents ordres : rustique, dorique, ionique, corinthien et composite ; ce fut également de cette manière que, du temps des Goths, se traita le style tudesque[16]. Aucune espèce d’ornement ne peut être produite, si l’on ne travaille d’abord la pierre en rectangulaire simple, et ensuite en sculpté, que ce soient des pierres bigarrées, des marbres ou d’autres, que ce soient encore des briques que l’on veut recouvrir ensuite de stuc entaillé, ou du bois de noyer et d’autres essences. Mais comme beaucoup de personnes ne savent pas distinguer les ordres, nous en parlerons séparément dans le chapitre suivant et le plus brièvement que nous pourrons.


Chapitre III. — Des cinq ordres d’architecture : rustique, dorique, ionique, corinthien, composite, et du style tudesque.

L’ordre rustique est de plus petites dimensions et plus grossier que les autres, parce qu’il est le principe et le fondement de tous les autres, La composition des corniches est plus simple, et par conséquent plus belle, tant dans les chapiteaux et les bases que dans tous ses membres. Les socles, ou piédestaux, voulons-nous dire, sur lesquels reposent les colonnes, sont rectangulaires, de manière à avoir leur bande inférieure solide, et une autre au-dessus qui entoure la base, en guise de corniche. Les colonnes sont hautes de six têtes, à l’imitation des personnes naines et aptes à supporter un poids. On en voit de cette sorte, en Toscane, quantité de galeries très soignées, quoique traitées à la rustique, avec ou sans bossages et niches entre les colonnes. Il en est de même des portiques que les Anciens avaient l’habitude de ménager dans leurs villas, et des tombeaux, dont on voit beaucoup d’exemples dans nos campagnes, comme à Tivoli et a Pouzzoles. Les Anciens se servirent de cet ordre pour décorer des portes, des fenêtres, ou élever des ponts, des aqueducs, des trésors, des châteaux, des tours et des forteresses destinées à contenir des armes et des munitions, ainsi que des ports de mer, des prisons et autres bâtiments, dont ils faisaient les encoignures à pointes de diamant et à plusieurs faces fort belles. On divise ces faces de plusieurs manières, savoir : à bossages pleins, pour ne pas permettre l’escalade des murs, ce qui arriverait si les bossages avaient trop de saillie et formaient une sorte d’escalier ; à bossages variés, comme on le voit en divers endroits, particulièrement à Florence, dans la façade antérieure et principale de la grande forteresse qu’Alexandre, premier duc de Florence, fit élever. Pour rappeler les armes des Médicis, cette façade est faite de pointes de diamant et de boules aplaties, les unes et les autres de peu de relief. Ce mélange de boules et de pointes de diamant, les unes à côté des autres, est très riche, très varié, et fort beau à voir. On en voit quantité d’exemples dans les villas des Florentins, aux portails, entrées des maisons ordinaires et des palais. Outre la beauté et l’ornementation que le pays reçoit, les habitants en retirent utilité et commodité. La ville est encore plus riche en constructions extraordinaires faites en bossages, telles que le palais Médicis, la façade du palais Pitti, celle du palais Strozzi et autres. Plus les édifices sont construits avec rudesse ; simplicité et sur un bon dessin, plus ils offrent de majesté et de grandeur. Forcément, ces constructions doivent être plus durables, parce que les blocs de pierre sont plus grands et l’assemblage plus parfait, toute la bâtisse étant liée, pierre par pierre. Comme la construction en est soignée et ferme dans toutes ses parties, elle est à l’abri des événements et des injures du temps, qui ne peuvent pas lui nuire si rigoureusement qu’aux pierres taillées et sculptées à jour et, comme nous disons, campées en l’air par la hâte des ouvriers.

L’ordre dorique, fut le plus massif qu’aient eu les Grecs, le plus robuste de corps ; ses parties sont bien mieux liées ensemble que dans les autres ordres. Non seulement les Grecs, mais encore les Romains dédièrent ces sortes d’édifices à leurs grands hommes qui portèrent les armes, tels que les chefs d’armées, les consuls et les préteurs, à plus forte raison à leurs dieux, tels que Jupiter, Mars, Hercule et autres. Ils avaient grand soin de différencier la construction, suivant la destination à lui donner, la faisant unie ou ornée, simple ou riche, de manière que l’on pût discerner le rang et la dissemblance des empereurs ou de ceux qui faisaient construire. Aussi voit-on, par les monuments des Anciens, qu’ils usèrent de beaucoup d’art dans la composition de leurs constructions, et que la distribution des corniches doriques a beaucoup de grâce, ainsi qu’une grande union et beauté dans ses membres. On voit encore que les proportions de leurs fûts de colonnes doriques sont très bien entendues, n’étant ni trop gros ni trop grêles, ressemblant, dit-on, au corps d’Hercule, et ayant un aspect robuste très apte à soutenir le poids des architraves, des frises et des corniches, ainsi que du reste de l’édifice qui les surmonte. Cet ordre ayant toujours beaucoup plu au duc de Cosme, comme étant plus sûr et plus solide que les autres, il a voulu que la construction qu’il me fait élever, avec une grande richesse d’ornementation, pour treize magistrats civils de son État, à côté de son palais et jusqu’au fleuve de l’Arno, soit d’ordre dorique[17]. Pour remettre en usage le vrai mode de construction qui veut que les architraves soient posées à plat sur les colonnes, au lieu de commettre l’erreur de faire retomber les arcs des galeries sur les chapiteaux, j’ai suivi, pour la façade antérieure, le vrai mode dont se servirent les Anciens, comme on peut le voir dans cet édifice. Cette manière de faire a été évitée par les architectes passés, parce que les architraves de pierre dont on se servait, soit anciennes, soit modernes, étaient toutes, ou pour la plupart, brisées par le milieu, bien que les arcs de briques pleins ne portassent que sur le droit des colonnes, des architraves et des corniches, et par conséquent ne surchargeassent pas les architraves. Après avoir tout examiné, j’ai finalement trouvé un excellent mode permettant, avec une entière sécurité pour les architraves qui ne souffrent en aucun point, de faire en sorte que l’ensemble soit aussi fort et aussi sûr qu’il soit possible de le souhaiter, comme l’expérience l’a démontré. Le mode que j’ai employé est le suivant, que je donne, pour servir à tout le monde et aux artistes. Les colonnes étant dressées et les architraves étant posées sur les chapiteaux de manière que leur joint porte sur le droit de la colonne, on y pose un cube ; par exemple, si la colonne est grosse d’une brasse, si l’architrave est large et haute de même, le cube de la frise aura les mêmes dimensions. Mais on ménage sur le devant un huitième pour l’assemblage au plomb ; un autre huitième au plus sera pratiqué dans le cube, de manière à assurer un épaulement de chaque côté. La frise étant ensuite divisée en trois parties égales dans l’entre-colonnement, les deux parties extrêmes sont coupées en forme d’onglet et font un épaulement en sens contraire qui resserre et étreint le cube, en guise d’arc. De cette manière, le poids de la frise est reporté de chaque côté sur les cubes voisins, et la frise ne touche pour ainsi dire pas l’architrave. On jette ensuite derrière la frise un arc plein de briques, aussi haut que la frise et qui porte sur les cubes, d’une colonne à l’autre. C’est sur cet arc qu’on pose la corniche, de manière que l’architrave n’ait à supporter que son propre poids et ne risque pas de se rompre pour être trop chargée. Comme l’expérience démontre que ce mode de faire est très sûr, j’ai voulu en faire une mention particulière, au bénéfice de tout le monde, ayant particulièrement reconnu que la pratique des Anciens, de poser la frise et la corniche sur l’architrave, amenait, au bout d’un certain temps, la rupture de celle-ci, soit à la suite d’un tremblement de terre, soit pour toute autre cause, l’arc que l’on élevait sur l’entablement ne la défendant pas suffisamment. Mais en élevant des arcs sur les corniches, en liant le tout avec des chaînages de fer, on écarte tout péril et l’on fait durer l’édifice éternellement.

Pour revenir à notre sujet, nous dirons qu’on peut employer l’ordre dorique seul, ou le mettre en étage supérieur au-dessus du rustique, puis au-dessus un troisième ordre varié, ionique, corinthien ou composite, comme les Anciens nous le montrèrent dans le Colisée de Rome, dans lequel ils firent preuve d’art et de jugement. Les Romains, ayant triomphé non seulement des Grecs, mais encore de toute la terre, mirent l’ordre composite au rang supérieur, les Toscans l’ayant composé de diverses sortes, et ils le mirent au-dessus des autres comme supérieur en force, en grâce et en beauté, comme plus apparent que les autres, quand on a à couronner un édifice. Comme cet ordre est orné de belles parties, il fait à l’œuvre un amortissement très riche, et qu’on ne saurait désirer plus beau. Pour en revenir à l’ordre dorique, je dis que la colonne se fait haute de sept têtes, et sa base doit avoir un peu moins d’un quart et demi de hauteur et un quart de largeur. On la surmonte ensuite de ses corniches, et on la pose sur sa bande, avec un boudin et deux plateaux, ainsi que le veut Vitruve. Sa base et son chapiteau ont une hauteur égale, en comptant pour le chapiteau, du gorgerin jusqu’en haut. La corniche, ne faisant qu’un avec la frise et l’architrave, fait un ressaut au-dessus de chaque colonne, avec ces canaux qu’on appelle ordinairement triglyphes, qui sont distants d’un quart d’un ressaut à l’autre, et sont décorés de bucrânes, de trophées, de masques, de boucliers ou d’autres fantaisies. L’architrave retient avec un filet les ressauts, et forme en bas un petit plateau, aussi fin que l’épaisseur du ressaut, au pied duquel se trouvent six gouttes, comme les appelaient les Anciens. S’il s’agit d’avoir une colonne dorique cannelée, il faut vingt cannelures, et il ne doit rester entre les cannelures que l’arête vive. Il y a un monument, dans cet ordre, à Rome, au Forum Boarium, qui est très riche, et, dans une autre sorte, les corniches et les autres parties du théâtre de Marcellus, où est actuellement la place Montanara. Dans ce monument on ne voit pas de bases, sinon des corinthiennes. On croit que les Anciens ne faisaient pas de bases et les remplaçaient par un cube de mêmes dimensions, ce qu’on peut vérifier à Rome, à la prison Mamertine, où sont des chapiteaux plus riches que tous ceux qu’on ait vus dans cet ordre. Antonio da San Gallo a décoré dans le même ordre la cour du palais Farnèse, au Campo di Fiore, à Rome ; elle est très belle et très ornée. On peut voir continuellement que les temples anciens et modernes, les palais, construits dans cet ordre, grâce à la solidité et à la liaison des pierres, ont duré plus longtemps et ont mieux résisté que tous les autres édifices.

L’ordre ionique, qui est plus svelte que l’ordre dorique, fut créé par les Anciens, à l’imitation des personnes qui tiennent le milieu entre le délicat et le robuste, et ce qui le prouve, c’est qu’ils ont élevé de pareils édifices à Apollon, à Diane, à Bacchus et quelquefois à Vénus. La base qui soutient la colonne est haute d’un quart et demi, et large d’un quart ; les corniches inférieures et supérieures sont différentes de celles de l’ordre précédent. La colonne est haute de huit têtes, sa base est double avec deux boudins, comme la décrit Vitruve, livre III, chapitre III. Le chapiteau est bien contourné avec ses volutes, qu’on appelle aussi cornets ou vrilles, comme on peut le voir au théâtre de Marcellus, à Rome, au-dessus de l’ordre dorique. De même, la corniche est ornée de consoles et de dentelures et le devant de la frise est un peu cylindrique. Le nombre des cannelures de la colonne est de vingt-quatre, réparties de manière qu’entre deux cannelures il y ait un plat large d’un quart de cannelure. Cet ordre a belle grâce et légèreté ; les architectes modernes l’ont beaucoup employé.

L’ordre corinthien plut généralement beaucoup aux Romains, et il leur offrait tant d’agrément qu’ils élevèrent dans cet ordre les constructions les plus riches et les plus estimées, destinées à perpétuer leur souvenir, comme on le voit dans le temple de Tivoli, au-dessus du Teverone, dans les ruines du temple de la Paix, l’arc de Pola, et celui du port d’Ancone. Le Panthéon ou Rotonde de Rome est encore plus beau ; c’est l’édifice le plus riche et le plus orné qui soit, de tous les ordres indiqués ci-dessus. On fait la plinthe qui soutient la colonne de la manière suivante : large d’un quart et deux tiers, avec les corniches inférieure et supérieure en proportion, selon Vitruve. La colonne est haute de neuf têtes, y compris la base et le chapiteau, lequel a en hauteur l’épaisseur de la colonne à son pied. La base a la moitié de cette épaisseur, etles Anciens la sculptèrent de diverses manières. L’ornementation du chapiteau est faite de feuilles d’acanthe, d’après ce qu’en dit Vitruve au IVe livre, où il rapporte que ce chapiteau fut inspiré par la tombe d’une jeune fille corinthienne. Viennent ensuite l’architrave, la frise et la corniche, avec les mesures décrites par cet auteur, toutes sculptées de consoles, d’oves et d’autres motifs d’ornement sous le larmier. Les frises de cet ordre peuvent être sculptées de feuillages, ou rester planes, ou même recevoir des inscriptions, comme celle du portique de la Rotonde, qui se compose de lettres de bronze incrustées dans le marbre. Les cannelures de la colonne sont au nombre de vingt-six, quoique l’on voie des colonnes qui en aient moins. Entre deux cannelures consécutives, il y a un plat qui a le quart de la largeur d’une cannelure, comme cela apparaît clairement dans quantité de monuments, anciens et modernes, qu’on a mesurés.

L’ordre composite, bien que Vitruve n’en ait pas fait mention (car il n’a tenu compte que des ordres dorique, ionique, corinthien et toscan, tenant pour déréglés ceux qui, prenant de ces quatre ordres, en ont fait des corps qui représentent plutôt des monstres que des hommes), a été fréquemment employé par les Romains et par les modernes, à leur imitation. Je ne manquerai donc pas d’en faire mention, et d’indiquer sa composition et ses proportions. Je suis d’avis que, si les Grecs et les Romains créèrent ces quatre premiers ordres et leur imposèrent des mesures et des règles générales, ils ont dû néanmoins se servir de l’ordre composite, et que les œuvres que nous avons depuis comprises dans cet ordre ont beaucoup plus de grâce que les antiques. Et que ce soit vrai, n’en font-elles pas foi, les œuvres que Michel-Ange Buonarroti a produites dans la sacristie et la bibliothèque de San Lorenzo, à Florence ? Les portes, les niches, les bases, les colonnes, les chapiteaux, les corniches, les consoles, et en somme, toute autre chose, sont dans un style nouveau et composite, qui lui est dû, et néanmoins sont merveilleusement belles. Le même Michel-Ange en fit autant, et même plus, dans le deuxième ordre, de la cour du palais Farnèse, ainsi que dans la corniche qui soutient extérieurement le toit de ce palais. Qui veut voir combien dans ce mode de faire le génie de cet homme vraiment venu du ciel a montré d’art, de dessin et de variété, n’a qu’à regarder ce qu’il a fait dans la construction de Saint-Pierre, pour assembler le corps de cette bâtisse, et composer tant d’ornements variés et originaux, pour distribuer toutes ces corniches, ces niches si diverses, et tant d’autres choses, toutes inventées par lui, et différentes de la pratique des Anciens. Aussi ne peut-on nier que ce nouvel ordre composite, qui a reçu de Michel-Ange tant de perfection, ne puisse aller de pair avec les autres. En vérité, la bonté et le génie de cet homme, vraiment excellent sculpteur, peintre et architecte, ont fait des miracles partout où il a mis la main, outre d’autres choses claires et manifestes comme la lumière du soleil, telles que le fait d’avoir facilement rendu utilisables des sites incommodes, d’avoir amené à perfection quantité d’édifices et d’autres choses de formes défectueuses, couvrant d’ornements charmants et pleins d’originalité les défauts de l’art et de la nature. De nos jours, certains architectes communs, ne considérant pas ces choses avec un jugement droit, et ne les imitant pas, mais pleins de présomption et ne sachant pas dessiner, ont produit, comme au hasard, quantité d’œuvres monstrueuses, où l’on ne voit ni dessin, ni ornement, ni aucun ordre, et qui sont pires que les œuvres tudesques.

Pour revenir à ce mode de travail, l’usage s’est perdu de l’appeler soit composite, soit latin, soit italique. La bonne mesure de la hauteur de cette colonne est de dix têtes ; la base doit avoir la moitié de l’épaisseur, et être semblable à la base corinthienne, comme on le voit à Rome, dans l’arc de Titus Vespasien. Si l’on veut avoir une colonne cannelée, on peut la faire semblable à la colonne ionique, ou à la corinthienne, en suivant l’intention de l’architecte, qui se sert de ce mélange de tous les ordres. On peut faire les chapiteaux semblables aux corinthiens, sauf qu’il faut augmenter la cimaise, les volutes ou les feuilles, comme on le voit sur l’arc précité. L’architrave aura les trois quarts de l’épaisseur de la colonne, la frise aura des consoles, et la corniche sera semblable à l’architrave. Que la saillie la rende plus grande, comme on le voit dans le dernier ordre du Colisée, à Rome. Au-dessus des consoles susdites, on peut faire des canaux en guise de triglyphes, et d’autres sculptures, suivant l’idée de l’architecte. La plinthe sur laquelle pose la colonne doit être haute de deux quarts. Enfin ses corniches seront d’après la fantaisie de l’exécutant.

Les Anciens se servaient, pour décorer les portes, les tombeaux, ou pour remplacer des colonnes d’ornement, de termes de diverses sortes. Certaines figures ont une corbeille sur la tête, en guise de chapiteau ; d’autres ont un demi-corps qui se termine à la base par une pyramide ou un tronc d’arbre. On faisait de cette manière des nymphes, des satyres, des enfants, d’autres monstres ou fantaisies qui étaient utiles. Ce qui passait par la tête des artistes, ils le mettaient à exécution.

Voici un autre genre de travaux, qu’on appelle tudesques [gothiques], et qui diffèrent beaucoup des anciens et des modernes, en ornements et en proportions. Les grands maîtres ne s’en servent plus et les évitent au contraire comme monstrueux, barbares et ne répondant plus à aucun ordre. On pourrait plutôt les appeler confusion et désordre. Ceux qui ont employé ce style dans les œuvres qui sont si nombreuses qu’elles ont infecté toute la terre, ornaient les portes de colonnes grêles et enroulées en ceps de vigne, ne pouvant supporter aucun poids, si faible qu’il fût. Et de même pour toutes les faces et les autres ornements, ils faisaient une infinité ridicule de tabernacles superposés, avec tant de pyramides, de pointes et de feuillages, qu’il paraît impossible qu’ils pussent tenir. L’édifice semble plutôt un château de cartes qu’une construction en pierre et en marbre. Dans ces œuvres, on faisait tant de ressauts, de brisures, de corbeaux, de feuillages, que les œuvres étaient toutes disproportionnées, et, souvent à force de mettre une chose sur l’autre, la construction prenait tant de hauteur que le sommet d’une porte atteignait le toit. Ce style a été trouvé par les Goths, qui ruinèrent les édifices antiques, et firent en sorte par les guerres qu’il n’y eut plus d’architectes. Ils employaient une nouvelle méthode en construisant leurs voûtes en quart point, et remplirent toute l’Italie de ces bâtisses de malheur, dont on a actuellement abandonné le style pour ne plus le reprendre. Que Dieu préserve tout pays d’avoir l’idée, et d’élever de pareilles constructions ! Elles s’éloignent tellement de la beauté de nos constructions, qu’elles ne méritent pas qu’on s’y arrête davantage. Aussi passons aux voûtes.


Chapitre IV. — De la manière de faire les voûtes de mortier ; de les sculpter. À quel moment il faut les décintrer. Comment on fait la pâte de stuc.

Quand les murs sont parvenus au point où commencent les voûtes et qu’il s’agit d’élever celles-ci soit en briques, soit en tuf, soit en spongite, il faut, sur l’assemblage des sablières, construire un cintre serré de bois qui soient assemblés suivant la forme de la voûte, ou suivant l’ogive. L’armature de la voûte doit être assurée, dans le mode voulu, avec des étais excellents, de manière que le poids de la matière qui pèse dessus ne la déforme pas. Il faut ensuite boucher solidement, avec de la terre, tous les trous qu’il pourrait y avoir au milieu, dans les coins, et partout, afin que la mixture ne s’écoule pas quand on l’appose. L’armature étant placée, on dispose sur les cintres des caissons en bois inversement sculptés, et ayant un relief, là où il doit y avoir un creux. Il en est de même des corniches et de tous les membres de la construction, qui doivent être inversement travaillés, de manière que, lorsque on appose la matière, il vienne un relief là où il y a un creux, et un creux là où il y a un relief. Pareillement, toutes les parties des corniches doivent être inversement chantournées. Que la voûte doive être lisse ou sculptée, il est également nécessaire d’avoir des formes en bois qui donnent en terre les motifs taillés en creux, de faire en terre les plaques carrées de ces sculptures, et de les assembler en les appliquant sur les parties lisses, les gorges ou les frises, pour lesquelles on dresse l’armature. Une fois que celle-ci est couverte de ces motifs en terre, faits en creux et assemblés, il faut prendre de la chaux mélangée avec de la pouzzolane ou du sable finement criblé, rendue liquide et quelque peu grasse, et en remplir les formes, jusqu’à ce qu’elles soient toutes pleines. On fait ensuite la voûte au-dessus avec des briques, en les élevant ou en les abaissant, suivant la courbure de la voûte ; on continue de cette manière jusqu’à ce que la voûte soit fermée. Ce travail terminé, on laisse l’œuvre prendre et se consolider jusqu’à ce qu’elle soit ferme et sèche. Quand on enlève ensuite les étais, et qu’on désarme la voûte, la terre s’enlève facilement et toute l’œuvre reste sculptée et travaillée, comme si on l’avait faite en stuc. Les parties qui ne sont pas bien venues sont restaurées avec du stuc, jusqu’à ce que l’ensemble soit à bonne fin. C’est ainsi qu’ont été conduites toutes les constructions, dans les édifices antiques, et l’on a ensuite travaillé en stuc sur elles. C’est également ainsi qu’ont opéré les modernes pour les voûtes de Saint-Pierre, et quantité d’autres maîtres dans toute l’Italie.

Montrons maintenant comment se fait la pâte de stuc. On écrase dans un mortier de pierre des éclats de marbre. On ne se sert que de chaux blanche, faite avec des éclats de marbre ou avec du travertin. Au lieu de sable, on emploie le marbre broyé ; on le tamise finement et on le mélange avec de la chaux, dans la proportion des deux tiers de chaux et un tiers de marbre broyé. Le stuc se fait plus grossier ou plus fin, suivant qu’on veut travailler grossièrement ou finement. Que cela suffise en ce qui concerne les stucs, parce que nous dirons le reste quand il s’agira de les mettre en œuvre, parmi les choses de la sculpture. Avant de passer outre, nous parlerons brièvement des fontaines qu’on élève en maçonnerie et de leur ornementation.


Chapitre V. — Comment on fait des fontaines rustiques avec des encroûtements et des congélations ; comment on imprime dans le stuc des coquillages et des coulées de terre cuite.

Les fontaines que les Anciens élevèrent dans leurs palais, dans leurs jardins et dans d’autres lieux, furent de diverses sortes : les unes isolées, avec des vasques et d’autres vases, les autres adossées à un mur avec des niches, des masques, des figures et des ornements tirés du monde marin ; d’autres encore, plus simples et peu ornées, pour servir à des bains ; d’autres enfin, semblables aux fontaines naturelles qui sourdent dans les bois. Pareillement sont de diverses sortes celles que les modernes ont élevées et élèvent encore maintenant. En les variant sans cesse, ils ont ajouté aux inventions des Anciens des compositions en style toscan, couvertes de matières coulées qui pendent, semblables à des congélations ou à de grosses racines pétrifiées, comme on en voit dans divers endroits où les eaux sont crues et fortes, non seulement à Tivoli, où le fleuve Téverone pétrifie les rameaux des arbres et toute autre chose qu’on y plonge, les recouvrant de croûte et de tartre, mais encore au lac de Piè di Luco, qui fait de remarquables pétrifications, et, en Toscane, à la rivière d’Eisa, dont l’eau fait des pétrifications si claires qu’elles paraissent du marbre, du vitriol, ou de l’alun. Infiniment plus belles et plus bizarres que toutes les autres sont les pétrifications qu’on a trouvées également en Toscane, derrière le Monte Morello, à 8 milles de Florence. Le duc Cosme en a fait faire dans son jardin dell’Olmo, à Castello, les ornements rustiques des fontaines que le Tribolo, sculpteur, a élevées. Ces blocs, enlevés de l’endroit où la nature les a produits, sont assemblés à l’œuvre que l’on veut décorer avec des tenons de fer, des tiges de cuivre scellées au plomb, ou d’une autre manière, et sont fixés dans les pierres de manière qu’ils restent suspendus. On maçonne ensuite le tout dans le style toscan, de manière que la fontaine puisse être vue de tous les côtés. Des tuyaux de plomb cachés et correspondant aux orifices font jaillir l’eau quand on tourne un robinet qui est à l’origine du tuyau. On dispose ainsi des conduites d’eau et des jets d’où l’eau coule ensuite à travers les congélations et, en coulant, donne autant de douceur à l’entendre que de beauté à la voir. On peut encore faire des grottes d’une composition plus rustique et dans lesquelles on imite les fontaines naturelles de la manière suivante : on prend des rochers poreux et, après les avoir assemblés, on fait pousser dessus de la verdure qui, dans une disposition qui paraît désordonnée et sauvage, donne au lieu un aspect très naturel et bien plus vrai. D’autres font les fontaines en stuc plus uni et y mélangent ces deux styles. Tandis que le stuc est encore frais, on y imprime, pour les frises et les compartiments, des coquilles, des coquillages, des tortues grandes et petites, en dressant ou en renversant ces ornements. On en fait aussi des vases et des festons dont les feuilles sont représentées par ces coquilles et les fruits pareillement par des coquillages. On y pose également des carapaces de tortues d’eau, comme à la villa que fit construire le pape Clément VII quand il était encore cardinal, au pied du Monte Mario, sous la direction de Giovanni da Udine.

On fait encore, en diverses couleurs un travail de mosaïque rustique très beau, en prenant de petits morceaux de matière coulée, défaits et trop cuits au fourneau, ainsi que d’autres morceaux de verre coulé, qui se produisent quand les poêlons de verre éclatent dans le fourneau, par excès de feu. La mosaïque en question se fait en fixant ces morceaux dans le stuc et en les séparant par des coraux et par d’autres branches marines, qui offent beaucoup de grâce et de beauté. On fait ainsi des animaux et des figures que l’on couvre d’émaux en plusieurs morceaux placés pêle-mêle ; cet ensemble est très original à voir. On en a fait à Rome, plusieurs fontaines modernes qui ont encouragé quantité d’artistes à tenter de pareils travaux. Actuellement, on emploie une autre sorte d’ornementation pour les fontaines, également d’ordre rustique, et qui se fait de la manière suivante : après avoir dressé l’ossature des figures ou de ce qu’on veut faire, après l’avoir couverte de chaux et de stuc, on fait l’extérieur, en guise de mosaïque avec des morceaux de marbre blanc ou d’autre couleur, selon le but à remplir ou encore, avec de petits cailloux de diverses couleurs. Ce travail, quand il est fait soigneusement, dure longtemps. Le stuc que l’on emploie pour ces verres est le même que celui dont nous avons indiqué la compostion. Quand il est frais, il retient tout ce qu’on y a imprimé. Dans ces fontaines de petits cailloux de rivière ronds et agglomérés on fait de la même manière le fond du bassin en maçonnant ces cailloux de champ, ce qui permet de retenir l’eau. On peut aussi faire des pavements très gracieux, en terre cuite, composés de carreaux de formes diverses et vitrifiés au feu, ayant des couleurs variées ou figurant des frises et des feuillages. Mais ce genre de pavement convient mieux aux étuves et aux salles de bains qu’aux fontaines.


Chapitre VI. — De la manière de faire des pavements en carreaux assemblés.

Toutes les choses qu’on a pu trouver, les Anciens les ont trouvées bien qu’avec difficulté et en tout genre, ou bien ils se sont efforcés de les trouver ; je veux parler de toutes les choses qui puissent présenter à la vue des hommes beauté et variété. Ils trouvèrent donc, entre autres belles choses, les pavements de pierres diverses, mélangées de porphyre, de serpentine et de granit, en morceaux ronds, carrés ou d’autres forme, ce qui leur fit croire qu’ils pourraient composer des frises, des feuillages, des figures et d’autres motifs de dessin. Pour pouvoir mieux étudier ce travail ils taillèrent des marbres, de manière que les morceaux étant plus petits pussent être placés droit, en rond ou de travers, selon que cela leur convenait mieux. En rassemblant ainsi ces morceaux, ils en firent une sorte de mosaïque, et s’en servirent beaucoup dans les pavements de leurs édifices, comme nous le voyons encore maintenant dans les Thermes de Caracalla, à Rome, et dans d’autres lieux. Les mosaïques qu’on y voit sont faites de petits carrés de marbre et représentent des feuillages, des masques et d’autres fantaisies. Le fond est composé de carreaux de marbre blanc et de petits carreaux de marbre noir. Voici quel était le procédé employé : on disposait d’abord une couche de stuc frais, composé de chaux et de marbre, suffisamment épais pour tenir les morceaux fortement assemblés, ceux-ci devant être aplanis à la surface libre quand l’ensemble aurait bien pris. Le stuc, en effet, prenait admirablement en séchant, et l’œuvre acquérait un aspect émaillé merveilleux que ni le frottement des pieds ni l’eau ne pouvaient altérer. Ces pavements étant venus en grande estime, les esprits des Anciens se mirent à viser plus haut, car il est toujours facile d’ajouter quelque chose de bon à une invention déjà trouvée. Ils firent alors des mosaïques de marbres plus fins, et en composèrent des pavements pour des étuves et des salles de bains. Ils les travaillaient avec une grande adresse et y mettaient beaucoup de soin, y représentant des poissons variés et imitant la peinture avec toutes sortes de couleurs qui y étaient aptes, avec plusieurs espèces de marbres, et en y mélangeant des petits morceaux taillés d’os de poisson dont le grain est brillant. Ils faisaient ainsi des pavements de couleurs vives qui le paraissaient encore plus, à travers l’eau qui les couvrait, pourvu qu’elle fût limpide. On en voit un exemple dans le Parion, à Rome, qui appartient à Messer Egidio et à Fabio Sasso. Ce genre de peinture leur paraissait devoir résister à l’eau, au vent et au soleil, à cause de sa dureté, et comme ils pensaient qu’une pareille œuvre ferait plus d’effet de loin que de près, parce que de loin on ne devait pas apercevoir la fragmentation de la mosaïque, visible de près, ils s’en servirent pour orner des voûtes et des parois de murs, où elle se trouvait dans la condition voulue. Pour que cette œuvre fut brillante et pût résister à l’humidité, ils imaginèrent de la faire en mosaïque de verre et ils l’exécutèrent ainsi. L’œuvre étant belle à voir, ils en ornèrent leurs temples et d’autres édifices, comme nous voyons encore actuellement à Rome le temple de Bacchus et d’autres. Ces mosaïques, dérivant de celles de marbre, s’appellent aujourd’hui mosaïques de verre. On a passé ensuite à celles en coquilles d’œuf et enfin un nouveau mode de traiter les figures et les sujets en clairobscur, avec des morceaux assemblés qui simulent la peinture. Nous en parlerons en son temps, dans les chapitres de la peinture.


Chapitre VII. — À quoi l’on reconnaît un édifice bien proportionné, et quelles parties lui conviennent généralement.


Comme, en parlant des choses particulières, je me détourne trop de mon sujet, je laisse ces considérations de détail aux écrivains d’architecture, et je dirai seulement d’une manière générale comment l’on reconnaît les bonnes constructions et ce qui convient à leur forme pour qu’elles soient à la fois utiles et belles. Quand donc on est devant un édifice, que l’on veut voir s’il a été ordonné par un architecte excellent, se rendre compte de la maîtrise dont ce dernier a fait preuve et savoir s’il a su se conformer au site et à la volonté de celui qui fait construire, il faut considérer les trois choses suivantes. En premier lieu, celui qui a dressé le bâtiment au-dessus des fondations s’est-il rendu compte si le lieu était propre à ce but et capable de recevoir la qualité et la quantité des travaux projetés, tant dans la répartition des chambres que dans les ornements des murs, que comporte le lieu, resserré ou spacieux, haut ou bas ? L’édifice est-il divisé avec grâce et avec la mesure convenable ? lui a-t-on donné la qualité et la quantité voulues de colonnes, de fenêtres, de portes, d’ornements, aux faces intérieures et extérieures, ainsi que la hauteur et la largeur nécessaires des murs, enfin tout ce qui s’impose à ce propos ? Il faut que les appartements soient bien distribués, qu’ils aient leurs portes correspondantes, ainsi que les fenêtres, cheminées, escaliers dérobés, antichambres, garde-robes, bureaux nécessaires, sans que l’on y reconnaisse d’erreurs, comme celles d’un salon immense, d’un tout petit portique, de chambres encore plus exiguës ; toutes parties qui, étant membres d’un même édifice, doivent être, comme dans le corps humain, également ordonnées et distribuées, suivant la quantité et la variété des constructions ; par exemple, des temples ronds, octogones, à six faces, en croix ou carrés, les ordres qui varient suivant le goût et le rang de celui qui fait construire. Quand le dessin de ces édifices est de la main d’un homme qui a du jugement, ils montrent avec une belle manière l’excellence de l’artiste et la pensée de leur auteur. Pour mieux nous faire comprendre, nous supposerons le palais décrit ci-dessous. Il donnera des idées pour d’autres édifices et permettra de reconnaître, en le voyant, si un édifice est bien conçu ou non. Tout d’abord, qui considérera sa façade antérieure le verra élevé au-dessus de terre, soit sur une série de marches, soit sur des terrasses, assez pour que cette élévation lui donne de la grandeur et fasse que les caves et les cuisines souterraines soient plus éclairées, et plus hautes de plafond. L’édifice en sera aussi d’autant mieux préservé des tremblements de terre et des autres événements. Il faut ensuite qu’il soit semblable au corps humain, dans son ensemble et dans ses parties. Comme il aura à résister aux vents, à la pluie et aux autres intempéries, il devra être muni d’égouts, qui aboutissent à un collecteur, pour emporter au loin les saletés et les mauvaises odeurs, qui pourraient lui causer des dégâts. Quant à l’aspect général, sa façade doit avoir du décor et de la majesté, et être divisée comme le visage humain. La porte, en bas et au milieu, comme l’homme a la bouche de laquelle passent dans le corps tous les aliments. Les fenêtres correspondent aux yeux, une deçà et l’autre delà, et toujours de même, autant d’un côté que de l’autre, comme pour les ornements, les arcades, les colonnes, les pilastres, les niches, les fenêtres grillées, en un mot toutes sortes d’ornements, pour lesquels on suivra les mesures et les ordres, dont on a déjà parlé, soit dorique, ionique, soit corinthien ou toscan. Que l’entablement, qui soutient le toit, soit en proportion de la façade, suffisamment grand pour que la pluie ne baigne pas la façade et n’atteigne pas une personne assise au pied du mur, la saillie en proportion de la hauteur et de la largeur de cette façade. Pénétrons à l’intérieur. Que le premier vestibule soit magnifique et corresponde strictement à l’entrée de la gorge chez l’homme : qu’il soit large et dégagé, pour que les files de cavaliers ou de piétons qui y passeront fréquemment ne se causent pas d’accidents quand on y entrera en foule, soit pour des fêtes, soit pour d’autres réjouissances. La cour, correspondant au corps humain, sera un carré parfait, ou un rectangle, comme le corps entier. Que son ordonnance se compose de fenêtres en nombre égal, et avec de beaux ornements. Le grand escalier doit être commode, doux à monter, large et élevé de plafond, autant que le permettront les proportions du lieu. Il faut qu’il soit en outre orné et très éclairé, tout au moins que sur chaque palier il y ait des fenêtres ou d’autres moyens d’éclairage. En somme, l’escalier doit avoir de la magnificence dans toutes ses parties, parce que beaucoup de personnes ne voient que l’escalier et pas le reste du palais. On peut dire que les escaliers sont les bras et les jambes de ce corps, et de même que les bras sont attachés aux côtés de l’homme, de même les escaliers devront être pratiqués sur les côtés de l’édifice. Je ne passerai pas sous silence que la hauteur des marches doit être au moins d’un cinquième et la largeur des deux tiers ; cela se fait ainsi dans les escaliers des édifices publics, et dans les autres à proportion. Quand un escalier est trop rapide, il ne peut être gravi ni par des enfants ni par des vieillards, et il rompt les jambes. C’est la partie la plus difficile à construire dans l’édifice, et comme c’est la plus ordinairement fréquentée, il arrive souvent que nous agrandissons les chambres à ses dépens. Il faut qu’à l’étage inférieur les salles, les chambres fassent un appartement commun pour l’été, de manière à pouvoir y réunir plusieurs personnes. Au-dessus, on disposera de petits salons, des salles et des appartements arrangés de façon que les petites chambres donnent toutes dans la plus grande. C’est ainsi également que seront disposées les cuisines avec leurs dépendances. Si l’on ne suivait pas cet ordre, et si la distribution était coupée, avec certaines parties hautes, d’autres basses, les unes grandes et les autres petites, les édifices seraient semblables à des hommes boiteux, contournés, aux yeux louches et aux membres estropiés. Une pareille œuvre causerait à son auteur des blâmes et ne lui attirerait aucun éloge. Les compositions d’ornements des façades soit intérieures, soit extérieures, doivent correspondre aux ordres des colonnes, c’est-à-dire que les fûts de ces dernières ne soient pas longs et grêles, courts et trapus, mais suivent les proportions et l’ornement de leurs ordres. Il ne faut pas donner à une colonne mince un chapiteau large, ni une base semblable : que les membres au contraire, correspondent au corps, et qu’ils aient à la fois de la grâce, du style et un beau dessin. Toutes ces choses sont faciles à reconnaître par un œil délicat. S’il possède du jugement, il aura un vrai compas et la juste mesure ; les bonnes choses seront louées par lui et les mauvaises blâmées. Qu’il nous suffise d’avoir parlé en général de l’architecture, parce qu’une plus longue dissertation sortirait de notre sujet.

  1. Actuellement au Vatican, musée Pio Clementino, de même que le vase indiqué plus loin.
  2. Il fut placé ultérieurement sur le tombeau de Clément XII, dans la chapelle Corsini à Saint-Jean-de-Latran.
  3. Bernardo Ruccellai, dans les jardins duquel se réunit la dernière Académie platonicienne.
  4. Ce vase est actuellement au Vatican, musée Pio Clementino.
  5. Francesco Ferrucci dit le Tadda. Les œuvres indiquées ci-dessous n’ont pas été retrouvées.
  6. Livre IV, ch. xxx.
  7. Aujourd’hui Monte Martiri, dans le val d’Ema.
  8. Appelée communément le Panthéon de Rome.
  9. En place. Voir la Vie de Benedetto da Rovezzano.
  10. En place.
  11. C’est le Neptune de la fontaine de Jean Bologne, sur la place de la Seigneurie.
  12. Église Sar Jacopo degli Spagnuoli ; tombeau en place.
  13. Il s’agit de l’ardoise.
  14. Dans le Palais des Offices.
  15. N’existe plus.
  16. C’est ainsi que Vasari appelle le style gothique.
  17. Il s’agit du Palais des offices.