Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/De la sculpture

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DE LA SCULPTURE




Chapitre premier. — Quelle chose est la Sculpture ; comment sont faites les bonnes sculptures et quelles parties elles doivent avoir pour être regardées comme parfaites.



L a sculpture est un art, qui, enlevant le superflu de la matière employée, la réduit à la forme de corps qui est dessinée dans l’imagination de l’artiste. Il faut considérer que toutes les figures, pour être dites parfaites, doivent avoir plusieurs parties, de quelques sortes que ces figures soient ou taillées dans le marbre, ou coulées en bronze, fixités en stuc ou en bois, devant être en ronde-bosse et susceptibles d’être vues de tous côtés. En premier lieu, quand une pareille figure se présente tout d’abord à la vue, elle doit rappeler et avoir la ressemblance de ce qu’elle a à représenter, fière ou humble, ou singulière, gaie ou mélancolique, selon sa signification. Elle doit offrir une égale correspondance des membres, c’est-à-dire, ne pas avoir les jambes longues, la tête grosse, les bras courts et difformes. Au contraire, qu’elle soit bien mesurée, et également concordante dans toutes ses parties, de la tête aux pieds. Si la tête est celle d’un vieillard, que la statue ait pareillement les bras, le corps, les jambes, les mains et les pieds d’un vieillard, et les veines bien à leur place ; que les os, les muscles et les nerfs soient apparents à la fois. Si c’est un jeune homme, la statue doit avoir le visage plein, délicat et doux au regard, en concordance avec le reste du corps. Si elle ne doit pas être nue, il faut faire en sorte que les draperies qui la recouvrent ne soient pas maigres, au point de faire paraître le travail sec, ni épaisses à sembler un manteau de pierre. Qu’elles soient au contraire enroulées avec le développement de leurs plis, de manière qu’elles laissent deviner les parties nues qu’elles recouvrent, tantôt les montrant avec grâce et art, tantôt les cachant, sans aucune crudité qui nuise à la statue. Les cheveux et la barbe doivent être exécutés avec une certaine flexibilité, déroulés ou bouclés, de manière à montrer qu’ils ont été traités poil par poil, et qu’on leur a donné toute la grâce et l’aspect pileux qu’on peut demander au ciseau. Dans cette partie, cependant, les sculpteurs ne peuvent pas aussi bien copier la nature que dans d’autres, car ils font les touffes de cheveux raides ou frisées, plus par procédé d’école que par imitation de la nature.

La statue est-elle drapée, il est nécessaire de faire les pieds et les mains en sorte que ces parties égalent en beauté et en bonté les autres parties. Comme la statue est en ronde-bosse, il faut que vue de face, de profil ou par derrière, elle soit de proportions égales, devant, à chaque point de vue, se présenter comme bien exécutée dans toutes ses parties. Il est donc nécessaire que cette corrélation soit parfaite en tout, attitude, dessin, union, grâce et exécution ; toutes ces choses montrent le talent et la valeur de l’artiste. Les figures, aussi bien en relief qu’en peinture, doivent être ordonnées plus avec le jugement qu’avec la main, car elles sont destinées à être placées en l’air, et à être vues d’une certaine distance. En effet, le fini extrême ne se reconnaît pas de loin, mais on voit bien la belle forme des bras et des jambes, et des draperies simplement plissées font preuve de bon jugement de la part de leur auteur. C’est dans la simplicité de la sobriété que se montre la subtilité du génie. Aussi, les statues de marbre et de bronze qui sont placées un peu haut doivent-elles être modelées énergiquement ; parce que le marbre étant blanc, et le bronze tirant sur le noir, sont susceptibles d’ombres accusées ; aussi le travail, vu de loin, paraît-il terminé, et, de près, distingue-t-on qu’il est resté ébauché. Les Anciens furent grandement attentifs à observer ces considérations dans leurs figures en ronde-bosse ou de demi-relief, que nous voyons sur les arcs de triomphe, et sur les colonnes de Rome, lesquels monuments montrent, en outre, quelle somme de jugement ils eurent. Parmi les artistes modernes, on peut voir que le même principe a été rigoureusement suivi par Donatello, dans ses œuvres. Il faut de plus considérer que, lorsque les statues sont placées en un lieu élevé, et qu’au bas il n’y a pas beaucoup de distance pour pouvoir se reculer et les juger de loin, que, par conséquent, il faut pour ainsi dire se tenir sous leur nez, de pareilles statues doivent avoir une tête ou deux de plus, de hauteur. C’est ce qu’on fait, parce que des statues placées ainsi, en l’air, se perdent dans le raccourci de la vue, pour l’observateur placé au-dessous et regardant de bas en haut. L’augmentation de hauteur que l’on donne à la statue se fond dans le raccourci visuel, et rétablit la bonne proportion, de manière qu’on a devant soi une statue de bonnes dimensions, et non pas un nain. Et si ce procédé ne plaisait pas, il est loisible de conserver aux membres de la statue leur grâce et leur minceur ; mais cela revient à peu près au même. Beaucoup d’artistes ont l’habitude de faire leurs statues hautes de neuf têtes ; on les divise en huit têtes, non compris la gorge, le cou et la hauteur du pied qui, pris ensemble, complètent à neuf têtes. Soit deux hauteurs de tête pour les jambes, deux pour la distance des genoux aux parties génitales, trois pour le torse jusqu’au creux de la gorge, une du menton jusqu’au haut du front, enfin une pour la gorge et cette partie qui va de la cheville à la plante des pieds. En tout neuf têtes. Les bras sont attachés aux épaules, et de cette articulation au creux de la gorge, on compte une tête de chaque côté. Les bras jusqu’à l’articulation du poignet, ont trois têtes de longueur ; l’homme ouvrant ses bras et les étendant, a une envergure égale à sa hauteur totale. Mais on ne doit se servir de meilleure mesure que le jugement de l’œil ; quand bien même une chose serait bien mesurée, si l’œil est offusqué, il faut la blâmer. Aussi disons-nous que, bien que la mesure soit une juste modération dans l’agrandissement des statues, en sorte que leur hauteur et leur largeur donnent à l’œuvre grâce et proportion, en maintenant toutefois son ordonnance générale, néanmoins l’œil devra ensuite, avec son jugement, enlever ou ajouter, selon qu’il verra des points défectueux, de manière à leur donner des proportions, grâce, dessin et perfection, et à ce qu’elles puissent être louées par tout excellent esprit. La statue, ou figure qui aura ces parties, sera parfaite de bonté, de beauté, de grâce et de dessin. Nous appellerons ces figures ronde-bosse, parce qu’on pourra voir toutes leurs parties terminées, comme celles d’un homme en tournant autour de lui. Il en sera de même des parties qui dépendent de celles-ci. Mais il nous paraît désormais temps de passer à des choses plus particulières.


Chapitre II. — De la manière de faire les modèles en cire et en terre ; comment on les recouvre ; comment on les agrandit ensuite, à proportion, dans le marbre ; comment on dégrossit une œuvre de sculpture, de quelle manière on la travaille à la gradine, on la polit, on la passe à la pierre ponce, on la lisse, et on la rend terminée.

Quand les sculpteurs veulent exécuter une figure de marbre, ils ont l’habitude de préparer pour elle un modèle, pour employer le terme consacré ; c’est une réplique de la figure, de la grandeur d’une demi-brasse, ou moins, ou plus, selon qu’ils le trouvent plus commode, en terre, en cire, ou en stuc, et qui leur sert à montrer l’attitude et les proportions que devra avoir la figure qu’ils veulent faire, en cherchant à se conformer à la largeur et à la hauteur du bloc qu’ils ont fait extraire, et dont ils veulent tirer leur statue. Pour montrer comment on travaille la cire, nous laisserons d’abord de côté les modèles en terre. Occupons-nous donc de la cire. Pour la rendre plus moelleuse, on y mélange un peu de suif, de térébenthine et de poix noire. Parmi ces produits, le suif la rend plus maniable, la térébenthine plus visqueuse, la poix lui donne la couleur noire et une certaine fermeté, en sorte qu’elle devient dure quand le modèle est terminé. Celui qui voudrait le faire d’une autre couleur le pourrait aisément. En mettant dans la cire de la terre rouge, du cinabre ou du vermillon, il la rendra couleur de jujube, ou de la couleur correspondante au produit ajouté : verte, si on y met du vert-de-gris, et ainsi de suite des autres couleurs. Il est bon de prévenir que les couleurs employées doivent être en poudre, tamisées, et ensuite être mélangées avec de la cire rendue liquide auparavant. Pour les petits objets, tels que des médailles, des portraits et des petits bas-reliefs, on se sert également de cire blanche. On la fait en mélangeant de la céruse en poudre avec de la cire blanche, comme cela a été dit ci-dessus. Je ne passerai pas de plus sous silence que les artistes modernes ont trouvé la manière de faire en cire des enduits de toutes sortes de couleurs. En sorte que, dans les portraits faits d’après nature, et en demi-relief, les carnations, les cheveux, les vêtements et les autres choses sont tellement semblables au modèle qu’il ne manque rien à de pareilles figures, dans un certain sens, si ce n’est le souffle et la parole. Revenons à la manière de faire les modèles en cire. La mixture faite, fondue ensemble et refroidie, on en fait des morceaux de pâte. Quand on les tripote avec les mains, toujours un peu chaudes, ils se comportent comme de la pâte ordinaire, et on en tire une figure assise, debout ou comme on la veut, soutenue par une armature intérieure, soit en bois, soit en fil de fer, selon la volonté de l’artiste. On peut employer cette armature ou non, le résultat devant être aussi bon. Peu à peu, travaillant autant avec son esprit qu’avec ses mains, on donne du corps à l’œuvre en recouvrant de cire les brochettes d’os, de fer, ou de bois, et en resserrant la matière. On ajoute des couches superposées, en affinant le travail, jusqu’à ce que l’on donne avec les doigts un fini extrême à ce modèle.

Si l’on veut faire des modèles qui soient en terre, on les exécute de la même manière, mais sans armature intérieure de bois ou de fer qui ferait fendre et se crevasser la terre. Pour éviter cet accident pendant le travail on laisse le modèle couvert d’un drap mouillé, jusqu’à ce qu’il soit fini.

Ayant terminé ce qui concerne les petits modèles, ou les figures en cire ou en terre, nous allons examiner autre chose. Il s’agit de faire un autre modèle qui soit aussi grand que la figure que l’on veut tirer du marbre. Dans ce travail, comme la terre que l’on emploie imprégnée d’eau se resserre en séchant, il faut s’y prendre tout à son aise et n’exécuter les différentes parties du modèle que successivement. Vers la fin, on mélange à la terre de la farine cuite qui la maintient maniable et l’empêche de se sécher. Cette attention fait que le modèle, ne se resserrant pas, reste exactement semblable à la figure que l’on veut exécuter en marbre. Comme un si grand modèle de terre doit pouvoir se tenir, et pour empêcher la terre de se fendre, il faut prendre de la bourre ou de l’étoupe, et les mélanger à la terre, pour lui donner de la consistance et éviter les crevasses. On fait aussi une armature intérieure en bois, entourée d’étoupe ou de foin qu’on ficelle autour. Elle représente l’ossature de la figure, et permet de lui donner l’attitude qu’il faut, soit debout, soit assise, selon le petit modèle exécuté auparavant. On commence ensuite à la couvrir de terre, en l’exécutant nue et on poursuit le travail jusqu’à la fin. La figure ainsi terminée, si on veut ensuite qu’elle soit recouverte de fines draperies, on prend de la fine toile, ou de la grosse toile dans le cas contraire, on la trempe dans l’eau, et, une fois mouillée, on l’enduit de terre non pas liquide, mais plutôt en boue un peu épaisse. On la jette ensuite sur la figure, ayant soin de ménager les plis et les froissures que l’on veut lui donner. Une fois sèche, la toile vient à durcir et maintient indéfiniment les plis. C’est ainsi que l’on conduit à bonne fin les modèles en cire et en terre. Quand on veut agrandir un modèle, à proportion, dans le marbre, il faut que l’on ménage une équerre dans le bloc de pierre même dont on veut extraire la statue ; une des branches est horizontale, à la base de la statue l’autre est verticale, ces deux lignes ne devront pas être modifiées pendant toute l’exécution du travail. Une autre équerre de bois, ou d’autre matière, est fixée au modèle et sert à prendre les mesures de celui-ci : par exemple, de combien les jambes sont écartées du corps, et de même les bras. On cherche ensuite à dégager la figure du bloc avec ces mesures, en les reportant du modèle sur le marbre, avec leurs proportions, de manière qu’enlevant de la pierre avec le ciseau, la figure sorte peu à peu du bloc avec ses justes mesures, comme si on sortait une figure de cire d’un bassin d’eau dont on la tirerait par la tête. On verrait ainsi d’abord la tête, puis le corps et les genoux, en découvrant peu à peu la figure et en la tirant en l’air. Puis on apercevait d’abord la rondeur de la moitié supérieure du corps, et ensuite celle de l’autre moitié. Ceux qui travaillent avec précipitation et s’attaquent au bloc directement, en enlevant de la pierre hardiment devant et derrière, ne peuvent pas ensuite en ajouter, si le besoin s’en fait sentir, et de là proviennent quantité d’erreurs que l’on remarque dans les statues. L’artiste, ayant voulu voir sortir la figure toute ronde, d’un seul jet, hors du bloc, découvre souvent une erreur commise, à laquelle il ne pourra remédier qu’en ajoutant des morceaux rapportés, procédé que nous avons vu suivre par quantité d’artistes modernes. Ce raccommodage est digne d’un savetier, et non pas d’hommes excellents et de maîtres remarquables ; c’est une chose laide et grossière qu’il faut blâmer avec énergie.

Les sculpteurs ont l’habitude, quand ils travaillent le marbre, de commencer à ébaucher leurs figures avec une subbia. C’est un instrument ainsi appelé par eux, et qui se compose d’une pointe affûtée de court. Ils enlèvent donc la pierre, et dégrossissent largement le bloc. Ensuite, avec d’autres instruments appelés calcagnuoli, qui sont courts et qui ont une entaille au milieu du tranchant, ils commencent le contour. Ils continuent à se servir de cet instrument, jusqu’à ce qu’ils passent à un outil plat, plus fin, qui a deux entailles, et qu’on appelle une gradine. Ils modèlent ainsi toute la statue avec délicatesse, en ménageant les muscles et les plis des draperies, et ils la traitent par le moyen des entailles, ou dents dont l’outil est muni, de manière que la pierre montre une grâce admirable. Cela fait on enlève les stries avec un polissoir, et l’on termine cette partie de travail avec des limes courbes, pour donner de la perfection à la statue en y ajoutant de la douceur, du moelleux et du fini. On en fait autant avec d’autres limes fines et avec des râpes droites, qui enlèvent les stries qui ont pu rester. Ensuite, avec de la pierre ponce, on lisse toute la statue, en lui donnant le charnu que l’on voit dans les œuvres admirables de la sculpture. On emploie également la poudre de Tripoli, qui donne un brillant et un poli merveilleux, ce qu’on obtient aussi en frottant avec des tampons de paille. Finalement, terminées et polies, les statues se montrent admirables à nos yeux.


Chapitre III. — Des sculptures en bas-relief et en demi-relief. De la difficulté de les faire. En quoi consiste la manière de les conduire à la perfection.

Les figures que les sculpteurs appellent demi-reliefs furent inventées par les Anciens, qui en composèrent des sujets, pour orner les murs lisses, et s’en servirent dans les théâtres, ou les arcs de triomphe. En effet, ayant fait des figures en ronde-bosse, ils ne pouvaient les poser s’ils ne ménageaient auparavant une salle ou une place qui fût entièrement dégagée. Voulant éviter cet inconvénient, ils trouvèrent une espèce de sculpture qu’ils appelèrent demi-relief, nom qu’on lui a conservé. En analogie avec la peinture, elle représente d’abord, en entier, les figures principales, en demi-relief, ou plus, comme dans la réalité, les deuxièmes figures à demi-cachées par les premières, et ainsi de suite, de la même manière qu’apparaissent les personnes vivantes, quand elles sont rassemblées et serrées les unes contre les autres. Dans cette espèce de demi-relief, à cause de la diminution de grandeur due à la perspective, on fait les dernières figures petites, et de même si l’on ne voit que les têtes, ainsi que les édifices et le paysage qui forment le fond du sujet. Personne n’a mieux exécuté que les Anciens cette espèce de demi-relief, tant pour l’observation que pour la diminution graduelle, et l’éloignement progressif des figures, les unes par rapport aux autres. Les Anciens, étant imitateurs du vrai et ingénieux, n’ont jamais fait de pareils tableaux, dans lesquels les figures soient placées sur un plan fuyant, ou qui se présente en raccourci ; au contraire, les figures posent leurs pieds sur la corniche inférieure, tandis que quelques-uns de nos artistes modernes, voulant faire paraître leur plus grand savoir, ont placé dans leurs sujets de demi-relief les premières figures sur un plan qui est en bas-relief et qui fuit, puis les figures suivantes sur le même plan, de manière qu’ainsi posées, elles n’ont pas leurs pieds appuyés avec cette assurance qu’elles devraient avoir. Il en résulte que l’on voit souvent les pointes des pieds de pareilles figures, qui font face en arrière, toucher l’os de la jambe, par un raccourci exagéré. C’est ce qu’on voit dans beaucoup d’œuvres modernes, entre autres, sur la porte de San Giovanni et autres œuvres du même temps. Aussi, les reliefs qui offrent ce caractère sont-ils faux, parce que si la moitié de la figure sort du bloc, et si on doit faire d’autres figures derrière les premières, il faut observer les règles de la perspective, en tant que fuite et diminution de grandeur, faire poser les pieds sur le plan, de manière que le plan soit plus en avant que les pieds, comme le veulent le coup d’œil et la règle dans les peintures. Il convient, en outre, que les figures aillent en diminuant de hauteur proportionnellement à leur éloignement, en sorte que le relief des dernières soit peu accusé, et que les figures soient petites. Aussi, et pour l’harmonie qui doit régner dans l’œuvre, est-il difficile de donner une grande perfection aux figures, et de les traiter de manière à ménager les raccourcis voulus des pieds et des têtes. Il est nécessaire que l’artiste ait un dessin extrêmement soigné, pour faire éclater sa valeur dans de pareilles difficultés. Cette perfection est aussi indispensable aux œuvres exécutées en terre ou en cire, qu’à celles en bronze ou en marbre. Toutes les œuvres de demi-relief, qui offriront les qualités que je viens d’indiquer seront admirées, et recevront des éloges, de la part des artistes connaisseurs.

La deuxième espèce de sculptures, que l’on appelle bas-reliefs, est de moindre relief que la précédente, et ils sont généralement confondus, au moins pour une bonne moitié, avec les autres. On peut y représenter avec discernement les plans, les édifices, les perspectives, les escaliers et les paysages, comme nous le voyons sur les tribunes de bronze de San Lorenzo, à Florence, et dans toutes les œuvres analogues de Donato, lequel, dans ce genre, exécuta des œuvres vraiment divines, très exactes d’observation. Ces bas-reliefs se présentent à l’œil, aisés, sans erreurs ni barbarismes, parce que leur saillie n’est pas suffisante pour être la cause d’erreurs et provoquer le blâme.

La troisième espèce de sculptures n’offre qu’un très faible relief ; on l’appelle des reliefs effacés et ils ne sont juste que le contour un peu apparent de la figure. C’est un travail difficile, vu qu’il faut beaucoup de dessin et d’invention, et qu’il s’agit avant tout de contours. Dans ce genre encore. Donato travailla mieux que n’importe quel artiste, et fit preuve d’art, de dessin et d’invention. On voit aussi de semblables figures, ainsi que des masques et d’autres sujets antiques, sur les anciens vases arétins, sur les camées anciens, sur les monnaies, et sur les coins destinés à frapper des médailles. Ce procédé fut employé, parce que, si le relief avait été trop accusé, on n’aurait rien pu frapper ; l’empreinte ne serait pas venue au coup de marteau, tandis qu’avec un faible relief la matière à frapper remplit aisément les creux du coin. Nous avons vu dans ce genre quantité d’artistes modernes qui y ont excellé, et encore plus les Anciens, comme nous le dirons plus tard et avec plus de détails, dans les Vies de ces Artistes. De fait, celui qui saura reconnaître dans les demi-reliefs la perfection des figures mises exactement en perspective, dans les bas-reliefs, la bonté du dessin, également pour la perspective et les autres inventions, enfin dans les reliefs effacés la netteté, la pureté et la belle forme des figures qu’on y représente, celui-là fera bien de louer les belles parties et de blâmer les mauvaises, et apprendra ainsi à autrui à savoir faire les mêmes réflexions.



Chapitre IV. — Comment on fait les modèles pour des statues en bronze, grandes et petites ; de la manière de faire les moules pour les couler ; des armatures métalliques, de la coulée, des trois sortes de bronze ; comment, une fois coulées, on cisèle les statues et on les répare. Dans le cas où des parties ne sont pas venues, comment on en ajoute d’autres ; comment on les assemble au bronze.


Quand les artistes excellents veulent couler de grandes figures en métal ou en bronze, ils ont l’habitude de faire tout d’abord une statue en terre, de même grandeur que celles qu’ils veulent couler, et ils l’exécutent en terre, avec toute la perfection qu’ils peuvent tirer de l’art et de leur savoir. Ayant donc fait ce qu’ils appellent un modèle, et l’ayant amené à la perfection susdite, ils commencent ensuite, avec du plâtre à mouler, à faire le moulage en creux des différentes parties de la statue. Sur chaque creux on aménage les bords de manière qu’ils s’ajustent exactement avec les bords d’un autre creux, et on les marque avec des chiffres, des lettres ou d’autres signes pour pouvoir ensuite les assembler. Ayant ainsi moulé les différentes parties de la statue, on oint les creux d’huile, sur les bords par lesquels ils doivent s’assembler. On moule donc, creux par creux, toute la statue, en commençant par la tête, les bras, le torse, et en finissant par les jambes, de manière que le moulage en creux de la statue reproduise toutes les parties et les moindres particularités du modèle. Cela fait, on laisse ce moulage sécher et reposer. On prend ensuite une barre de fer, plus longue que la figure que l’on veut couler, et sur cette barre on fait un noyau en terre que l’on pétrit moelleusement, en y mélangeant du crottin de cheval et de la bourre. Ce noyau a la même forme que la figure du modèle, et on le cuit, couche par couche, pour enlever l’humidité de la terre. Il sert à donner la forme de la statue définitive, parce que, quand on coule le métal, ce noyau, qui est plein, ménage le creux de la statue, et fait que tout l’intérieur du moule ne se remplit pas entièrement de bronze, sinon on ne pourrait plus remuer la statue, à cause de son grand poids. On donne ainsi du gros et de justes mesures à ce noyau, puis on le cuit, couche par couche, en sorte que la statue reste privée de toute son eau, et n’amène pas une explosion, avec grand danger, quand on répand dessus le bronze liquide, ce qui s’est vu souvent et a causé la mort des ouvriers avec la ruine de toute l’œuvre. Ce noyau est mis en équilibre, et on y juxtapose les creux correspondants du moule, de manière qu’il ne reste entre eux et le noyau que l’épaisseur du métal, grosse ou mince, comme l’on veut que soit la statue. On arme souvent ce noyau en le traversant avec des chevilles de cuivre et avec des tiges de fer, qu’on peut introduire et enlever, pour le tenir en place avec sécurité et avec plus de force. Quand il est terminé, on le recuit à nouveau au feu doux, et, quand on est entièrement certain qu’il n’y reste plus d’humidité, on le laisse reposer. On reprend ensuite les creux, et l’on y moule successivement de la cire jaune, que l’on maintient molle, et dans laquelle on a mélangé un peu de térébenthine et de suif. Ce mélange, fondu au feu, est moulé de manière que l’artiste obtienne l’épaisseur de cire correspondant à celle qu’il veut obtenir pour le métal de la statue. Ces morceaux de cire, coupés de la même dimension que les creux du moule, sont assemblés, réunis exactement, et fixés avec quelques broches minces de cuivre sur le noyau, de manière que, pièce par pièce, la figure de cire recouvre entièrement la figure de terre. Cela fait, on enlève toutes les bavures produites dans la cire par les imperfections des creux, et l’on amène la figure de cire, le plus que l’on peut, au degré de perfection que l’on veut atteindre pour la statue définitive. Avant de poursuivre le travail, on dresse la figure, et l’on regarde attentivement si la figure de cire offre quelque défaut ; l’on y remédie, ajoutant ou enlevant delà matière, selon que le besoin en est. Le travail de la cire terminé, et le tout étant solidement fixé, l’artiste pose cette statue sur deux chenets de bois, de pierre ou de fer, comme on met un rôti au feu, de manière à pouvoir facilement la lever ou l’abaisser ; avec un pinceau enduit de cendre humide, et appropriée à cet usage, il badigeonne toute la figure, de façon que la cire ne se voie plus, et il recouvre soigneusement tous les creux et les trous. La cendre appliquée, on remet les chevilles en place, en leur faisant traverser la cire et le noyau par les trous pratiqués à cet effet. Ces chevilles doivent maintenir le noyau intérieur et la chape extérieure, et ménager le vide dans lequel doit se répandre le bronze en fusion. L’ensemble étant rendu bien solidaire, l’artiste prend de la terre fine, mélangée de bourre et de crottin de cheval, produits dont j’ai déjà parlé, et que l’on bat ensemble. Il recouvre le tout d’une couche fine de ce mélange, qu’il laisse sécher, puis il fait une nouvelle couche qu’il laisse également sécher, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il obtienne une épaisseur d’une demi-palme au plus. Cela fait, les tiges qui maintiennent le noyau sont reliées à d’autres fers qui maintiennent la chape ; cette armature, enchaînée et serrée, assure l’immobilité de l’ensemble. Le noyau intérieur retient la chape extérieure, et inversement. On pratique ordinairement quelques petits canaux entre le noyau et la chape qui peuvent servir d’évents, et qui vont, par exemple, du genou à un bras levé, dans une statue debout. Ils permettent au métal en fusion de se porter à un point où il ne pourrait pas parvenir, par <|uelque empêchement ; on en fait beaucoup ou peu, selon que la coulée est plus ou moins difficile. Cela fait, on échauffe la chape, également sur tous ses points, en sorte que la température monte peu à peu, et l’on pousse le feu, de manière que la forme soit toute embrasée. La cire, qui est renfermée à l’intérieur, se fond, et s’écoule par le trou de coulée, en sorte qu’il n’en reste pas trace. Pour en être entièrement assuré, il faut avoir pesé les morceaux de cire, successivement, quand on les juxtapose au noyau, puis repeser la cire qui est sortie fondue. En tenant compte de la déperdition, l’artiste voit s’il en est resté entre le noyau et la chape, et quelle quantité s’en est écoulée. C’est à extraire la cire que consiste la maîtrise de l’artiste, et c’est à cela qu’il doit consacrer tous ses soins ; de là on peut juger la difficulté de faire les bronzes coulés, pour qu’ils viennent beaux et nets. S’il restait, en effet, quelque peu de cire, la coulée serait manquée, particulièrement sur les points où il y aurait encore de la cire. Ce travail terminé, l’artiste enterre la forme près du four où l’on fond le bronze, et il l’étaye, pour que le bronze ne le crève pas, puis il prépare les canaux pour l’écoulement du métal en fusion, et il laisse au sommet une cavité, de manière à pouvoir scier ensuite le bronze qui dépasse de cette quantité. On fait cela pour que la statue vienne plus nette. La composition du métal est variable, et pour chaque livre de cire on met dix livres de métal. L’alliage du métal destiné aux statues comprend deux tiers de cuivre et un tiers de laiton ; c’est la proportion usitée en Italie. Les Égyptiens, chez qui cet art prit origine, faisaient leur bronze avec deux tiers de laiton et un tiers de cuivre. Si l’on veut de l’electrum, qui est plus fin que les autres métaux, il faut prendre deux parties de cuivre et une partie d’argent. Pour les cloches, à chaque cent de cuivre on ajoute vingt parties d’étain ; de cette manière, le son est plus clair et plus uni. Pour les pièces de canon, à chaque cent de cuivre on ajoute dix parties d’étain.

Il nous reste à indiquer ce qu’il faut faire, si la figure venait avec un défaut, ce qui peut provenir de ce que le bronze est cuit, ou trop mince, ou manque sur un point ; il faut alors ajouter un morceau. Dans ce cas l’artiste enlève toute la partie manquée, en faisant dans la statue un trou carré tracé à l’équerre. Il y ajuste ensuite une pièce de métal de même dimension, qu’il fait déborder autant qu’il veut. La pièce ajoutée, il la force dans le trou carré à coups de marteau, jusqu’à ce qu’elle soit bien solide ; puis, avec des limes et d’autres instruments il la pare et la termine entièrement.

Si l’artiste veut couler en métal de petites figures, il fait d’abord un modèle en cire, en terre ou en autre matière, puis il opère sur le moule de plâtre comme pour les grandes figures, et remplit les creux de cire. Mais il faut que ce creux soit humecté, pour que, lorsqu’on y coule la cire, elle se coagule au contact de l’eau froide et du plâtre. On expose ensuite le moule à l’air, et on le remue, en sorte que la cire qui est au milieu se sépare, et que l’intérieur reste vide. L’artiste remplit ce vide de terre et y met des chevilles de fer. Cette terre sert de noyau ; mais il faut la laisser bien sécher. Il fait ensuite la chape ; comme pour les grandes figures, il l’arme et il pratique les évents II expose ensuite le tout au feu et extrait la cire, de manière que le vide intérieur reste bien net, et qu’on puisse faire commodément la coulée. Le même procédé s’emploie pour les bas-reliefs et les demi-reliefs, ainsi que pour tout autre travail en métal. La coulée terminée, l’artiste prend les outils appropriés, à savoir : des burins, des ébarboirs, des ciseaux, des tailloirs, des supports et des limes ; il enlève le métal en excédent, le repousse là où il faut, ravale les bavures. Puis, avec des instruments qui grattent, il râcle et polit le tout avec soin, et finalement donne le fini à la pierre ponce. Ce bronze prend avec le temps une couleur qui tire sur le noir, et ne reste pas rouge comme lorsqu’on le travaille. Quelques artistes le font devenir noir en l’enduisant d’huile, d’autres le rendent vert à l’acide d’autres encore lui donnent la couleur noire avec le vernis : chacun enfin le traite comme il lui plaît. Ce qui est vraiment une chose merveilleuse est le résultat atteint de nos jours dans la fonte de ces figures aussi bien grandes que petites. Quantité de maîtres atteignent tant de perfection dans la coulée elle-même, qu’ensuite ils n’ont rien à réparer avec les instruments, et que l’épaisseur du métal ne dépasse pas celle d’un couteau. Bien plus certaines espèces de terres et de cendres que l’on emploie dans de pareils travaux sont actuellement d’une telle finesse, que l’on peut couler en argent et en or des flocons de rue, et d’autres plantes ou fleurs fines, avec tant de facilité et de réussite qu’ils apparaissent ensuite aussi beaux que la nature. On peut en conclure que cet art est aujourd’hui en plus grande excellence que du temps des Anciens.



Chapitre V. — Des coins d’acier pour frapper les médailles en bronze et en autres métaux ; comment on fait ces médailles, en métal ; des pierres orientales et des camées.

Si l’on veut faire des médailles de bronze, d’argent ou d’or, comme en firent autrefois les Anciens, il faut d’abord, avec des poinçons de fer, graver en relief les différents poinçons voulus sur l’acier adouci au feu. Par exemple, on fera la tête seule en relief effacé sur un premier poinçon d’acier, et ensuite les autres parties qui s’ajoutent à celle-ci. Ayant ainsi fabriqué tous les poinçons d’acier nécessaires pour frapper les médailles, on les trempe au feu. Ensuite sur un coin d’acier détrempé qui doit servir de matrice, on imprime à coups de marteau la tête et les autres parties, chacune à leur place. Quand le tout est imprimé, on nettoie, on polit avec soin, et l’on termine cette gravure en creux qui doit ensuite servir de matrice. Quantité d’artistes ont toutefois gravé à la roue les matrices, de la même manière que l’on travaille le cristal, le jaspe, la calcédoine, l’agathe, l’améthyste, la sardoine, le lapis-lazuli, la chrysolithe, la cornaline, les camées et les autres pierres orientales. Par ce travail, on obtient des matrices plus soignées et du même poli que les pierres susdites.

On fait de la même manière le revers des médailles. Avec les matrices de la tête et du revers, on imprime des médailles de cire, ou de plomb, et on tire de celles-ci des formes en les moulant avec de la fine terre appropriée à ce travail. Ces formes, après qu’on en a sorti la cire ou le plomb, sont serrées dans les étriers, et l’on y coule le métal que l’on a choisi pour la médaille. On remet ensuite ces médailles coulées dans les matrices d’acier, et on les comprime, à l’aide de vis, de balanciers, ou à coups de marteau, de manière qu’elles prennent la fleur que la coulée ne leur avait pas donnée. On frappe les monnaies et d’autres médailles plus ordinaires sans vis, simplement avec le marteau à main. Quand aux pierres orientales, dont nous avons parlé plus haut, on les grave avec la roue et à l’émeri, la roue entamant toute pierre, si dure qu’elle soit. L’artiste moule toujours à la cire la gravure en creux à laquelle il travaille, et il peut ainsi enlever de la matière où il le juge nécessaire et terminer entièrement son œuvre. Les camées se travaillent en relief ; cette pierre étant feuillée, blanche au-dessus, noire en-dessous, on enlève du blanc peu à peu jusqu’à ce que la tête ou la figure reste seule en relief blanc sur fond noir. Quelquefois pour faire en sorte que la tête ou la figure reste seule blanche sur fond noir, on teinte le fond, s’il n’est pas suffisamment sombre. Nous avons, dans cette espèce de travail, des œuvres admirables et divines, tant antiques que modernes.


Chapitre VI. — Comment on exécute des travaux en stuc blanc ; de leur mode de travail, et de la manière de préparer le mur qui doit en être recouvert.


Quand les Anciens voulaient faire en stuc blanc des voûtes, ou des incrustations, des portes, des fenêtres ou d’autres ornements, ils faisaient la muraille qui devait être recouverte, soit en briques cuites, soit en tuf, c’est-à-dire en pierre douce et facile à tailler. Élevant donc une pareille construction, ils lui donnaient la forme d’une corniche, ou des motifs de décoration qu’ils voulaient pratiquer, en taillant les briques ou les pierres qu’ils avaient murées à la chaux. Ensuite, avec le stuc dont nous avons indiqué la composition au chapitre IV, à savoir un mélange de marbre écrasé et de chaux de travertin, ils faisaient sur la muraille une première ébauche de stuc brut, épais et raboteux, de manière à pouvoir y étendre du stuc plus fin, quand la couche inférieure aurait pris et serait ferme, mais pas absolument sèche. Quand on répand en effet le gros de la matière sur de l’enduit qui est encore humide, elle prend mieux, surtout si l’on humecte continuellement la partie sur laquelle on pose le stuc, ce qui permet de la travailler plus facilement. Si l’on veut faire des corniches ou des feuillages sculptés, il faut avoir des formes de bois découpé reproduisant en creux les ornements qu’on se propose. Il faut ensuite prendre du stuc, qui ne soit ni trop ferme ni trop tendre, mais un peu visqueux. On l’étend sur le mur de la quantité voulue, et on le recouvre de la forme découpée qu’on a saupoudrée de poussière de marbre. On frappe dessus, avec un marteau, des coups bien égaux, et le stuc reste empreint ; on le nettoie ensuite et on le polit, de manière qu’il soit bien dressé et le travail bien égal. Si l’on veut plus de relief extérieur, il faut fixer dans la partie qui doit être recouverte de ferrements, des clous ou des armatures semblables, qui tiendront le stuc suspendu en l’air et ne feront qu’un avec lui. C’est ce que l’on voit dans les édifices anciens, où l’on rencontre des stucs et des fers conservés jusqu’à nos jours. Quand, par conséquent, l’artiste veut fixer sur un mur lisse un sujet en bas relief, il plante d’abord dans ce mur de nombreux clous, tantôt moins, tantôt plus, suivant les points où il y aura des figures. Il encastre dans ce réseau de clous de petits fragments de briques ou de tufs, dont les pointes ou têtes doivent retenir le premier stuc, épais et rugueux. Il l’aplanit ensuite avec soin et attention, pendant qu’il se raffermit. Il poursuit ce travail, en passant et repassant des pinceaux mouillés, en sorte qu’il amène son œuvre à perfection, comme si elle était en cire ou en terre. En employant cet appareil de clous et de ferrements, fixés à demeure, et plus ou moins grands, suivant le besoin, on orne de stucs les voûtes, les compartiments et les vieilles bâtisses. C’est ce qui a été pratiqué, dans toute l’Italie, par quantité de maîtres qui se sont adonnés à cet art. Il ne faudrait pas croire qu’un pareil travail soit peu durable. Au contraire, il se conserve indéfiniment, et le stuc devient tellement dur une fois posé, qu’il ressemble à du marbre avec le temps.



Chapitre VII. — Comment on fait les statues en bois et quel bois est le meilleur.


Celui qui veut qu’une statue en bois puisse être traitée avec perfection, doit d’abord faire un modèle en cire ou en terre, comme nous avons dit. Cette sorte de sculpture a été très en usage dans la religion chrétienne, puisqu’une infinité de maîtres ont produit quantité de crucifix et diverses autres œuvres en bois. De fait, on ne donne jamais au bois cet aspect charnu et moelleux que nous voyons dans les statues en métal, en marbre, en stuc, en cire et en terre. Quoi qu’il en soit, le meilleur de tous les bois que l’on emploie en sculpture est le tilleul. Il a les pores égaux sur toutes ses faces, et il se soumet plus facilement à la lime et au ciseau. Mais comme l’artiste ne peut faire sa statue d’un seul bloc, s’il veut la faire grande, il faut qu’il ajoute des morceaux, soit en hauteur, soit en largeur, suivant la forme qu’il veut donner à sa statue. Pour faire cet assemblage, de manière qu’il tienne, il ne faut pas employer le mastic de menuisier qui ne tiendrait pas, mais de la colle à miroir. On la dissout, et après avoir échauffé les morceaux de bois, on les assemble et on les resserre, non pas avec des clous de fer, mais avec des chevilles du même bois. Cela fait, l’artiste travaille le bloc et le sculpte, en suivant la forme de son modèle. On a vu, de la main des artistes qui font de pareilles sculptures, des œuvres très remarquables en buis, et d’admirables ornements en noyer. Quand ils sont en beau noyer qui soit noir, ils ressemblent à du bronze. Nous avons vu également des noyaux de fruits sculptés, comme de cerises et d’abricots, sortant de la main d’artistes excellents d’Allemagne, et travaillés avec une patience et une finesse extrêmes. Bien que les étrangers n’aient pas cette perfection de dessin dont les Italiens font preuve dans leurs œuvres, ils ont travaillé et ils travaillent encore continuellement, de manière à conduire leurs œuvres à tant de finesse qu’elles excitent l’étonnement général. On peut en voir un exemple dans une statue, ou plutôt une œuvre miraculeuse en bois, due à Maestro Janni, artiste français. Celui-ci, habitant la ville de Florence qu’il avait élue pour patrie, prit si bien la manière italienne, dans les œuvres de dessin, auxquelles il se plut toujours, qu’avec la pratique qu’il avait de travailler le bois, il fit en tilleul une statue de saint Roch, grande comme nature. Il exécuta en fine sculpture les draperies, avec tant de fouillé et de souplesse, il en disposa les plis avec tant d’ampleur qu’on ne saurait voir chose plus belle. La perfection avec laquelle il exécuta pareillement la tête, la barbe, les mains et les jambes de ce saint, lui a valu, et attire encore maintenant des louanges infinies de la part de tout le monde. Bien plus, pour qu’on puisse se rendre entièrement compte de l’excellence de cet artiste, la statue est toujours en place, dans l’édifice della Nunziata de Florence, au-dessous de la chaire[1], sans qu’on l’ait recouverte de couleurs ou de peintures, conservant la teinte du bois avec toute la délicatesse et la perfection que lui donna Maestro Janni, œuvre infiniment plus belle que toutes les statues qu’on ait sculptées en bois.

Qu’il suffise d’avoir brièvement discouru de ce qui concerne la sculpture. Passons à présent à la peinture.

  1. Cette statue est toujours dans l’église de l’Annunziata, sous l’orgue.