Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Ercole GRANDI

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 478-479).
Ercole GRANDI
Peintre de Ferrare, né vers 1462, mort en 1531

Bien qu’Ercole de Ferrare, disciple de Lorenzo Costa, fût de grand renom, longtemps avant que son maître mourut, et qu’il fût appelé à travailler en beaucoup d’endroits, il ne voulut jamais l’abandonner et préféra rester avec lui avec un maigre profit, plutôt que de gagner davantage, en peignant tout seul. Sachant être son obligé, il fut un frère ou un fils pour lui, jusqu’au terme extrême de sa vie.

Ayant donc un meilleur dessin que Costa, il peignit, sous le tableau de celui-ci, à San Petronio, dans la chapelle de Saint-Vincent, quelques sujets remplis de petites figures peintes en détrempe dans une si belle et une si bonne manière qu’il n’est presque pas possible de voir mieux[1]. La predelle est une bien meilleure œuvre que le tableau : l’un et l’autre furent faits dans le même temps pendant la vie de Costa.

Après sa mort. Ercole fut chargé par Dominico Garganelli de terminer sa chapelle, dans l’église San Petronio, que Lorenzo avait commencée. Ercole, qui recevait quatre ducats par mois, qui était défrayé, ainsi que son apprenti, et à qui l’on payait toutes les couleurs à employer dans cette œuvre, le termina dans une si belle manière, qu’il surpassa son maître de beaucoup, comme dessin, coloris, et comme invention. Sur la façade, il représenta la crucifixion, où l’on remarque la fureur des juifs, l’évanouissement de la Vierge et la compassion que lui témoignent les Maries. Sur la paroi qui est en face, il peignit la mort de la Vierge, entourée par les Apôtres, dans de belles attitudes. On y voit six personnes représentées d’après l’original, si bien que ceux qui les connurent affirment qu’elles sont des plus ressemblantes. Il y introduisit son propre portrait et celui de Domenico Garganelli, propriétaire de la chapelle : celui-ci, par affection pour Ercole, et par suite des louanges qu’il entendit donner à cette œuvre la paya, une fois terminée, mille livres bolonaises. On dit qu’Ercole consacra douze années à cette peinture, à savoir : sept pour la fresque et cinq pour la retouche à sec[2]. Il est vrai que, pendant ce temps, il fit diverses autres œuvres, en particulier la prédelle du maître-autel, à San Giovanni in Monte, qui renferme trois épisodes de la Passion du Christ[3].

Comme il était d’un caractère singulier, principalement quand il travaillait, et qu’il avait pour habitude de ne pas se laisser voir ni par les peintres, ni par qui que ce fût, il était grandement détesté par les peintres de Bologne, qui ont toujours montré de la haine pour les peintres étrangers, appelés à travailler dans leur ville de même qu’ils se haïssent souvent, par concurrence, entre eux, défaut général à notre profession et dans tous les pays.

Quelques peintres bolonais s’entendirent donc avec un menuisier et se firent clore par lui dans une église, près de la chapelle où Ercole travaillait. La nuit suivante, y étant entré de force, ils ne se contentèrent pas de voir l’œuvre en train, ce qui devait leur suffire, mais ils volèrent les cartons, les esquisses, les dessins et tout ce qu’il y avait de bon. Ercole fut si indigné que, son œuvre terminée, il partit de Bologne, sans y vouloir rester davantage et emmena le sculpteur renommé Duca Taglia pietra[4], qui avait travaillé avec lui dans cette chapelle et fait les beaux feuillages de la balustrade, de même que les belles fenêtres du palais ducal.

Ercole, fatigué de vivre loin de chez lui, resta toujours à Ferrare, avec Duca et y produisit beaucoup de peintures. Il appréciait le vin extrêmement, en sorte que, s’enivrant souvent, il abrégea sa vie. Parvenu à l’âge de quarante ans sans aucune maladie, il eut une attaque d’apoplexie qui l’enleva en peu de jours[5].


  1. Le tableau de Costa et la prédelle d’Ercole sont dans la casa Aldovrandi.
  2. Cette fresque, qui était à San Pietro, et non pas à San Petronio, disparut avec la chapelle, quand l’église fut reconstruite en 1605.
  3. Deux sont peut-être au Musée de Dresde et représente la trahison de Judas et la montée au Calvaire. Le panneau central, représentant la Vierge tenant le Christ mort, au musée de Liverpool.
  4. Inconnu.
  5. Mort en 1531, d’après l’épitaphe de son tombeau, à San Domenico, qui a disparu, mais que des historiens bolonais ont rapportée.