Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/GIULIANO da MAIANO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 368-371).
GIULIANO da MAIANO
Sculpteur et architecte, né en 1432, mort en 1490

Le père[1] de Giuliano, après avoir longtemps vécu sur la colline de Fiesole, à l’endroit appelé Maiano, où il exerçait l’état de tailleur de pierres, vint à Florence, et y ouvrit une boutique de pierres taillées, la tenant bien fournie de tous les objets dont les constructeurs ont souvent besoin à l’improviste. Durant son séjour, naquit Giuliano[2] qui, dans la suite, parut si bien doué que son père résolut d’en faire un notaire, estimant son propre métier trop rude et trop peu lucratif. Il n’en arriva pas ainsi, car Giuliano alla bien à l’école, mais, ayant la tête ailleurs, il n’y fit aucun progrès et s’enfuit fréquemment, montrant avoir toute son inclination à la sculpture, quoique d’abord il s’occupât seulement de menuiserie[3] et de dessin. On dit qu’avec Giusto et Minore, maîtres en marqueterie, il exécuta les bancs de la sacristie de la Nunziata, ceux du chœur à côté de la chapelle[4], et qu’il fit des ouvrages analogues à la Badia de Fiesole[5] et à San Marco. Ces travaux lui ayant donné de la réputation, il fut appelé à Pise, où il laissa dans le Dôme le siège, à côté du maîtreautel, sur lequel s’asseoient le prêtre, le diacre et le sous-diacre, pendant la messe[6]. Sur le dossier, on voit trois Prophètes en marqueterie de bois teintés et ombrés. Il fit ensuite les armoires de la sacristie[7], dans l’église de Santa Maria del Fiore ; les mosaïques et la marqueterie dont il les orna furent beaucoup admirées.

À ce moment mourut Filippo di Ser Brunellesco[8]; nommé à sa place par les fabriciens. Giuliano entoura, à l’intérieur de la coupole, les œils-de-bœuf d’incrustations en marbres noirs et blancs, et sur les coins il éleva les pilastres de marbre sur lesquels Baccio d’Agnolo posa ensuite l’architrave, la frise, et la corniche. À la vérité, Giuliano voulut faire la frise, la corniche et la galerie dans un style différent, avec des frontons sur chacun des huit pans de la coupole, mais il ne put jamais mettre son projet à exécution, le reportant sans cesse d’un jour à l’autre, jusqu’à ce qu’il mourût.

Auparavant, étant allé à Naples, il fit, au Poggio Reale, pour le roi Alphonse[9], le magnifique palais actuel[10], avec les belles fontaines qui sont dans la cour. Pour le même souverain, il sculpta, dans la grande salle du château de Naples, des bas-reliefs au-dessus et des deux côtés d’une porte, et il donna à la porte extérieure la forme d’un arc triomphal[11], en marbre d’ordre corinthien où sont représentés des faits de la vie de ce prince et les victoires qu’il a remportées. Il décora semblablement la porta Capovana, avec des trophées variés et très beaux[12]. Aussi obtint-il l’amitié du roi, qui le combla de récompenses, origine de la fortune de sa famille.

Comme il avait enseigné à son neveu Benedetto[13] l’art de la marqueterie, l’architecture et quelque peu de sculpture, celui-ci, resté à Florence, faisait des travaux de marqueterie qui lui rapportaient davantage que les autres arts qu’il pratiquait. Pendant ce temps, Giuliano fut appelé à Rome[14] par Messer Antonio Rossetto d’Arezzo, secrétaire de Paul II, qui le fit entrer au service de ce pontife. Il bâtit dans la première cour du Vatican les loges en travertin[15], avec trois ordres de colonnes. La première renferme, actuellement, l’office du plomb et d’autres bureaux. L’étage supérieur est destiné au Dataire et ci d’autres prélats. Le dernier étage renferme des appartements richements décorés. On fit aussi, d’après ses dessins, les loges de marbre, du haut desquelles le pape donne sa bénédiction[16]. Mais ses plus belles œuvres, vraiment étonnantes, sont le palais[17] qu’il construisit pour ce pape, et l’église de San Marco[18], à Rome. On dit qu’il y employa une quantité énorme de pierres de travertin, qui furent extraites de quelques vignes voisines de l’arc de Constantin et qui fortifiaient les fondations du Colisée du côté qui est actuellement ruiné, peut-être pour avoir affaibli cette partie de l’édifice. Giuliano fut ensuite envoyé, par le pape, à Lorette, pour agrandir l’église de la Madone, auparavant toute petite et construite sur des piliers rustiques ; mais il n’éleva pas sa construction plus haut que le bandeau, et la coupole fut élevée par son neveu[19] Benedetto, qu’il avait emmené avec lui. Forcé de revenir à Naples pour terminer les constructions commencées, il fut chargé par le roi Alphonse[20] de décorer une porte voisine du château[21] et qui devait recevoir plus de quatre-vingts figures que Benedetto avait à sculpter à Florence[22]. Mais ce travail fut arrêté, à cause de la mort du roi, et il n’en reste que quelques morceaux, à la Misericordia de Florence. Giuliano mourut à Naples, avant le roi, à l’âge de 70 ans[23].

Pour le même roi Alphonse, un autre sculpteur, Modanino de Modène[24] fit une Pietà, en ronde-bosse et en terre cuite coloriée. Il introduisit dans ce groupe le portrait du roi[25], représenté à genoux et d’une manière vivante ; celui-ci le paya libéralement et fit transporter son ouvrage dans l’église de Monte Oliveto de Naples [26].


  1. Il s’appelait Leonardo d’Antonio da Maiano. Vasari a commis de nombreuses creurs dans cette biographie. Giuliano fut avant tout un maître remarquable en marqueterie [Florence, Pise, Loreto, Pérouse].
  2. En 1432.
  3. Il fit pendant longtemps les cadres des tableaux de Neri di Bicci.
  4. Supprimé au XVIIe siècle, quand le chœur fut recouvert d’incrustations.
  5. Les bancs de la sacristie existent encore, signés : OPVS IVLIANI LEONARDI FLORENTINI MCCCCLXIII.
  6. Existe encore ; travail restitué à Francesco Francione, 1462 et après. Les boiseries sont peut-être de Giuliano.
  7. Existent encore ; la date de ce travail est de 1468 à 1469.
  8. En 1446 ; il fut remplacé par Michelozzo. Giuliano fut capomaestro du 1er avril 1477 à 1489.
  9. Alphonse II n’était à cette date que duc de Calabre.
  10. N’existe plus.
  11. L’arc triomphal fut commencé en 1443, et est attribué à Pietro di Martino, Milanais.
  12. Giuliano n’en fit que l’architecture ; les sculptures en sont Giovanni Marliano da Nola et datent de 1535.
  13. Qui était son frère cadet, né en 1442. Leur tombeau de famille à San Lorenzo dit:JULIANO ET BENEDICTO LEONARDI FF (fratribus) DE MAIANO ET SUORUM MCCCCLXXVIII.
  14. Il est probable qu’il ne travailla jamais à Rome.
  15. Fausse attribution ; ce travail, commencé en 1482, sous Sixte IV, est à restituer aux architectes Perino da Como et Pietro da Firenze.
  16. Détruites par Jules II; n’étaient pas de Giuliano.
  17. Actuellement palais de Venise.
  18. Ni l’un ni l’autre de ces bâtiments ne sont de Giuliano. Le palais fut commencé en 1455 par le cardinal Pietro Barbo et l’église restaurée, en 1465, par le même, devenu pape sous le nom de Paul II. Les noms des architectes ne sont pas connus.
  19. Son frère.
  20. Par le roi Ferdinand.
  21. Il s’agit de la porte du Castello Nuovo, dont Vasari a déjà parlé.
  22. Fait reconnu exact, d’après l’inventaire de Benedetto.
  23. Mort le 3 décembre 1490, à l’âge de 58 ans.
  24. De son vrai nom Guido Mazzoni, mort en 1513.
  25. Du roi Ferdinand, pour qui le travail fut fait.
  26. La Pietà y est encore, mais les figures ont été peintes couleur de bronze.