Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Gherardo STARNINA

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 244-246).
Gherardo STARNINA
Peintre florentin, né en 1354, mort en 1408

Vraiment, celui qui voyage loin de sa patrie et fréquente les hommes étrangers voit souvent son caractère s’améliorer en bien. Gherardo[1], fils de Jacopo Stanini, peintre florentin, n’était pas d’un méchant naturel, mais, dans ses relations, il était dur et hautain, ce qui lui nuisait plus qu’à ceux qu’il fréquentait, et lui aurait encore plus nui s’il n’eût fait un long séjour en Espagne, où il apprit à pratiquer la courtoisie et l’urbanité. Il s’opéra en lui un tel changement que, lorsqu’il revint à Florence, beaucoup de ses concitoyens qui, avant son départ, le haïssaient à mort, le reçurent avec beaucoup d’amabilité à son retour, et l’aimèrent toujours, tant il était devenu courtois et aimable.

Il naquit à Florence l’an 1354, et, comme en grandissant il montrait une inclination naturelle pour le dessin, il fut confié à Antonio Viniziano pour que celui-ci lui apprît à dessiner et à peindre. Ayant appris en quelques années le dessin et l’usage des couleurs, et ayant donné une preuve de son savoir par quelques œuvres exécutées dans une belle manière, il quitta l’atelier d’Antonio et travailla pour son compte. À Santa Croce, dans la chapelle des Castellani[2], Michele de Vanni, honorable citoyen appartenant à cette famille, lui fit peindre à fresque plusieurs sujets tirés de la vie de saint Antoine, abbé, et de celle de saint Nicolas, évêque. Ces fresques, d’une belle manière et d’une exécution soignée, le firent remarquer comme un excellent peintre par quelques Espagnols qui se trouvaient alors à Florence pour leurs affaires ; ils l’emmenèrent en Espagne et le présentèrent au roi, qui le reçut favorablement, d’autant plus qu’il y avait à ce moment pénurie de bons peintres dans ce royaume. On n’eut pas grand’peine à le persuader de quitter sa patrie, parce que, depuis la sédition des Ciompi[3] et depuis que Michele di Lando fut fait gonfalonier, ses jours étaient continuellement menacés, car il avait échangé quelques mauvais propos avec quelques-uns de ses concitoyens. Étant donc passé en Espagne[4], et travaillant pour le roi, il amassa de grandes richesses qu’il désira ensuite montrer à ses parents et à ses amis ; revenant donc à Florence en meilleur état qu’il en était parti, il fut favorablement reçu par tous ses concitoyens. Il ne se passa pas beaucoup de temps qu’on le chargeât de peindre l’histoire de saint Jérôme, dans la chapelle consacrée à ce saint, dans l’église du Carmine[5]. Cet ouvrage, remarquable par la variété des figures et des costumes, semblables à ceux que portaient les Espagnols d’alors, valut une grande réputation à Stamina auprès des artistes, de même que ses bonnes manières et la douceur de son caractère, en sorte que son nom devint fameux en Toscane et dans toute l’Italie.

Appelé à Pise pour y peindre le chapitre de San Niccola, il envoya à sa place Antonio Vite da Pistoia, pour ne pas quitter Florence. Celui-ci représenta à la satisfaction des Pisans, l’an 1403, la Passion de Jésus-Christ, telle que nous la voyons aujourd’hui[6]. Après les travaux de Stamina à l’église du Carmine, la commune de Florence lui fit peindre, sur le palais des Guelfes, un saint Denis, évêque, entre deux anges, et, au-dessous, une figure de la ville de Pise[7]. Cet ouvrage lui fut commandé l’année que Gabriel Maria[8], seigneur de Pise, vendit cette cité, aux Florentins[9], pour deux cent mille écus, après que Giovanni Gambacorta l’eut assiégée inutilement treize mois et se fut ensuite accordé pour ce prix.

Gherardo en était venu à un haut point de réputation dans sa patrie et au dehors, quand la mort envieuse, éternelle ennemie des grandes actions, l’arrêta dans son essor, et détruisit toutes les espérances qu’il avait fait concevoir. Il mourut inopinément[10], à l’âge de 49 ans[11], et fut honorablement enterré dans l’église San Jacopo sopra Arno. Il laissa plusieurs élèves, qui ne méritent pas d’occuper notre attention, sauf Masolino da Panicale, qui se distingua d’abord comme orfèvre excellent, ensuite comme peintre de grand talent.



  1. Immatriculé en 1887, dans le livre de la Compagnie des peintres : Gherardo di Jacopo Starna, dipintore. On lui attribue avec vraisemblance une Purification de la Vierge et une Prédication de saint Etienne, dans l’église paroissiale de Prato, chapelle à droite du chœur.
  2. Les peintures de la voûte existent encore, à savoir : les quatre Évangéiistes, les quatre Docteurs de l’Église, plus un Prophète sur une porte ; attribution douteuse.
  3. En 1378.
  4. Il ne reste plus rien de ses peintures en Espagne, sauf peut-être une Adoration des Mages, à l’Escurial.
  5. Cette peinture n’existe plus.
  6. Ibid.
  7. Il en reste quelques fragments.
  8. Visconti.
  9. Le 9 octobre 1406, jour de Saint-Denis.
  10. En 1408.
  11. Lire plutôt 54 ans.