Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Vittore SCARPACCIA et autres Peintres vénitiens et lombards

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (2p. 41-47).
Vittore SCARPACCIA
et autres Peintres vénitiens et lombards

Dans l’espace de plusieurs années, parurent dans la marche trévisane et en Lombardie, Stefano de Vérone, Vittore Scarpaccia, et beaucoup d’autres dont nous mentionnerons quelques-uns ici.

Stefano[1] de Vérone fut, dans son temps, un peintre plus que distingué ; quand Donatello travaillait à Padoue, étant allé une fois à Vérone, il resta émerveillé des œuvres de Stefano, affirmant que les peintures que celui-ci avait faites à fresque étaient les meilleures qu’on eût encore faites dans cette partie de l’Italie. Ses premières œuvres[2] furent, à Sant’Antonio de Vérone, à l’extrémité gauche du transept et sous l’archivolte, une Vierge tenant l’Enfant Jésus entre saint Jacques et saint Antoine ; à San Niccolo de la même ville, une très belle fresque de saint Nicolas. On voit encore de lui d’autres œuvres dans les rues de Vérone et à Sant’ Eufemia, couvent des Augustins. Dans la même église, il entoura le tabernacle de la chapelle del Sagramento dune troupe d’anges volants[3], dont les uns jouent de divers instruments, tandis que les autres chantent ou encensent le Saint-Sacrement. Le couronnement de ce tabernacle est formé par un Christ supporté par des Anges revêtus de longues robes blanches, qui se terminent presque en nuages, manière qui fut habituelle à Stefano dans la représentation de ses anges, à qui il fit toujours un visage gracieux et un aspect très beau. À San Fermo, église des Franciscains, il exécuta, pour l’ornement d’une Déposition de Croix, douze prophètes grands comme nature, et à leurs pieds Adam et Ève, ainsi qu’un paon qu’il avait l’habitude de pemdre en guise de signature[4]. Il peignit également à Mantoue, dans l’église San Domenico, à San Francesco et ailleurs, des œuvres qui existent encore[5] On prétend qu’avant d’aller à Florence, il fut élève de Maestro Liberale de Vérone, mais cela a peu d’importance, car tout ce qu’il sut de bon lui fut enseigné à Florence par Agnolo Gaddi.

Un autre peintre de la même ville de Vérone, Aldighieri da Zevio[6], fut intimement lié avec les seigneurs della Scala. Il peignit, entre autres choses, la grande salle de leur palais, aujourd’hui habité par le podestat, et y représenta la guerre de Jérusalem, telle qu’elle est décrite par Josèphe. Il y montra beaucoup d’esprit et de jugement, et entoura la salle d’un ornement surmonté par une série de médaillons représentant, à ce qu’on dit, les seigneurs della Scala et les hommes fameux de ce temps, entre autres Messer Francesco Petrarca[7].

Jacopo Avanzi, peintre bolonais, travailla, en concurrence d’Aldighieri, dans cette salle. Au-dessous de la guerre de Jérusalem, il fit à fresque deux Triomphes, d’une telle beauté qu’ils étaient, au dire de Girolamo Campagnuola, un objet d’admiration pour Mantegna. Il peignit, également à Padoue, chapelle San Giorgio[8] qui est à côté du temple de Sant’Antonio et à Bologne, dans l’église della Mezzarata[9].

À la même époque, Jacobello de Flore[10], bien qu’il suivît les errements de la manière grecque, fut en haut crédit à Venise. Parmi les nombreux ouvrages qu’il laissa dans cette ville[11], on remarque le tableau qui orne l’autel de San Domenico, dans l’église des religieuses del Corpus Domini[12].

Son rival, Giromin Mozzone[13], peignit quantité d’œuvres à Venise et dans diverses villes de la Lombardie. Mais, comme il conserva la vieille manière et fit toutes ses figures raides, posées sur la pointe des pieds, nous ne dirons rien de lui, sinon qu’il y a de sa main, sur l’autel dell’Assunzione, dans l'église de Santa Lena[14], un tableau avec beaucoup de saints.

Guariero[15], peintre padouan, lui fut infiniment supérieur. Il peignit, entre autres choses, la grande chapelle degli Eremitani[16] une autre chapelle dans le premier cloître du même couvent une troisième chapelle dans la maison d’Urbano Perfetto[17] et la salle des Empereurs romains, où les écoliers vont danser pendant le carnaval[18]. Il exécuta aussi à fresque, dans la chapelle du Podestat différents sujets de l’Ancien Testament[19].

Giusto[20], également de Padoue, représenta, dans la chapelle de San Gio. Battista, hors de l’église de l’évêché, non seulement des sujets de l’Ancien et du Nouveau Testament, mais encore les Révélations de l’Apocalypse de saint Jean l’évangéliste[21]. Au-dessus, il distribua avec art, dans un paradis, des chœurs d’anges et des ornements variés. À Sant’Antonio, il peignit à fresque la chapelle de saint Luc[22], et, dans une chapelle degli Eremitani, les Arts libéraux, ensuite les Vertus et les Vices, les hommes qui se sont rendus célèbres par leurs vertus, et ceux qui, pour leurs vices, ont été précipités dans les profondeurs de l’enfer[23].

Dans le même temps travailla encore à Padoue Stefano[24], peintre ferrarais, qui, à Sant’Antonio, orna de diverses peintures la chapelle et l’arca où est renfermé le corps de saint Antoine[25], ainsi que la madone connue sous le nom de del Pilastro[26]. À la même époque fut très estimé Vincenzio[27], peintre de Brescia, ainsi que le raconte Filarète, de même que Girolamo Campagnuola, peintre padouan et disciple du Squarcione. Giulio, fils de Girolamo, peignit, enlumina et grava sur cuivre quantité de beaux ouvrages, à Padoue et ailleurs.

Dans la même ville de Padoue, il y a beaucoup d’œuvres de Niccolo Moreto[28], qui vécut 80 ans et exerça continuellement son art, ainsi que d’autres peintres qui dépendent de Gentile et de Giovanni Bellini. Mais Vittore Scarpaccia[29] fut véritablement le premier qui, parmi tous ces peintres, fit des œuvres d’importance. Ses premières furent dans la Scuola di Sant’Orsola, où il peignit sur toile la majeure partie des histoires qui y sont et qui représentent la vie et la mort de cette sainte[30]. Il sut si bien se tirer des difficultés de ces œuvres, qu’il exécuta avec un grand soin, qu’il en retira la réputation d’un maître consommé, ce qui fut cause, dit-on, que la nation milanaise lui fit faire un tableau à détrempe[31] destiné à la chapelle de sant’Ambrogio, qu’elle possédait dans l’église des Mineurs. Dans l’église Sant’Antonio, à l’autel du Christ ressuscité, où il peignit son Apparition à la Madeleine et aux Maries[32], il fit un paysage en perspective, dont les lointains fuient d’une manière admirable. Dans une autre chapelle, il peignit l’histoire des Martyrs, c’est-à-dire quand ils furent crucifiés[33]. Ce tableau renferme plus de trois cents figures grandes et petites, et, en outre, des chevaux, des arbres, un ciel ouvert, différentes figures nues, habillées, des raccourcis et une quantité d’autres choses, en sorte que l’on voit bien qu’il dut l’exécuter avec une peine extraordinaire. Dans l’église San Giobbe in Canareio, à l’autel de la Madone, il la figura quand elle présente l’Enfant Jésus à Siméon[34]. La Vierge est debout et Siméon, revêtu d’une chape, se tient entre deux ministres vêtus en cardinaux. Derrière la Vierge sont deux femmes, dont une tient deux colombes. Le bas de ce tableau est occupé par trois enfants : le premier joue du luth, le second du serpent et le troisième de la viole ; le coloris de tout ce tableau est charmant et frais. En vérité, Vittore fut un maître très habile et soigneux ; quantité de tableaux, de portraits qui sont de sa main, à Venise, sont très estimés et regardés comme des œuvres excellentes de cette époque

Il enseigna son art à ses deux frères qui l’imitèrent parfaitement ; l’un s’appelait Lazzaro, l’autre Sebastiano[35]. De leurs mains, on voit, dans l’église des religieuses del Corpus Domini, à l’autel de la Vierge, un tableau où elle est assise entre sainte Catherine et sainte Marthe, avec d’autres saintes et une belle perspective de bâtiments[36].

Un autre peintre distingué de cette époque fut Vincenzio Catena[37], qui s’appliqua plus au portrait d’après nature qu’à toute autre peinture. On en voit de sa main plusieurs qui sont merveilleux[38], entre autres celui d’un Allemand, Fugger, personnage considérable et honoré qui habitait alors, à Venise, le Fondaco de’ Tedeschi.

Giovan Batista[39] da Conegliano, élève de Giovan Bellini, fit aussi beaucoup d’ouvrages à Venise. De sa main il y a, au Corpus Domini, à l’autel de Saint Pierre martyr, un tableau[40] représentant ce saint, saint Nicolas et saint Benoît avec un paysage en perspective, un ange accordant une cithare et quantité de petites figures plus que distinguées. Si cet artiste ne fût pas mort prématurément, il est à croire qu’il aurait égalé son maître.

Un peintre qui n’eut pas une petite réputation et qui vécut à la même époque, fut Marco Basarini[41], né de parents grecs. Il peignit à Venise, dans l’église San Francesco della Vigna, un tableau représentant une Déposition de Croix[42], et, dans l’église Sant’ Job, le Christ au jardin des Oliviers, les Apôtres dormant, saint François, saint Dominique et deux autres saints[43]. Ce qui fut le plus loué, est le paysage et quantité de petites figures qui ont beaucoup de grâce. Dans la même église, Marco peignit encore saint Bernardin sur un rocher avec d’autres saints[44]. Un grand tableau, dans l’église de la Chartreuse de Venise, représente le Christ entre Pierre, André et le fils de Zébédée, sur la mer de Tibériade[45]. Il y introduisit un bras de mer, une montagne, une partie d’une ville et une multitude de figures en petite proportion.

Bartolommeo Vivarino da Murano[46] se comporta également très bien dans les œuvres qu’il exécuta, comme on peut le voir, entre autres dans le tableau de l’autel saint Louis, à San Giovanni e Paolo[47]. Il y représenta saint Louis assis, couvert d’une chape, entouré de plusieurs saints.

Giovanni Mansueti[48], qui imita la manière de Gentile Bellini, exécuta aussi ses peintures avec soin, et se plut à reproduire la nature, les figures et les lointains. Dans la Scuola di San Marco, il fit plusieurs tableaux[49] représentant des épisodes de la vie de saint Marc, ornés de divers personnages, avec une grande variété de têtes, de figure et de costumes.

Après lui, Vittore Bellini[50] travailla dans le même endroit et peignit un saint Marc lié[51], avec des édifices mis en perspective et quantité de figures où il imita ses prédécesseurs.

Bartolommeo Montagna[52] fut ensuite un peintre peu ordinaire. Il habita toujours Venise et y laissa beaucoup de peintures. À Padoue, il fit un tableau qui est dans l’église de Santa Maria d’Artone[53].

Benedetto Diana[54] ne fut pas moins célèbre que tous les maîtres dont nous venons de parler, comme le témoignent le saint Jean et les deux autres saints tenant chacun un livre[55], que l’on voit, à Venise, sur l’autel de San Giovanni, dans l’église de San Francesco della Vigna.

Giovanni Buonconsigli[56] fut aussi considéré comme un bon maître. A San Giovanni e Paolo, il représenta, sur l’autel dédié à saint Thomas d’Aquin, ce saint entouré de plusieurs à qui il lit la sainte Écriture[57]. Il y fit une perspective d’édifices que l’on ne peut que louer. Simone Bianco, sculpteur florentin, et Tullio Lombardo, graveur d’un grand talent, passèrent également toute leur vie à Venise.

En Lombardie se rendirent encore célèbres les sculpteurs Bartolommeo Clemento da Reggio et Agostino Busto[58] ; les graveurs Jacopo Davanzo, de Milan, Gasparo et Girolamo Misceroni. À Brescia, Vincenzio Verchio[59] fut très habile dans la fresque et acquit par ses belles œuvres une grande réputation dans sa patrie. Nous en dirons autant de Girolamo Romanino[60], excellent dessinateur, ainsi que le démontrent les ouvrages qu’il exécuta à Brescia et dans les environs.

Alessandro Moreto[61] égala et même surpassa ces artistes. Son coloris est très délicat et il eut toujours un soin extrême, comme le prouvent ses œuvres.

Revenant à Vérone, cité dans laquelle ont fleuri et fleurissent plus que jamais d’excellents artistes, nous trouvons Francesco Bonsignori[62], Francesco Caroto[63] et Maestro Zeno qui fit, à Rimini, trois tableaux, très soignés, dont l’un est à San Marino.

Celui qui, plus que tous les autres, a fait d’admirables portraits d’après nature, est le Moro de Vérone, que d’autres appellent Francesco Turbido[64]. On voit de lui aujourd’hui, à Venise, chez Monsignor de’ Martini, le portrait d’un gentilhomme de Cà Badovaro, sous la figure d’un berger, qui paraît vivant. Pareillement, Batista d’Angelo, son gendre, est plutôt au-dessus qu’à côté de son maître par la grâce de son coloris et la correction de son dessin. Mais comme mon intention n’est pas de parler à présent des vivants, il me suffit d’avoir mentionné ici quelques artistes, sur la vie et les œuvres desquels je n’ai pu obtenir de renseignements minutieux. Au moins que leur talent et et leur mérite aient de moi le peu que j’ai pu leur donner, bien que j’eusse voulu faire davantage.


  1. Da Zevio, du nom d’un pays véronais. Né en 1393, mort en … ?
  2. Qui n’existent plus.
  3. Ibid.
  4. Existent encore.
  5. N'existent plus.
  6. Né vers 1330, mort avant 1400.
  7. Ces peintures n’existent plus.
  8. Une partie de ces fresques existe encore ; identification difficile.
  9. Ibid.
  10. Travailla de 1400 à 1439 ; on a son testament du 2 septembre 1439.
  11. Plusieurs œuvres à l’Académie et au Musée Correr.
  12. Cette église n’existe plus ; le tableau est perdu.
  13. De son vrai nom Giacomo Moroceni.
  14. Église supprimée ; le tableau est à l’Académie, signé, daté 1441.
  15. Guariento ; florissait vers 1360, mort avant 1378.
  16. Ces fresques existent encore et représentent des planètes. Ses autres peintures n’existent plus.
  17. Urbano Prefetto ; ce n’est pas un nom propre.
  18. Actuellement bibliothèque de la ville.
  19. Remplacés par des peintures du Titien.
  20. De Menabuoi, mort vers 1397.
  21. Existent encore, attribuées aussi à Altichieri.
  22. Existe encore.
  23. Peintures détruites.
  24. Falzagalloni.
  25. Peintures détruites.
  26. Existe encore.
  27. Foppa, à Milan en 1457, mort en 1492.
  28. Probablement Giovanni Mireto, mentionné en 1423 et en 1441.
  29. La vie de Carpaccio, sur laquelle on ne possédait jusqu’à présent que peu de renseignements, a été éclaircie par les recherches de MM. G. Ludwig et P. Molmenti. Voir leur ouvrage : Vittore Carpaccio : la vita et le opere, in-4, Milano, Hœpli 1906. Il naquit vers 1455. Sa famille, les Scarpazza, habitait Venise depuis longtemps, et il naquit vraisemblablement dans cette ville. En 1472, il est d’âge à hériter d’un de ses oncles. Il dut mourir, entre la fin de 1523, où il il est payé d’une Nativité, et le milieu de 1526 : à cette date le peintre Pietro Carpaccio se dit fils de fu Vettore. Œuvres non mentionnées par Vasari : Peintures de Saint-Georges des Esclavons, 1502-1511. — Vierge de San Vitale, signée, datée 1514. — Pinacothèque. Rencontre de Joachim et de sainte Anne, signée, datée 1515. — Palais ducal. Lion de saint Marc, signe et daté 1516. — Musée Correr. Deux femmes au balcon, signé et non daté. — Autres tableaux à Paris, Berlin, Stuttgard, Milan, Londres, Capo d’Istria, dont la famille était peut-être originaire.
  30. Neuf toiles à l’Académie de Venise, signées, quelques-unes datées 1493, 1495.
  31. Un Couronnement de la Vierge, en place, œuvre d’un Vivarino et de Marco Basalti.
  32. Peinture perdue.
  33. À l’Académie, signé V. CARPATHIVS M. D. X.
  34. À l’Académie, signé VICTOR CARPATHIVS M. D. X.
  35. Ces deux noms ne désignent qu’une seale personne, Lazzaro Bastiano, maître de Carpaccio, cité dès le 5 avril 1449.
  36. Peinture perdue.
  37. Mort en 1531.
  38. À Venise, Vienne et Berlin.
  39. Cima. Il a des tableaux datés entre 1489 et 1508.
  40. Actuellement à Milan, au Musée de Brera.
  41. Basalti, né dans le Frioul ; dernière mention en 1530.
  42. En place.
  43. À l’Académie, signé MARCVS BASITVS, MDX.
  44. Peinture perdue.
  45. À l’Académie, signé : MDX. M. BAXIT.
  46. Œuvres de 1450 à 1499.
  47. Il en reste en place des fragments importants, signés : BARTHOLOMEVS VIVARINVS DE MVRIANO PINXIT MCCCCLXXIIJ.
  48. Mentionné, fin du XVe siècle.
  49. Actuellement à l’Académie, signés : IOANNIS DE MANSVETIS.
  50. Belliniano ; œuvres de 1508 à 1526.
  51. À l’Académie de Vienne, signé : MDXXVI VICTOR BELLINIANVS.
  52. Né à Orzi Novi, pays brescian, vers 1450, mort en 1523.
  53. Peinture perdue.
  54. Né à Venise vers 1450, mort après 1500.
  55. Peinture perdue.
  56. De Vicence, di Il Marescalco, mentionné de 1497 à 1530.
  57. Peinture perdue.
  58. Dit Bambaja, 1480-1548 ; auteur du tombeau de Gaston de Foix, au musée de Brera.
  59. Civerchio de Crema.
  60. Rumani da Brescia, disciple de Giorgione.
  61. 1498-1555
  62. Né en 1455, mort en......
  63. 1470-1546.
  64. Mort après 1546.