Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/peint2

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 68-71).
De la peinture : chapitre II

Chapitre II. — Des esquisses, des dessins, des cartons, des perspectives. Dans quel but on les fait, et à quelle fin les peintres s’en servent.


Les esquisses dont on a parlé ci-dessus représentaient pour nous une première espèce de dessins, que l’on fait pour trouver le mode des attitudes et la première composition de l’œuvre. On les fait à grosses touches, et ce ne sont que les ébauches du sujet. On appelle ces dessins esquisses, parce qu’ils sont produits en peu de temps par l’impétuosité de l’artiste, soit avec la plume ou le charbon, soit avec un autre outil de dessin, et seulement pour essayer de rendre ce qui passe à l’artiste par la tête. C’est de ces esquisses que sortent ensuite les dessins dressés en bonne forme ; en les faisant avec tout le soin qu’on peut y mettre, on cherche à rendre le vif, en s’aidant du modèle, si l’on ne se sent pas assez hardi pour dessiner d’après sa seule inspiration. Les esquisses terminées, on les mesure avec le compas, ou à l’œil, et on les agrandit, en passant de petites mesures à de grandes, selon l’œuvre qu’il s’agit de faire. On les exécute avec divers moyens, soit avec l’hématite, qui est une pierre rouge venant des montagnes d’Allemagne, et qui étant tendre se laisse facilement scier, ou réduire en pointes fines avec lesquelles on peut dessiner sur le papier, à volonté ; soit avec la pierre noire, qui vient des montagnes de France, et qui est semblable à la pierre rouge. On en emploie d’autres, claires ou foncées, avec lesquelles on dessine sur du papier teinté, qui tient l’intermédiaire ; avec la plume on fait le trait, c’est à dire le contour ou le profil, l’encre ensuite étendue d’un peu d’eau donne une teinte douce, qui voile et ombre le dessin. On l'éclaire ensuite, avec un pinceau fin trempé dans de la céruse délayée dans la gomme. Ce mode de faire donne beaucoup de pittoresque et montre mieux la disposition du coloris. Beaucoup d’artistes n’emploient que la plume seule, laissant les blancs du papier ; c’est une manière difficile, mais vraiment magistrale. Il y a encore une infinité de modes employés pour dessiner, dont il n’est pas besoin de faire mention, parce que tous représentent une même chose qui est le dessin.

Ces dessins étant faits, qui veut travailler à fresque, c’est à dire peindre sur le mur, doit nécessairement faire des cartons ; beaucoup d’artistes les emploient également pour peindre un tableau. On les fait de la manière suivante : après avoir empâté des feuilles de papier avec de la colle de farine et d’eau cuite au feu (il faut employer des feuilles carrées), on les étend sur le mur en collant leurs extrémités sur une longueur de deux doigts environ avec la même colle ; on les mouille ensuite, en les humectant légèrement et sur toute leur surface, avec de l’eau fraîche, de manière que les feuilles s’allongent et font disparaître après, en séchant, toutes les rides et les plis qui se sont formés. Quand ces feuilles sont sèches, on reporte, avec un long bâton muni d’un charbon à son extrémité, tout ce qui est tracé sur un petit modèle, pour produire l’effet à distance. On termine ainsi l’œuvre peu à peu, en passant d’une figure à l’autre. C’est dans ce travail que les peintres emploient tous les procédés de l’art, dessinant le nu d’après le modèle, et produisant les draperies d’après nature ; ils y mettent également la perspective, en reportant toutes les mesures qui sont sur le petit dessin et en les agrandissant à proportion. S’il y a des perspectives ou des édifices, on les agrandit au moyen du quadrillage, qui est une division du carton et du dessin en petits carrés, plus grands sur le carton, et qui reporte exactement toute chose. Celui qui a tracé sur le petit dessin les perspectives, extraites d’un plan et dressées à l’aide d’un profil, puis mises en place par l’intersection des lignes et la recherche des points, en sorte qu’elles aillent en diminuant et en fuyant, devra les reporter ensuite, avec leurs proportions, sur le carton. Mais je ne parlerai pas autrement du mode de tracer les perspectives, parce que c’est une chose fastidieuse, et difficile à faire comprendre. Qu’il suffise de dire que les perspectives sont d’autant plus belles qu’elles se montrent plus justes à la vue, qu’elles s’éloignent mieux de l’œil en fuyant et qu’elles sont mieux composées, avec un ordre magnifique et varié de bâtiments. Il faut donc que le peintre ait l’attention de les faire diminuer à proportion, avec la douceur des couleurs, laquelle est une simple discrétion de leur emploi et un jugement droit. On en fera preuve quand, après avoir tracé tant de lignes confuses que l’on tire du plan, du profil et de l’intersection, on les recouvrira de couleur, et que l’on aura une œuvre qui, étant pleine d’aisance, fasse passer son auteur pour instruit, connaissant bien et pratiquant de même son art. Beaucoup de maîtres ont aussi l’habitude, avant d’exécuter le carton de leur sujet, de faire un modèle en terre sur une surface plane, avec toutes les figures en ronde-bosse, pour se rendre compte de la projection des ombres provenant d’une lumière qui éclaire les figures et qui représente celles du soleil, celui-ci donnant cependant sur le sol des ombres beaucoup plus vigoureuses que la lumière sur la surface plane. Quoi qu’il en soit, en reportant ces ombres sur le carton, on obtient une image de la réalité. Il en résulte que les cartons et l’œuvre elle-même, grâce à ces recherches, restent plus poussés en force et en perfection, qu’ils se distinguent du petit dessin par le relief, enfin que l’ensemble est plus beau et infiniment plus terminé. Quand on emploie les cartons pour la fresque, ou la peinture sur mur, chaque jour on en coupe un morceau, et on le décalque sur le mur enduit de la préparation voulue, et soigneusement dressé. On place ce morceau de carton sur l’enduit du mur que l’on veut peindre, et l’on a soin de faire une marque pour que, le jour suivant, si l’on veut y juxtaposer un autre morceau, on le mette à sa place exacte, sans commettre d’erreur. Ensuite, en suivant les contours avec une pointe, on décalque sur l’enduit du mur qui, étant frais, colle au papier et reste marqué. Enlevant ensuite le carton et voyant les traits qui sont décalqués sur le mur, on y pose les couleurs ; c’est ainsi qu’on exécute le travail de la fresque, ou la peinture sur mur. Le même procédé s’emploie pour la peinture sur panneau, ou sur toile, mais le carton est alors d’un seul morceau. Il faut toutefois couvrir par derrière le carton de charbon ou de poudre noire, de manière qu’en appuyant avec la pointe, la trace reste marquée sur le tableau. Ces cartons servent donc à ce que l’œuvre soit juste et bien proportionnée. Il y a beaucoup de peintres qui négligent ces procédés pour la peinture à l’huile ; mais, pour la fresque, ils sont absolument indispensables. Certes, celui qui les a trouvés eut une bonne idée, parce que, d’après les cartons, on peut juger de l’œuvre entière ; qu’on peut les corriger et les gâcher jusqu’à ce que l’ensemble se tienne bien, ce qu’on ne saurait faire avec l’œuvre elle-même.