Les Éblouissements/C’est l’Orient dans ma province

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 225-226).

C’EST L’ORIENT DANS MA PROVINCE


Le jour est tendre, l’air est chaud,
Le soleil rit de lieue en lieue,
L’azur, sur les maisons de chaux,
Met sa caresse lisse et bleue.

Ah ! que les jardins sont joyeux ;
C’est l’Orient dans ma province,
Les fenêtres ouvrent leurs yeux
Sous le toit jaune, rose et mince.

C’est le Caire et l’Abyssinie
Dans ma ville aux vergers luisants,
La molle pêche à l’agonie
Fait écumer son tiède sang.

Le figuier, dont la belle feuille
Semble être encore au paradis
Pour qu’Ève tremblante la cueille,
S’englue au soleil de midi.


La douce eau contre le rivage
Se caresse nonchalamment,
Comme une amante sans courage
Qui désespère son amant.

Les vibrantes, rouges tomates
Ont de délicats flancs pelés
Où de leur bouche et de leurs pattes
Les frelons demeurent collés.

Et les rosiers dans le parterre
Font avec ces frelons vermeils
Un chant qui ne voudra se taire
Qu’après le coucher du soleil…

— Ah ! petite et chaude Savoie,
Jardin de claire volupté,
Toute mon âme vous envoie
Son mortel amour de l’été !