Les Éblouissements/La lumière des jours

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 133-136).

LA LUMIERE DES JOURS


Divine lumière des jours
Par qui l’espace est tendre et jaune,
Qui sous les limpides contours
Glissez un sang de jeune faune,

Chaque matin mon cœur joyeux
S’ouvre devant vous comme un temple,
Ce sont les lèvres et les yeux
C’est tout le corps qui vous contemple !

Sur les bords humides et doux
De la Seine où mon pas s’égare,
Mes désirs déroulent pour vous
Les belles danses de Mégare !

Chaud soleil des rivages grecs,
C’est toi, qui brûlant, hors d’haleine,
Poursuivais dans les myrtes secs
Pâris fuyant avec Hélène ;


Chaque matin tu bondissais
Du sein de la mer amoureuse ;
C’était ta flèche qui perçait
Vénus au lit de l’onde creuse ;

La nuit, l’Hellade sans sommeil
Souffrait jusqu’à ce que tu viennes,
Et l’on voyait à ton réveil
Rire les îles Ioniennes !

Ô beauté des matins fameux,
Quand, mêlant leur force profonde,
L’azur faisait les marbres bleus
Et le marbre argentait le monde !

Tu rencontrais, royal soleil,
Pour la douce cérémonie
De ton lever vert et vermeil,
L’empressement d’Iphigénie.

Adolescent aux cheveux roux,
Ivre du bonheur que tu donnes,
C’est toi le véritable époux,
Soleil d’Ismène et d’Antigone !

Ah que je puisse, sous les cieux,
Dans l’air où se baignent mes lèvres,
T’élever un temple joyeux
Au flanc des collines de Sèvres !


Comme un lis offre son odeur,
Comme un figuier porte sa figue,
Je te présenterai mon cœur
Sans jamais sentir ma fatigue ;

Je prendrai, dans ma main qui luit,
Les heures, si belles chacune ;
Je me reposerai la nuit,
Quand vient la pâle et morne lune :

Tant que ta face brillera,
Je serai debout, éblouie,
Amoureuse par l’odorat,
Par le regard et par l’ouïe.

Une montagne en diamant,
Les glaciers, la neige épandue
Ne boiraient pas plus âprement
Ta douce lumière tendue.

Que ne puis-je lutter pour vous
A l’heure où l’ombre vous attaque,
Vous voile et vous perce de coups,
Ô soleil de l’île d’Ithaque !

Mais quelquefois, divin soleil,
Penchez-vous plus près de ma bouche,
Inclinez votre front vermeil
Que je vous respire et vous touche !


Que quelquefois vous vous plaisiez
À poser sur moi votre tête,
Comme aux branches des cerisiers
Dans les vergers du Taygète.

Enveloppez de votre ardeur
Mes bras exaltés, ivres, tendres,
Qui sont les ailes de mon cœur
Et qui ne peuvent plus attendre ;

Ah ! de votre plus chaud rayon
Percez mon âme tout entière,
Et que je sois un papillon
Qui meurt, cloué par la lumière…