Les Éblouissements/Le plaisir des oiseaux

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Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 166-167).

LE PLAISIR DES OISEAUX


Ô bonheur des oiseaux, leur plaisir à l'aurore !
C'était le calme frais ; gerbe aiguë et sonore,
Leur cri vient tout brouiller dans le paisible azur !
Ils frappent d'un bec noir quelque invisible mur ;
Une confusion que nul conseil n'arrange
Les faits se disputer au milieu des louanges.
Ils s'expliquent dans l'ombre humide des buissons.
Et puis, soudain, laissant leurs futiles chansons,
Étourdis de reflets, de bouquets, de rosée,
De rosée azurée à leurs plumes posée,
Ils volent, ivres d'air, de conquête, d'amour.
Le soleil les séduit comme une jaune tour.
Vers quel but enflammé, vers quelle errante cible
Vont-ils, ainsi lancés par un arc invisible ?
Tous les arbres avec des parfums précieux
Sont leurs tapis moelleux et touffus sous les cieux.
L'odeur que nous goûtons, quand, couchés sur le sable
Nous bénissons les bois d'un regard ineffable,

Cette odeur qui nous fait languir, les bras tendus
Vers quelque ardent bonheur, sanglotant, éperdu,
Cette divine odeur les poursuit, les enlace,
Ils se pâment, roulés ensemble dans l’espace ;
Comme un frais coquillage st percé d’eau de mer,
Leur corps est saturé d’azur, d’arome et d’air.
Quelquefois le zéphir les rafle, les opprime,
Ils traînent, algue en feu, dans cette onde sublime.
Et puis l’oiseau revient, accoste un cerisier,
Roule sur le fruit chaud son front extasié,
Et l’inconstant divin repart. Pendant des lieues,
Il s’élance entre l’arbre et les coupoles bleues,
Il ne voit du dolent et perfide univers
Que ke côté d’azur et que le côté vert.
Confondu dans l’espace il est immense et libre.
Quelquefois, quand un jour s’été fermente et vibre,
Quand l’orage s’annonce, il sent contre son cœur
Perser et s’arrondir un ouragan d’odeur,
Et s’irritant il pique, en passant à la nage
Le sein tendre et fondant du plus jeune feuillage…