Lettre *387, 1674 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 420-421).
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1674

*387. — DU COMTE DE GRIGNAN AU COMTE DE GUITAUT.

Le 14 octobre, à Grignain[1].

J’ai reçu votre lettre du 6, où vous me mandez ce que vous avez dit à Monsieur de Toulon[2] sur l’affaire de Barjoux et de Saint-Remi[3] ; mais trouvez [bon][4] que je vous die que si vous ne lui parlez franchement, cela nous fera un embarras : vous savez comme je vous en ai parlé ; ces Messieurs me veulent faire un plat[5] sur cela, parce qu’ils voient bien qu’ils ne sauroient avoir contentement. Je leur permets encore une fois de faire sur ces deux affaires-là tout ce qu’ils trouveront bon : je n’en serai point fâché contre eux ; mais, entre vous et moi, je ne veux point que Monsieur de Toulon, ni aucun de ces Messieurs, se mêlent de l’accommodement de ces deux communautés : ce n’est point leur affaire. Je n’y toucherai point qu’après l’assemblée ; car je suis déterminé à voir, avant toutes choses, la manière dont ils en useront avec moi pendant l’assemblée. Monsieur de Toulon est persuadé qu’il ne peut s’empêcher en conscience de faire son opposition. Je suis persuadé du contraire, et qu’il pourroit agir comme les trois premières années. Ces Messieurs veulent un accommodement avec moi, à condition qu’ils ne feront pas un pas de leur côté, et que du mien je ferai toutes les avances. Ils s’opposent à la seule affaire que j’aie dans la province : ils sont les maîtres de la maison de ville d’Aix ; ils souhaitent que dans l’accommodement de Barjoux et de Saint-Remi, dont je suis le maître, je me relâche en faveur de leurs amis. Qu’est-ce qu’ils me donnent ? Rien. Voyez-vous, mon cher Monsieur, je vous parle comme à Monsieur de Guitaut, mon ami, et vous prie que ceci soit entre nous. L’affaire de mes gardes est une affaire d’honneur ; si je la perds, ces Messieurs doivent compter que je ne saurois jamais revenir pour eux. Ce n’est point les cinq mille[6] francs qui me tiennent au cœur, comme vous pouvez croire ; car je les rendrai à la province dans le moment, pourvu qu’il paroisse que j’en ai été absolument le maître[7]. Je serai encore ici jusques à la Toussaint : Mes compliments, s’il vous plaît, à M. le marquis de Janson[8].

Je suis tout à vous,
Grignan.

  1. Lettre 387 (revue sur l’autographe). — 1. L’année n’est pas marquée de la main du comte de Grignan, mais elle peut aisément se conclure du contenu de la lettre.
  2. 2. Dans l’original il y a : « Mr  de Tholon. » — Louis de Forbin d’Oppède fut évêque de Toulon de 1664 au 29 avril 1675.
  3. 3. Il y a une petite ville appelée Saint-Remi, à trois lieues d’Arles. Le premier nom désigne-t-il Barjols, autre petite ville, située dans le département du Var ? Le compte rendu de l’assemblée des communautés parle d’une délibération relative à « l’entrée et séance des consuls de Barjoux et de Saint-Remi. » Dans l’original de la lettre, on lirait plutôt Barjeaux (Barieaux) que Barjoux.
  4. 4. Le mot bon manque dans l’original.
  5. 5. Il y a très-lisiblement plat dans l’autographe, et non plan, comme on a imprimé jusqu’ici. Cette locution signifie-t-elle : me servir un plat de leur métier ?
  6. 6. Dans toutes les éditions qui ont précédé la nôtre, on a imprimé cent au lieu de cinq ; dans l’original il y a cinc. Voyez la note suivante.
  7. 7. Dans l’assemblée des communautés de Provence qui s’ouvrit le 23 novembre 1674, « l’évêque de Toulon… procureur joint pour le clergé, s’opposa au payement des gardes d’honneur et au supplément de cinq mille francs. Il déclara qu’il protestait d’avance contre toute délibération qui interviendrait pour accorder une de ces deux sommes. L’assemblée refusa les gardes d’honneur ; elle accorda la somme de cinq mille francs, non comme supplément de traitement, mais à titre de gratification et sans tirer à conséquence pour l’avenir. » (Walckenaer, tome V, p. 146.)
  8. 8. Voyez tome II, p. 72, note 17.