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Lettre 200, 1671 (Sévigné)

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1671

200. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Vitré, dimanche 6e septembre.

Ah ! ma fille, que vous veut donc ce feu qui tourne autour de vous, et qui vous fait des frayeurs à toute heure ? Pour vous dire le vrai, je doute que cela ne vous fasse point de mal : souvenez-vous de ce que vous fit une fois la peur de voir le Chevalier à cheval[1]. Je voudrois que du moins cela vous servît à faire redoubler le soin de tous vos gens, pour empêcher que le malheur du feu n’arrive chez vous : j’exhorte Deville, par l’affection qu’il a pour vous, à faire sa ronde plus exactement que jamais. Au reste, vous croyez qu’un rhume n’est rien en l’état où vous êtes ; je vous avertis que c’est beaucoup, et que peut-être vous n’en guérirez qu’en accouchant. Je vous recommande aussi la sagesse dans votre septième. On porte quelquefois les filles heureusement, et les garçons ont des fantaisies de venir plus tôt, et en prennent le chemin au sept[2]. Faites réflexion sur ce discours : je défie Mme du Puy-du-Fou de mieux dire. Après cette leçon de matrone, je vous ferai mille compliments de la part de Chésières. Vous vous êtes souvenue très à propos du vers de M. de Grignan. Vous aurez vu par une de mes lettres que je suis bien loin d’oublier ce temps-là.

Vous avez une tribu de Grignans, ma chère fille ; mais ils sont tous si aimables qu’on doit se réjouir avec vous de cette bonne compagnie. Je suis étonnée d’apprendre que vous avez M. de Chattes[3]. Il est vrai que j’ai été trois jours avec lui à Savigny[4] ; il me paroissoit fort honnête homme, je lui trouvois une ressemblance en détrempe qui ne le brouilloit pas avec moi. S’il vous conte ce qui m’arriva à Savigny, il vous dira que j’eus le derrière fort écorché d’avoir couru un cerf avec Mme de Sully, qui est présentement Mme de Verneuil[5].

Vous croyez ne me rien dire en m’assurant que vous aimez ceux qui vous parlent de moi : c’est une marque d’amitié tellement naturelle, que je veux vous en remercier tout à l’heure, et vous embrasser de tout mon cœur. Il y a aussi des marques d’aversion qui font bien mourir : je suis trop habile sur ce chapitre ; mais il faut avouer aussi que je ne l’ai pas appris sans mettre beaucoup au jeu.

Que dites-vous de Marsillac qui est duc ? J’approuve fort ce qu’a fait son père : c’étoit le seul moyen de le faire jouir de cette dignité sans une extrême douleur. C’eût été un honneur bien empoisonné que de l’avoir en perdant un tel père. Il me semble aussi que le nom et le mérite de M. de la Rochefoucauld est une dignité fort au-dessus de celle qu’il a donnée.

La Marans voulut aller l’autre jour à Livry avec Mme de la Fayette ; on la renvoya sans autre forme de procès. Elle contoit qu’elle avoit eu tout le jour Monsieur le Prince chez elle, et on ne fit pas semblant de l’écouter. Oh ! ma fille, cela est bon, et fait bien enrager les folles qui se vantent.

En fermant ma lettre, je vous parlerai des états, et de mon heureux retour aux Rochers.


« Il n’est si bonne compagnie qui ne se sépare, » dit M. de Chaulnes aux Bretons, quand il les renvoya chez eux. Les états finirent à minuit. J’y fus avec Mme de Chaulnes et d’autres femmes. C’est une très-belle, très-grande et très-magnifique assemblée. M. de Chaulnes a parlé à tutti quanti avec beaucoup de dignité, et en termes convenables à ce qu’il avoit à dire. Après dîner, chacun s’en va de son côté. Je serai ravie de retrouver mes Rochers. J’ai fait plaisir à plusieurs personnes : j’ai fait un député, un pensionnaire[6] ; j’ai parlé pour des misérables, et de Caron pas un mot[7], c’est-à-dire, rien pour moi ; car je ne sais pas demander sans raison.

Voici ce que je fis l’autre jour : vous savez comme je suis sujette à me tromper ; je vis avant dîner, chez M. de Chaulnes, un homme au bout de la salle, que je crus être le maître d’hôtel ; j’allai à lui, et lui dis : « Mon pauvre Monsieur, faites-nous dîner, il est une heure, je meurs de faim. » Cet homme me regarde, et me dit : « Madame, je voudrois être assez heureux pour vous donner à dîner chez moi ; je me nomme Pécaudière, ma maison n’est qu’à deux lieues de Landernau. » Mon enfant, c’étoit un gentilhomme de basse Bretagne : ce que je devins n’est pas une chose qu’on puisse redire ; je ris encore en vous l’écrivant.

Voilà une pièce que M. de Chaulnes vous envoie : je la crois de Pellisson ; d’autres disent de Despréaux[8] ; dites-m’en votre avis. Pour moi, je vous avoue que je la trouve parfaitement belle ; lisez-la avec attention, et voyez combien il y a d’esprit. J’ai mille compliments à vous faire de tout le monde. On a donné cent mille écus de gratifications : deux mille pistoles à M. de Lavardin, autant à M. de Molac, à M. Boucherat, au premier président, aux lieutenants de Roi, etc., deux mille écus au comte des Chapelles, autant au petit Coëtlogon : enfin des magnificences. Voilà une province !

Mme de la Fayette est à Livry, d’où elle m’écrit des gaillardises, malgré tous ses maux. M. de la Rochefoucauld m’écrit aussi. Ils me disent qu’ils me souhaitent ; mais c’est moi qui souhaite bien de vous y revoir : cette espérance me soutient la vie. Au reste, j’ai supputé, vous aurez achevé dans cinquante ans de traduire le Pétrarque, à un sonnet par mois ; cet ouvrage est digne de vous ; ce ne sera pas un impromptu. Adieu, ma chère enfant, songez quelquefois à moi avec vos Grignans. Je m’en vais aux Rochers, si contente d’être hors d’ici, que je suis honteuse d’être si aise en votre absence. Quand je relis mes lettres, je suis toujours tentée de les brûler, en voyant les bagatelles que je mande ; mais dites, ne vous fatiguent-elles point ? car je pourrois fort bien les retrancher, sans vous aimer moins pour cela.


  1. Lettre 200. — 1. Voyez la note 10 de la lettre 195.
  2. 2. C’est là le texte de l’édition de 1754, la première qui ait donné le commencement de cette lettre. Il est bien possible que Mme de Sévigné (c’était assez sa coutume) se soit servie d’un chiffre, et qu’on ait lu 7 pour 7e.
  3. 3. — C’est peut-être le père de ce Clermont de Chattes, frère du comte de Roussillon et de l’évéque de Laon, avec lequel la princesse de Conti eut en 1694 une intrigue qui fit grand bruit. Voyez les Mémoires de Saint-Simon, tome I, p. 209 et suivantes, et tome XVII, p. 218.
  4. 4. Walckenaer suppose que c’est vers 1648 que Mme de Sévigné était allée passer quelques jours chez le comte de Montrevel (Ferdinand de la Baulme), à Savigny-sur-Orges, non loin de Montlhéry, entre Lonjumeau et la Seine. Voyez les Mémoires sur Mme de Sévigné, tome I, p. 154 et suivante, et tome II, p. 410. — Dans une lettre à Ménage (tome I, p. 375), nous voyons la comtesse de Montrevel faire visite à son tour à Mme de Sévigné et tomber malade aux Rochers.
  5. 5. Charlotte Seguier. Voyez la note 1 de la lettre 132.
  6. 6. Walckenaer (tome IV, p. 37) cite un fait intéressant rapporté par M. Louis Dubois, sous-préfet de Vitré (Recherches nouvelles sur Mme de Sévigné, p. 70), et explique ainsi ce passage : « Par acte passé le 2 septembre 1671, Mme de Sévigné fit une rente de cent francs aux Bénédictins de Vitré, et hypothéqua cette rente ou pension sur la Tour de Sévigné. Ce don fut sans doute fait en reconnaissance des réparations exécutées aux frais de la province à la grosse tour qui donnait son nom à la maison de Vitré. Voilà pourquoi elle dit : « J’ai fait un pensionnaire. » — C’est possible, mais il se pourrait tout aussi bien qu’il s’agît simplement d’une pension obtenue directement des états pour quelqu’un de ces misérables dont parle ici la marquise.
  7. 7. Allusion à un passage du dialogue de Lucien qui a pour titre : Caron ou le Contemplateur, et que Mme de Sévigné cite ici d’après la traduction de Perrot d’Ablancourt (tome I, p. 191, Paris, 1660) : « Dieux ! qu’est-ce des pauvres mortels ! (s’écrie le nocher des enfers en voyant les vaines agitations des hommes). Rois, lingots, sacrifices, combats, et de Caron (c’est-à-dire de moi), pas un mot !  »
  8. 8. C’était l’Arrêt burlesque de Boileau. pour le maintien de la doctrine d’Aristote : voyez la note 4 de la lettre 204.