Lettre 347, 1673 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (3p. 277-279).
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1673

347. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN[1].

À Paris, le dimanche au soir, 19e novembre.

Nous fûmes arrêtés l’autre jour tout court par M. de Pompone, qui nous assura si bien qu’il avoit écrit à Monsieur l’intendant[2] pour le prier que s’il ne peut empêcher l’opposition, au moins il laisse à l’assemblée la liberté d’opiner[3], que l’on n’osa lui faire connoître que l’on souhaite quelque chose de plus. Mais, comme je rêve sans cesse à vos affaires, j’ai dit à M. d’Hacqueville que j’eusse voulu avoir le cœur éclairci une bonne fois sur la difficulté qu’il y auroit de parler au Roi de cette affaire, afin de savoir où l’on s’en doit tenir, et tâcher de sortir de cet esclavage dont Monsieur de Marseille sait user si généreusement. Dans cette pensée, Mme de la Fayette nous a soutenus, et demain nous partons, lui et moi, tête à tête, sans autre affaire que de dîner avec M. de Pompone, et voir quel tour il faut donner à cette affaire[4]. Nous ne voulons mêler ce dessein d’aucune autre chose[5] ; nous ne verrons ni Roi ni Reine ; je serai en habit gris, et nous ne verrons que la maison de Pompone. Quand on pense à faire sa cour, cela donne une certaine distraction qui ne me plaît pas : je retournerai dans quelques jours rendre mes devoirs. Pour demain, le grand d’Hacqueville et moi n’avons que vous dans la tête. Je reviendrai vous écrire.

Je vis hier Mme de Souliers[6] avec qui j’ai raisonné pantoufle assez longtemps. Elle me dit que Bodinar[7] étoit entièrement à Monsieur de Marseille : je lui dis que je ne le croyois pas ; elle m’assura qu’elle le savoit bien : je lui dis que nous verrions. Elle me dit cent petites choses qui m’échauffèrent fort la cervelle ; mais comme vous n’avez pas besoin qu’on vous échauffe plus que vous ne l’êtes, je ne vous les dirai point.

Jamais je n’ai eu plus d’inquiétude que j’en ai, et du siège d’Orange, et de vos affaires de l’assemblée ; j’en suis plus occupée que si j’étois avec vous. Ma pauvre bonne, si vous m’aimez, ne vous faites point malade : cette crainte m’ôte entièrement le repos de la vie.

M. le marquis de Souliers m’est venu voir aujourd’hui avec le petit la Garde, que j’ai trouvé fort joli : dites-le à la présidente. Ils s’en vont tous deux dans très-peu de jours. Il me paroît que M. de Souliers se va ranger sous le manteau de sainte Ursule[8], et apparemment augmenter le nombre de vos ennemis. Bonsoir, ma très-bonne, jusqu’à demain au soir au retour de Versailles.


  1. Lettre 347. — 1. Lettre des éditions de 1726, omise par Perrin.
  2. 2. Le sieur de Rouillé (Rouillé de Mêlai), maître des requêtes, était intendant de la justice, police et finances en Provence, et « commissaire député pour le Roi, président pour Sa Majesté en l’assemblée des communautés, » où il fit son entrée le 6 décembre. Voyez la Gazette du 16 décembre 1673, la Notice, p. 211, et la note de la lettre du 12 août 1675.
  3. 3. Dans l’édition de Rouen, on a supprimé, pour dégager la phrase : « si bien… que. »
  4. 4. Dans l’édition de Rouen : « à ce projet. »
  5. 5. « Nous ne voulons y mêler aucune autre chose. » (Édition de la Haye, 1726.)
  6. 6. On écrivait Soliers et Souliers, comme Forbin et Fourbin. — Forbin, marquis de Soliers, était chef d’une des branches de la maison de Forbin, et par conséquent parent de l’évèque de Marseille (qui était de la branche de Janson, l’aînée suivant Moréri).
  7. 7. Le baron de Beaudisnar était, en 1675, procureur du pays joint pour la noblesse à l’assemblée de Provence.
  8. 8. C’est-à-dire se mettre au nombre des partisans et compagnons de l’évêque de Marseille. C’est une nouvelle allusion à la manière de représenter sainte Ursule, réunissant ses compagnes sous son manteau : voyez la note 4 de la lettre 321.