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Lettre 751, 1679 (Sévigné)

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1679

751 — DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CORBINELLI À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 8e novembre.

de madame de sévigné.

J’arrivai ici samedi, comme je vous l’avois mandé. J’avois été dîner le vendredi à Pompone, où Mme de Vins reçut une lettre de vous. Nous causâmes fort sur votre sujet. M. de Pompone la gronda de ne vous avoir point parlé de lui dans ses lettres : ce fut une très-jolie querelle. Ils seront encore quinze jours à Pompone. Pour moi, j’ai regretté Livry ; j’ai coupé dans le vif ; cette solitude me plaisoit, et les beaux jours qu’il fait encore m’offensent. Je vis en arrivant les deux Grignans et M. de la Garde ; vous jugez bien de quoi nous parlons. Je fus le lendemain chez Mlle de Méri ; je la trouvai un peu mieux. J’ai vu du Chesne[1] et je ne sais par quel hasard il m’est tombé dans l’esprit de parler de votre santé : il vous aime, et je le trouve plus touché et plus appliqué que les autres. Il est étonné de la manière dont tout votre corps est engourdi, avec des frémissements et des inquiétudes qui vous vont jusqu’au cœur : ce sont, dit-il, des sérosités et la vraie humeur du rhumatisme. Il voudroit que vous vous fissiez frotter quelquefois l’épine du dos avec de I’eau-de-vie et de l’huile de noix tirée sans feu, mêlées ensemble ; il dit que cela 1679 ouvriroit les pores dans le lieu d’où les sérosités partent, et que vous en seriez soulagée. Il vous loue d’avoir quitté votre vieux lait ; il vous conseille de prendre, à la place du lait, qui vous est contraire, bien des orges, des bouillons de poulet avec des semences froides ; car si vous ne corrigez ce sang, vous en devez craindre des suites fâcheuses. Il vous conjure très-instamment de ne pas négliger l’eau de Sainte-Reine, et dit que vous savez bien ce que c’est. Cet article a été recommencé jusqu’à trois ou quatre fois. Du Chesne croit aussi que le café précipite votre sang, qu’il l’échauffe, qu’il peut être bon à des gens qui n’ont mal qu’à la poitrine ; mais que jamais il ne s’est ordonné dans la disposition où vous êtes, et qu’on en peut juger par votre maigreur, qui augmente à mesure que vous en prenez ; qu’il est à craindre que vous ne vous en aperceviez trop tard ; que la force que vous croyez que le café vous donne n’est qu’un faux bien, puisque cela vient du mouvement de votre sang, qui auroit besoin, au contraire, d’être calmé et adouci. Songez-y, ma fille, je ne fais précisément que vous répéter ce que du Chesne m’a dit avec beaucoup d’intérêt et d’amitié pour vous. Vous trouverez peut-être bien de l’ennui dans un si grand article ; mais le moyen de le supprimer ? Mettez-vous à ma place, et voyez ce que je puis sentir et ce que je puis craindre. Vous aimez du Chesne : voilà ses avis, et ce qu’il m’a fait promettre de vous mander.

Vous êtes donc à Lambesc, ma chère enfant : une plus grande gloire vous a appelée plus avant en Provence. Je crains bien pour vous l’excès des compliments et des visites ; vous n’êtes guère en état de suffire à tout cela. On ne parle point du voyage du Roi dans les provinces, non plus que des cordons bleus : Sa Majesté n’en veut point faire, à cause de l’infinité de 1679 prétendants. Ce que je vous dis vient de deux endroits assez sûrs ; et tout de suite je vous ferai mille amitiés de M. de la Rochefoucauld et de Mme de la Fayette ; Mmes de Lavardin et de Mouci ne vous en font pas moins. Je n’ai pas encore vu la marquise d’Uxelles. Le chevalier vous mandera les nouvelles. Je crois que le maréchal de Bellefonds ne relèvera point de la maladie dont il est accablé[2]..

Vous êtes bien contente de la douceur de Mlles de Grignan ; c’est un bonheur pour vous. Mais, ma fille, où avez-vous pris que vous fussiez un dragon ? Quel plaisir prenez-vous à dire de ces sortes de choses ? N’étiez-vous point d’accord de tout ce que je voulois faire ? Ne passiez-vous point l’hiver en Bretagne, quand il le falloit ? les étés à Livry ? Quelle difficulté faisiez-vous de vous ennuyer avec tranquillité comme les autres ? Ah ! ne souhaitez point d’être autrement que vous n’êtes, si ce n’est pour votre santé. Mais qui auroit jamais pu croire en ce temps-là que vous fussiez devenue délicate et maigre au point que vous l’êtes ? Qu’avez-vous fait de Pauline ? Je souhaite bien que vous l’ayez menée avec vous. Je fis lire sa lettre à Mme de Vins, qui en fut ravie ; ainsi que ses oncles[3] ; je vous dis que c’est une pièce achevée pour la naïveté.

Mme de la Sablière a bien pris le parti que vous estimez,


Rompons, brisons les tristes restes
[4].

1679 Mme de Coulanges, que pensez-vous que je veuille dire ? je pense comme vous. Mais Mme de Coulanges maintient que la Fare n’a jamais été amoureux : c’étoit tout simplement de la paresse, de la paresse, de la paresse ; et la bassette a fait voir qu’il ne cherchoit chez Mme de la Sablière que la bonne compagnie. À propos, Mme de Villars n’a écrit uniquement, en arrivant à Madrid, qu’à Mme de Coulanges[5] ; et dans cette lettre elle nous fait des compliments à toutes nous autres vieilles amies : Mme de Schomberg, Mlle de Lestrange, Mme de la Fayette, tout est en un paquet. Mme de Villars dit qu’il n’y a qu’à être en Espagne pour n’avoir plus d’envie d’y bâtir des châteaux. Vous voyez bien qu’elle ne pouvoit mieux adresser sa lettre, puisqu’elle vouloit mander cette gentillesse. La reine d’Espagne a fait mille tendresses à Mme de Saint-Chaumont[6] en passant pays ; 1679 la maréchale de Clérembaut[7] n’a pas parlé depuis ce jour. On attend des nouvelles du mariage et de l’entrevue[8]. On dit que la princesse d’Harcourt et la maréchale reviendront aussitôt, et que Mme de Grancey ira jusqu’à Madrid[9]. J’ai dit à Brancas que vous lui faisiez des compliments sur son deuil, et non pas sur son affliction[10]. Il y a eu bien des gens noyés dans ce vaisseau du chevalier de Tourville, qui s’est sauvé à la nage[11] ; je crois qu’un de nos chevaliers de Sévigné s’est noyé[12]. Mon fils est en basse Bretagne ; je pense que son amour ne va pas si loin. Adieu, ma très-chère : plût à Dieu que votre santé fût comme la mienne ! Je vous conjure de ne m’écrire qu’un mot de votre état, et un autre de votre amitié : laissez-nous vous conter des fagots ; je sacrifie très-volontiers le plaisir de lire vos aimables lettres à celui de savoir que vous ne vous épuisez point pour les écrire.

de corbinelli.

Vous voulez donc bien, Madame, que je vous dise ce que je vous ai toujours été, et ce que je vous serai toujours, soit à cause de vous, Madame, dont le mérite est infini, soit pour l’amour de Madame votre mère, que j’adore et qui vous adore.

de madame de sévigné.

Voilà donc ce mot qu’il vouloit vous écrire, il y a trois semaines[13] ; croyez, sur ma parole, qu’il mérite votre estime. Nous venons de lire ce beau chapitre dont vous nous parlez ; nous le trouvons divin jusqu’à un certain endroit, où l’auteur se fait lui-même une difficulté si grande, qu’elle nous paroît, comme à lui, insurmontable, et dont il ne se tire que par beaucoup d’obscurité, que nous laissons à comprendre à ceux qui sont plus éclairés que nous.


  1. Lettre 751. 1. Voyez ci-dessus, p. 14, note 11.
  2. 2. Il fut guéri par le chevalier Talbot. Voyez la lettre du 24 novembre suivant. Il ne mourut que le 5 décembre 1694.
  3. 3. Le chevalier et l’abbé de Grignan.
  4. 4. Vers d’un chœur de l’Alceste de Quinault et Lulli, acte III, scène v :

    Rompons, brisons le triste reste
    De ces ornements superflus.
  5. 5. Le marquis de Villars avait passé en janvier 1679 de l’ambassade de Savoie à celle d’Espagne. La Gazette annonce sa nomination dans son numéro du 21 janvier, son retour de Turin à Paris dans celui du 8 avril, son départ pour l’Espagne dans celui du 27 mai. Villars avait déjà été ambassadeur en Espagne en 1673, avant la déclaration de la guerre. — Mme de Villars écrivit plusieurs lettres à Mme de Coulanges pendant le dernier séjour qu’elle fit à Madrid. Celles qui se sont conservées, au nombre de trente-sept, commencent au 2 novembre 1679, et finissent au 15 mai 1681. Elles sont non-seulement très-agréables à lire, mais encore très-curieuses, soit par les anecdotes qu’on y trouve au sujet du mariage de Charles II avec Marie-Louise d’Orléans, soit par le tableau que Mme de Villars y fait des mœurs du pays et des usages de la cour d’Espagne. (Note de Perrin.)
  6. 6. Suzanne-Charlotte de Gramont, sœur (du second lit) du maréchal de Gramont, veuve de Henri Mitte de Miolans, marquis de Saint-Chaumont. Elle fut préférée à Mme de Motteville pour la place de gouvernante des enfants de Monsieur. Ayant continué de correspondre avec Daniel de Cosnac, évêque de Valence, l’un des amis les plus fidèles de Madame Henriette d’Angleterre, elle encourut aussi la disgrâce de Monsieur, et fut remplacée par la maréchale de Clérembaut. Elle mourut le 31 juillet 1688. Voyez les Mémoires de Motteville, tome IV, p. 306. (Note de l’édition de 1818.)
  7. 7. Voyez tome III, p. 181 note 13, et sur la taciturnité de la maréchale, Saint-Simon, tome XIX, p. 427.
  8. 8. La cérémonie du mariage, ou, pour nous servir du terme consacré, de la seconde bénédiction, se fit incognito le 19 novembre, à Quintana Palla, petit village à trois lieues de Burgos, où la Reine était arrivée la veille de ce jour. Voyez la Gazette du 9 décembre
  9. 9. Le prince et la princesse d’Harcourt, la maréchale de Clérembaut et Mme de Grancey (voyez tome III, p. 10, note 19) partirent de Burgos pour retourner en France. Voyez la Gazette du 9 décembre. Mme de Grancey ne profita pas de la permission qui lui avait été donnée d’accompagner la Reine jusqu’à Madrid.
  10. 10. Il avait perdu au mois d’octobre son frère Louis-François, due de Brancas Villars, qui eut pour successeur de son duché son fils aîné Louis de Brancas. Voyez la Gazette du 14 octobre 1679.
  11. 11. Le Mercure galant (décembre, 1679, p. 53-75) contient un long récit du naufrage dont il est ici question, et qui eut lieu vers le milieu d’octobre. Tourville commandait le Sans-Pareil ; il gagna à la nage et à grand’peine un canot, et fut recueilli par le vaisseau l’Arc-en-ciel, qui l’amena à Belle-Île le 24 octobre.
  12. 12. Cette crainte était vaine voyez tome IV, p. 241, note 22.
  13. 13. Voyez la lettre du 25 octobre précédent, p. 65.