Lettre 76, 1668 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 498-499).
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* 76. — DU DUC DE SAINT-AIGNAN
À MADEMOISELLE DE SCUDÉRY.

Du 19e avril 1668.

Ce n’est rien, Mademoiselle, d’être sorti de dessous ce monceau de buffles[1], de pistolets, de bottes et de baudriers, qui marquaient tant la guerre à la veille de la trêve et peut-être de la paix[2]; je suis retombe de fièvre en chaud mal ; de plus savants diroient de Scylle en Charibde : enfin, ce que je veux dire, et que je ne dis point trop bien, c’est qu’après la troupe, j’ai fait l’équipage de mon fils[3] ; que la batterie de cuisine est une autre chose que celle des canons ; que l’amour a son brandon, son bandeau, son arc, son carquois et ses flèches ; que Mars a son dard, son bouclier, son casque et son cimeterre ; mais que Comus a ses pots, ses plats et ses bouteilles. Il faut de tout à un guerrier, et pendant qu’on songe a l’équiper, on peut oublier Jusques à l’illustre Sapho et Jusques à la belle Lionne. Mais à propos de la belle Lionne, celui qui vient d’imposer aux lions un joug qu’ils ont voulu éviter[4], en parla, il n’y a que peu de jours, d’une manière fort agréable pour moi et fort glorieuse pour elle. Cet éloge fut public, et ni elle ni nous ne le demandons pas particulier[5]. La seule vérité le tira de sa bouche, et la seule vérité le tire de ma plume. Pour vous, généreuse Sapho, vous savez combien de pouvoir vous avez sur Artaban : il ne tiendra qu’à vous que vous n’en ayez des marques dans toutes les occasions où il vous plaira de l’employer.


  1. Lettre 76 (revue sur l’autographe). — i. On peut lire dans l’original briffes ou buffes. Nous ne connaissons pas le premier de ces deux mots, et nous avons lu buffes (pour buffles), terme qui désignait des collets ou des justaucorps de peau de buffle.
  2. La paix fut signée, en effet, entre la France et l’Espagne, le 2 mai suivant.
  3. Paul de Beauvillier, comte de Saint-Aignan, depuis duc de Beauvillier. Ses deux frères aînés, le comte de Séri et le chevalier de Saint-Aignan, étaient morts, le premier en 1666, le second en 1664.
  4. Le Roi venait de faire en personne la conquête de la Franche-Comté. Le comté de Bourgogne ou la Franche-Comté portait d’azur semé de billettes d’or au Lion de même. Le roi d’Espagne, en qualité de roi de Léon, avait aussi un lion dans un des cantons de ses armes.
  5. Voyez la p. 98, déjà citée, de la Notice bibliographique.