Lettre 829, 1680 (Sévigné)

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1680 Dans le besoin que j’ai d’avoir commerce de lettres avec mes amis pendant mon exil, j’aime autant l’entretenir avec le Roi qu’avec d’autres. Je serai même content de n’avoir pas régulièrement des réponses de lui, pourvu qu’il donne quelque chose à mes enfants entre ci et un ou deux ans.

Mme de Montglas a reçu mes honnêtetés avec la joie et la reconnoissance qu’elles méritoient, et m’a fait dire qu’elle n’aura pas de repos qu’elle ne m’ait satisfait. Je serai agréablement surpris si cela arrive, car je ne m’y attends pas. L’alliance de M. Colbert n’avancera guère Chiverni, à mon avis[1] : ce ministre n’emploie son crédit que pour lui, ou tout au plus pour ses enfants.

Le cardinal d’Estrées s’en va à Rome pour apaiser le pape sur la régale[2]. Le Roi partira de Saint-Germain pour son voyage de Flandre le 13e de ce mois ; on dit que Monseigneur[3] sera le général des troupes de ce pays-là, et Monsieur le Prince son lieutenant général. Monsieur, dit-on, demeure à Saint-Cloud[4] : on dit qu’il y a eu 1680 quelque aigreur entre le Roi et lui, où Madame la Dauphïne et Mme  de Maintenon sont mêlées.

Monsieur de Beauvais va en Pologne[5] à la place du marquis de Béthune, que l’on en retire.

Les affaires de Mme  de Bussy avec sa cousine la duchesse d’Estrées[6] vont le mieux du monde ; sa fille de Rabutin[7] et elle se la renvoient tour à tour. Quand la duchesse est à Paris, la Rabutine avance l’estimation des biens de Manicamp en Picardie ; et quand elle court en ce pays-là, Mme  de Bussy obtient des arrêts contre elle à la grand’chambre. Tout le monde commence à connoître que la maison de Manicamp est une maison ruinée par le partage de Mme  de Bussy, et par les créanciers.

Adieu, ma chère cousine ne m’écrivez plus avant le 25e de ce mois, car je ne serai à Bussy que dans ce temps-là[8]. Mme  de Coligny vous embrasse de tout son cœur.

  1. 2. Voyez ci-dessus, p. 272, note 21.
  2. 3. Voyez ci-dessus, p. 497, note 44. — « Sur le bruit qu’il a fait de la régale. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.) Le manuscrit que nous suivons habituellement continue ainsi : « On parle du voyage de Flandre pour le Roi en juillet ; on dit… » Les changements de dates faits par Bussy à cette lettre et à celle du 3 juillet précédent (p. 507) rendaient cette correction nécessaire. — Le Roi partit de Saint-Germain le 13 juillet, avec la Reine, le Dauphin et la Dauphine. Voyez la Gazette du 20.
  3. 4— Dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale : « que Monsieur le Dauphin ; » à l’alinéa suivant : « en la place, » au lieu de : « à la place ; » deux lignes après : « avec sa cousine d’Estrées… ; sa fille et elle, etc. ; » un peu plus loin : « Quand la maréchale est à Paris ; » quatre lignes plus bas : « que c’est une maison ruinée. »
  4. 5. C’était un faux bruit : Monsieur et Madame partirent le 20 juillet (voyez la Gazette de ce jour), pour aller rejoindre le Roi.
  5. 6. L’évêché de Beauvais étant venu à vaquer, le 21 juillet 1679, par la mort de Choart de Buzanval, Toussaint de Forbin Janson, évêque de Marseille, y avait été transféré. — On lit dans la Gazette du 6 juillet : « Sa Majesté a nommé l’évêque comte de Beauvais et le marquis de Vitry pour ses ambassadeurs extraordinaires en Pologne. » — Sur le marquis de Béthune, voyez tome II, p. 54, note 9.
  6. 7. Une demande en partage de biens de Philippe de Longueval et d’Élisabeth de Thou, sa femme, aïeuls maternels de la comtesse de Bussy, était dirigée contre Gabrielle de Longueval, veuve du maréchal d’Estrées, contre Bernard de Longueval, seigneur de Manicamp, et contre Françoise de Longueval, chanoinesse de Remiremont, enfants d’Achille de Longueval. Un arrêt du 30 mai 1686 décida toutes les questions contestées, d’une manière favorable à la comtesse de Bussy ; mais le partage ne fut consommé que par un arrêt du 31 janvier 1689. (Note de l’édition de 1818.)
  7. 8. Marie-Thérèse de Rabutin, qui épousa par la suite le marquis de Montataire. Elle était du second lit. (Note de l’édition de 1818.)
  8. 9. Il y arriva le 21 : voyez plus haut, p. 508, note 2. — Les deux membres de phrase : « ne m’écrivez plus… car je ne serai, etc., » ne se trouvent que dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale.