Lettre 866, 1680 (Sévigné)

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1680

866. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME ET À MONSIEUR DE GRIGNAN.

À Paris, ce vendredi, jour de la Toussaint[1].

Je viens de mander à Mme de Coulanges que je suis toute décontenancée d’être à Paris dans cette saison, et que je ne m’y suis jamais trouvée à telle fête[2] : si Monsieur le Coadjuteur veut prendre ce jeu de mots pour lui[3] je le lui donne de tout mon cœur. Elle me mande[4] qu’elle a reçu une de vos lettres tellement jolie et plaisante, qu’elle ne se peut lasser de la lire ; et vous avez le courage de me mander par le même ordinaire[5] que votre style est fade, et ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de cette dame qui écrivit à M. de Coulanges dans ma lettre. Vous méritez bien d’être grondée quand vous dites de ces choses-là.

Si vous voulez, ma chère fille, que je vous parle 1680 librement et selon la droite raison, M. de Grignan devroit vous faire partir, sans attendre qu’il ait fait tout son cérémonial[6] pour l’arrivée de M. de Vendôme : cela vous jettera dans le mois de janvier, et c’est pour en mourir. M. de Vendôme s’arrête partout : il sera quelques jours à Orléans, cinq ou six à chasser avec l’archevêque de Lyon ; et vous voyez bien qu’à le recevoir, le mener à Aix, revenir[7], ce sont des tours infinis ; et c’est ne vous pas ménager que de retarder votre départ. Voilà ce que mon attention pour votre santé me fait vous écrire ; je souhaite que tout cela soit aussi inutile et aussi mal à propos que la plus grande partie des choses que l’on dit de loin, et que vous ayez déjà pris votre jour pour partir, quand vous lirez cette lettre, comme j’ai reçu[8] à Paris vos craintes que je ne passe l’hiver en Bretagne.


Mon cher Comte, après vous avoir embrassé malgré vos infidélités, c’est à vous que j’adresse ce discours. Votre amitié doit vous donner les mêmes soins et les mêmes pensées qu’à moi.


On dit que Mme de Schomberg nous quitte[9] et va demeurer au faubourg Saint-Germain. C’est une très-plaisante chose que les préparatifs que l’on fait pour observer la nouvelle liaison de Mmes de Schomberg et de la Fayette. L’abbé Têtu prétend que cette liaison fera enrager Mme de Coulanges, et il l’aime encore assez pour en être ravi. Brancas en est désespéré ; il étoit sur le sujet de Mme de Schomberg, comme s’il étoit encore à l’hôtel de Rambouillet. Si Mme de Coulanges pouvoit se venger par une amitié et une liaison avec vous, cela feroit le plus plaisant effet du monde : pour moi, je ménage mes entrées, pour récompense de mes anciens services. Ce que nous croyons, Corbinelli et moi, c’est qu’il ne manquera rien que de l’amitié à toute cette préparation. Adieu, ma chère enfant : il est tard ; je me suis laissé accabler de visites ; vous vous moquez toujours de mes prévoyances, et je suis suffoquée quand j’attends à l’extrémité.


  1. Lettre 866 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. Dans notre manuscrit : « À Paris, ce 1er novembre. »
  2. « À une telle fête. » (Éditions de 1737 et de 1754.)
  3. 3. Monsieur le Coadjuteur ne haïssoit pas de jouer quelquefois sur les mots. (Note de Perrin, 1754.)
  4. 4 Si Monsieur le Coadjuteur veut prendre cette sottise, je le lui donne de tout mon cœur. Mme de Coulanges m’écrit, etc. » (Éditions de 1737 et de 1754.)
  5. 5. « Par le même courrier. » (Ibidem.) — Notre manuscrit ne donne pas la fin de cette phrase (« et ressemble, etc. »), et s’arrête après le premier alinéa de la lettre.
  6. 6. « Qu’il ait achevé son cérémonial. » (Édition de 1754.)
  7. 7. « Revenir ensuite. » (Ibidem.)
  8. 8. « Comme je reçois, etc. » (Ibidem.)
  9. 9. L’ancienne maréchale ne songeait assurément point à quitter sa retraite du faubourg Saint-Antoine (voyez tome II, p. 141, note 7) ; il s’agit donc ici de la jeune (voyez même tome, p. 197, note 3).