Lettre 95, 1669 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 545-546).
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* 95. — DE MADAME DE GRIGNAN AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN[1].

À Paris, ce 4e juin 1669.

Je ne me suis nullement plainte du peu de régularité que vous avez eue quand je me suis mariée, et je ne sais pourquoi vous prenez soin de vous justifier. Je suis fort sure que vous avez pour moi les sentiments d’un bon parent et d’un ami ; je compte si fort là-dessus que j’ai pensé vous écrire un remercîment de la bonté que vous avez de vous intéresser si tendrement à ce qui m’arrive.

Ainsi vous pouvez ne vous pas contraindre et ne me donner des marques de votre souvenir que quand vous en aurez fort envie : je les recevrai toujours avec joie.

M. de Grignan ne vous a point écrit, et bien loin de comprendre qu’il dût commencer, il a trouvé très-mauvais que vous n’ayez pas daigné lui faire un compliment : parce qu’il s’est trouvé si heureux qu’il croyoit tout le monde obligé de le féliciter. Voilà des raisons, et je suis assez vaine pour être bien aise de vous les dire moi-même[2].


  1. Lettre 95. — i. C’est la réponse à la lettre que Bussy, un peu plus haut (n° 93), promettait d’écrire à Mme de Grignan.
  2. Bussy accompagne ces deux lettres (94 et 95) des réflexions suivantes, dans le tome III de ses Mémoires manuscrits, d’où est tiré ce billet inédit de Mme de Grignan : « Ces deux lettres me parurent fort aigres, et je n’en trouvai point d’autre raison, sinon que je m’étois moqué dans ma lettre à Mme de Sévigné (n° 93) de l’incivilité de son gendre ; et cela me fait étonner combien les passions font faire de fautes aux plus habiles, car le dépit d’un petit reproche fit écrire deux lettres ridicules par deux personnes de beaucoup d’esprit. Mon premier mouvement fut de répondre à Mme de Sévigné ; mais je fus si choqué de ses travers en cette rencontre, que je craignis de lui écrire trop vivement, et il me parut plus sage à moi de laisser tomber cette affaire. » Comparez l’introduction de la lettre suivante.