Lettre de Chapelle à Mlle de Saint-Christophle

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Lettre à Mlle de Saint-Christophe
Chapelle


LETTRE À MADEMOISELLE DE SAINT-CHRISTOPHLE.

À votre lettre en vieux gaulois
Faire réponse est difficile ;
Tant excellez en ce patois
Comme en tout autre êtes habile.
On dit ce qu’on veut dans ce style,
Et non dans notre beau françois,
Que messieurs de l’académie
Ont tant décharné, que leurs lois
L’ont fait du françois la momie,
Et rendu plus sec mille fois
Que la Faculté, sans l’Anglois1,
N’eût rendu par Phlébotomie
Ceux qu’elle et notre autre ennemie
La fièvre, depuis quatre mois,
Réduit tous les jours aux abois,
Dont face encor blême ou blêmie
Je porte, et porter bien pourrois
Jusqu’à ce que les premiers froids
M’ayent la santé raffermie.

Si pourtant vous faut-il un mot,
Illustre et rare demoiselle ;
Et pour suivre votre querelle
Et très chevaleureux complot
Contre notre langue nouvelle,
Que tient toujours sous le rabot
Une précieuse sequelle,
Vous faire en termes de Marot
Une réponse telle quelle

Et par qui vous puissiez savoir
Que votre épître incomparable
Ne vint point, par malheur, le soir,
Heure pour nous plus convenable
Et plus propre à la recevoir
Qu’à dîner, mets portés sur table ;
Puisque, dans l’ardeur de la voir,
On la lut sans s’apercevoir
Que tout devenoit immangeable,
Soupe froide et rôt sec et noir.

Or si pleinement admirée
Et par chacun remémorée
Elle fut pendant le repas,
Vous en devez être assurée
Par un oubli des meilleurs plats,
Et par du repas la durée
Si courte, qu’on n’attendit pas
Les friands mets de la contrée,
Que vous savez être muscats
Et tant d’autres fruits délicats.

Sitôt donc qu’on eut desservi,
Sans partir de la même salle,
Sur table papier on étale ;
Puis, le premier avis suivi
Que la pièce étoit sans égale,
Un chacun de nous à l’envi
La lit à part, et s’en régale
Et s’en déclare si ravi,

Que tout d’abord, et la première
Madame de la Bourdaisière,
Dont le corps gent est possesseur
De grâce, et l’esprit de lumière,
À tel point, qu’elle est singulière
À gagner d’un chacun le cœur ;
Son aimable et charmante sœur,
Qui, ma foi, ne lui cède guère ;
Sa douce et brillante héritière,
Dont l’air vif aide la douceur ;

Monsieur de la Pavillonière2
Et monsieur de la Rivaudière,
Qui ne mettront pas bien du leur
Si pour rimer leur nom prend ière ;
Le gentil et savant Molière,
Et moi, chétif rapetasseur
De cette épître familière,
Conclûmes tous en cour plénière
Que je pouvois, sans nulle peur
De passer pour un encenseur,
Vous dire, dans la foi première
Et comme on parle au confesseur,
Que votre lettre est de manière
À pouvoir, malgré tout censeur,
Parcourir notre France entière,
Depuis la picarde frontière
Et des conquêtes la dernière
Jusqu’aux monts du peuple danseur3.

Plus au long je pourrois m’étendre
Sur la chère que nous faisons
Dans cette reine des maisons,
Bien moins à vendre qu’à dépendre ;
Mais par mille bonnes raisons,
Que vous pouvez fort bien entendre,
Prudemment nous nous en taisons.
Puis, je suis contraint de me rendre
À la fièvre, qui me va prendre
Et m’envoyer à mes tisons.



1. Pensée dirigée par Chapelle contre la Faculté de Paris, au profit du chevalier Talbot, médecin qui, le premier, a introduit en France l’usage du quinquina, et qu’on désignait familièrement dans le monde sous le seul nom de l’Anglois. Voir à ce sujet plusieurs lettres de Mme de Sévigné.

2. Étienne Pavillon, de l’Académie française.

3. Le peuple danseur, c’est-à-dire les Basques. (S.-Marc.)