Lettre de Costar n°47, 1658 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 424-426).
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* 47. — DE COSTAR À MADAME DE SÉVIGNÉ[1].

Madame,

Je vous avoue que j’ai grand tort, et que vous avez raison de me vouloir du mal. Il y a quelques mois que Mme la marquise de Lavardin[2] me confia une belle lettre de la reine Christine, où Sa Majesté témoignoit qu’elle étoit éblouie comme les autres des lumières de votre esprit, et enchantée des charmes secrets qui sont en votre aimable personne. Je fus tellement touché de voir la princesse du monde la plus éclairée rendre de si glorieux témoignages de votre rare mérite, que, ne pouvant retenir ma joie au fond de mon cœur, j’en fis part à une de mes amies qui vous adore, Madame, mais qui est aussi foible que je le suis, et qui ne put s’empêcher de succomber à la même tentation que je n’avois pas eu le courage de repousser. Ainsi, Madame, la gloire de votre nom a volé plus loin que vous ne vouliez, et fait à cette heure dans l’Anjou, et peut-être même dans la Bretagne, un bruit qui vous importune[3]. En ce cas-là, cette humilité dont vous êtes si jalouse, et que vous voulez conserver au milieu d’une infinitè de qualités éclatantes qui ont bien de la peine à compatir avec elle, aura sans doute beaucoup à souffrir. Je suis cause de tout ce désordre par l’indiscrétion de mon zèle ; et ce qui m’afflige davantage en cela, c’est que le repentir de ma faute ne m’aidera pas à la réparer. Il m’est venu en pensée de vous faire demander ma grâce par Mme la comtesse de la Fayette[4] ; et je l’aurois fait, si je ne me fusse avisé que de ne m’adresser pas tout droit à vous, c’étoit vous ravir la gloire de faire une action de miséricorde. Je me promets, Madame, que je l’obtiendrai de votre bonté, et que vous ne serez pas si cruelle que de la refuser à mes très-humbles supplications. Autrement, j’ose vous déclarer que dans le désespoir où vous me mettrez, je pourrai bien me mutiner, et perdre une partie du respect que je vous dois. Votre modestie n’auroit point de plus dangereux ennemi que moi. D’abord j’apprendrois dans les provinces, ce qui n’est bien su que de la cour, que vous êtes la véritable princesse Clarinte de l’incomparable M.  de Scudéry ; et puis je remplirois de vos louanges un second volume de lettres que je donnerai au public sur la fin de cette campagne ; et enfin je célébrerois si hautement vos vertus, qu’on connoîtroit par toute la France que je serois votre admirateur passionné, quoique n’eusse point sujet d’être,

Madame,
Votre très-humble, etc.,

  1. Lettre 47 — i. Cette lettre est postérieure à la publication de la suite de la 3e partie de la Clélie, suite qui parut en 1657, et dans laquelle se trouve le portrait de Mme de Sévigné sous le nom de la princesse Clarinte : voyez la Notice, p. 318-321. Nous voyons en outre que Costar l’écrivit peu de temps avant l’impression de la seconde partie de ses Lettres, publiée en 1659. — Costar, archidiacre de l’évêché du Mans, qui dirigeait l’éducation du fils unique de la marquise de Lavardin, belle-sœur de son évêque, avait eu occasion de recevoir au Mans, en 1652, Mme de Sévigné, comme nous l’apprenons par une lettre de l’abbé Foucquet à Conrart (Manuscrits de Conrart, Biblioth. de l’Arsenal, tome IX, p. 877).
  2. Voyez la Notice, p. 158, et la note 5 de la lettre 132.
  3. « La reine Christine avait fait un grand éloge de Mme de Sévigné dans une lettre écrite à Mme de Lavardin, que celle-ci avait communiquée à Costar. Mme de Sévigné écrivit à ce dernier, pour se plaindre de la publicité qu’il avait donnée à cette lettre. C’est à cette lettre de Mme de Sévigné que répond la première des deux lettres de Costar. » (Walckenaer, tome II, p. 168.)
  4. Voyez la note 2 de la lettre 21.