Lettre de Costar n°48, 1659 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 426-428).
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48. — DE COSTAR À MADAME DE SÉVIGNÉ[1].

Madame,

Que j’aimerai toute ma vie mon sac de poil d’ours, de vous avoir rendu tant de bons services durant la gelée ! 1659 Mais, d’autre côté, j’appréhende dorénavant de le respecter un peu plus qu’il ne me seroit commode, et de n’avoir pas le cœur de mettre les pieds dedans, tant que je m’imaginerai d’y apercevoir les traces des vôtres, si bien faits, si adroits et si savants. Je pense, Madame, que tout ce que je pourrai obtenir sur moi, ce sera d’en faire faire des manchons, et encore je doute fort que j’ose y mettre les mains quand elles seront crasseuses, et que la goutte m’empêchera d’y passer l’éponge. Quoi qu’il en soit, Madame, quand mon sac me seroit devenu absolument inutile, et ne me tiendroit plus lieu que d’un ornement superflu, tant que je me souviendrai de l’aimable cause de ce changement, je n’aurai garde d’avoir regret à une perte si légère.

Je vous remercie très-humblement de vos quatre excellents portraits. Si vous étiez aussi régulière dans vos promesses de compliments, que vous l’êtes dans toutes les autres, je serois assuré que vous me feriez l’honneur de m’aimer un peu, et que vous m’estimeriez infiniment, et qu’ainsi ma fortune seroit faite, au moins en partie, car elle ne le pourroit être entièrement si vous ne retranchiez quelque chose de l’infinité de votre estime, pour en allonger votre affection, et pour la faire d’une raisonnable grandeur. Mais, Madame, il me sera plus aisé de modérer mon ambition, qu’il ne sera de la satisfaire, et dans la foiblesse où vous m’avez vu, il y aura de la prudence de choisir le plus aisé. La peinture de Mlle de Valois est la plus jolie du monde et la plus galante, et celle d’Iris n’a point reçu de louanges qu’elle ne mérite. Je croirois bien avec vous, Madame, qu’elle a été faite à plaisir ; mais je ne dirai pas comme vous : Car quel moyen d’être si parfaite[2] ? Ce car-là n’est bon que pour ceux qui ne vous virent jamais, qui ne vous ont point ouïe parler, et qui n’ont pas compris la beauté de votre esprit, sa grâce, ses charmes, sa solidité, sa douceur, et mille autres qualités qui se trouvent en vous, et qui ne se trouvent qu’en vous si bien assorties. Je sais, Madame, que vous avez sur les yeux un certain bandeau de modestie qui les empêche de voir en vous les choses comme elles y sont, et j’en suis fâché, car vous n’en êtes que plus humble, et vous en seriez plus heureuse. Souffrez, Madame, que je vous plaigne de la perte que vous y faites, et que n’ayant remarqué en vous que cela seul qui soit digne de faire pitié, je ne perde pas cette occasion de vous témoigner par ma compassion, combien je suis sensible à tout ce qui vous regarde, et par conséquent combien je suis aussi,

Madame,
Votre très-humble, etc.

J’oubliois à vous dire, Madame, que l’inconnu ne vous connoît pas assez. Je ne suis pas trop mal satisfait de ce qu’il dit de votre visage et de votre taille ; mais, bon Dieu ! s’il étoit entré bien avant dans votre âme, il y auroit bien découvert d’autres trésors que ceux dont il parle.


  1. Lettre 48. — i. « Cette seconde lettre prouve encore une liaison plus intime. Costar avait prêté à la marquise une peau d’ours, qu’elle lui avait renvoyée. Elle lui avait aussi transmis quatre portraits écrits, dont un était celui de Mlle de Valois, fille de Gaston, et un autre, le sien sous le nom d’Iris, par un inconnu. » (Walckenaer, tome II, p. 168.)
  2. Voyez dans la Notice, p. 321-323, le portrait de Mme de Sévigné que composa Mme de la Fayette sous le nom d’un inconnu. Ce portrait remonte à l’année 1659, et nous donne la date de cette seconde lettre de Costar, publiée, comme la première, cette même année 1659. Mme de Sévigné, dans une lettre à sa fille du ier décembre 1675, parle ainsi du portrait de l’inconnu : « Il vaut mieux que moi ; mais ceux qui m’eussent aimée il y a seize ans, l’auroient pu trouver ressemblant. »