Lettre de Ninon de Lenclos à Charles de Saint-Évremond (« J’apprends avec plaisir… »)

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CVII. Lettre de Ninon de Lenclos à Saint-Évremond, 1697.


MADEMOISELLE DE LENCLOS À SAINT-ÉVREMOND.
(1697.)

J’apprends avec plaisir que mon âme vous est plus chère que mon corps, et que votre bon sens vous conduit toujours au meilleur. Le corps, à la vérité, n’est plus digne d’attention, et l’âme a encore quelque lueur qui la soutient et qui la rend sensible au souvenir d’un ami, dont l’absence n’a point effacé les traits. Je fais souvent de vieux contes où M. d’Elbène, M. de Charleval, et le chevalier de Rivière, réjouissent les modernes. Vous avez part aux beaux endroits : mais, comme vous êtes moderne aussi, j’observe de ne vous pas louer, devant les académiciens qui se sont déclarés pour les anciens. Il m’est revenu un Prologue en musique, que je voudrois bien voir sur le théâtre de Paris1. La beauté qui en fait le sujet, donneroit de l’envie à toutes celles qui l’entendroient. Toutes nos Hélènes n’ont pas le droit de trouver un Homère, et d’être toujours les déesses de la beaute. Me voici bien haut : comment en descendre ? Mon très-cher ami, ne falloit-il pas mettre le cœur à son langage ? Je vous assure que je vous aime toujours plus tendrement que ne le permet la philosophie. Mme la duchesse de Bouillon est comme à dix-huit ans : la source des charmes est dans le sang Mazarin. À cette heure que nos Rois sont amis2, ne devriez-vous pas venir faire un tour ici ? Ce seroit pour moi le plus grand succès de la paix.


NOTES DE L’ÉDITEUR

1. Ce Prologue a eté conservé par Des Maizeaux, et, n’en déplaise à l’obligeance de Ninon, il est d’une médiocrité désespérante. J’ai dû l’exclure de cette édition.

2. C’étoit après la paix de Riswyck.