Lettre de Pasteur à Napoléon III (5 septembre 1867)

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Renvoi par S.M. le 7 sept.
J’ai répondu que j’étais d’accord avec Mr  Pasteur
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Paris, le 5 septembre 1867


Sire,

Mes recherches sur les fermentations et sur le rôle des organismes microscopiques ont ouvert à la chimie physiologique des voies nouvelles dont les industries agricoles et les études médicales commencent à recueillir les fruits. Mais le champ qui reste à parcourir est immense. Mon plus grand désir serait de l’explorer avec une nouvelle ardeur, sans être à la merci de l’insuffisance des moyens matériels.

Qu’il s’agisse de rechercher par une étude scientifique patiente de la putréfaction quelques principes capables de nous guider dans la découverte des causes des maladies putrides ou contagieuses, je voudrais trouver dans les dépendances d’un laboratoire assez spacieux un emplacement où l’installation des expériences pût avoir lieu commodément et sans danger pour la santé. — Comment se livrer à des recherches sur la gangrène, sur les virus, à des expériences d’inoculation, sans un local propre à recevoir des animaux morts ou vivants ? — La viande de boucherie est à un prix exorbitant en Europe : elle est un embarras à Buenos-Ayres. Comment soumettre à des épreuves variées, dans un laboratoire exigu et sans ressources, les procédés qui, peut-être, rendraient sa conservation et son transport faciles ? — La maladie, dite du Sang de rate, fait perdre annuellement à la France quatre millions de francs : il serait indispensable d’aller pendant plusieurs années sans doute, à l’époque des grandes chaleurs, passer quelques semaines dans les environs de la ville de Chartres pour s’y livrer à de minutieuses observations.

Ces recherches et mille autres qui correspondent, dans ma pensée, au grand acte de la transformation de la matière organique, après la mort, et du retour obligé de tout ce qui a vécu au sol et à l’atmosphère, ne sont compatibles qu’avec l’installation d’un vaste et riche laboratoire.

Le temps est venu l’affranchir les sciences expérimentales des misères qui les entravent. Tout nous y invite : l’excitation d’un grand règne et la nécessité de maintenir la supériorité intellectuelle de la France vis à vis des efforts de nations rivales.

Sous l’inspiration de ces généreux desseins, j’ai proposé à Son Excellence le Ministre de l’instruction publique la fondation, sous ma direction, d’un laboratoire de chimie physiologique largement doté. En chimie animale, j’essaierais de devenir le disciple de notre grand physiologiste, Claude Bernard, que la maladie arrête momentanément au milieu de ses triomphes. En chimie végétale, je poursuivrais la voie ouverte par mes travaux personnels.

J’ose espérer, Sire, que Votre Majesté daignera approuver mon projet. Il serait digne d’inaugurer la nouvelle ère de la prospérité qu’Elle réserve à l’enseignement supérieur et au progrès des sciences et de leurs applications.

Je suis, avec le plus profond respect,
Sire ;
de Votre Majesté
le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur
L. Pasteur
membre de l’académie des sciences