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Lettre de Rimbaud à Jules Andrieu - 16 avril 1874

La bibliothèque libre.
Correspondance : Arthur Rimbaud à Jules Andrieu - 16 avril 1874
(p. 1-3).

London, 16 April 74

Monsieur,

— Avec toutes excuses sur la forme de ce qui suit, —

Je voudrais entreprendre un ouvrage en livraisons, avec titre : L’Histoire splendide. Je réserve : le format ; la traduction, (anglaise d’abord) le style devant être négatif et l’étrangeté des détails et la (magnifique) perversion de l’ensemble ne devant affecter d’autre phraséologie que celle possible pour la traduction immédiate : — Comme suite de ce boniment sommaire : Je prise que l’éditeur ne peut se trouver que sur la présentation de deux ou trois morceaux hautement choisis. Faut-il des préparations dans le monde bibliographique, ou dans le monde, pour cette entreprise, je ne sais pas ? — Enfin : C’est peut-être une spéculation sur l’ignorance où l’on est maintenant de l’histoire, (le seul bazar moral qu’on n’exploite pas maintenant) — et ici principalement (m’a-t-on dit (?)) ils ne savent rien en histoire — et cette forme à cette spéculation me semble assez dans leurs goûts littéraires — Pour terminer : je sais comment on se pose en double-voyant pour la foule, qui ne s’occupa jamais à voir, qui n’a peut-être pas besoin de voir.

En peu de mots (!) une série indéfinie de morceaux de bravoure historique, commençant à n’importe quels annales ou fables ou souvenirs très anciens. Le vrai principe de ce noble travail est une réclame frappante ; la suite pédagogique de ces morceaux peut être aussi créée par des réclames en tête de la livraison, ou détachées. — Comme description, rappelez-vous les procédés de Salammbô : comme liaisons et explanations mystiques, Quinet et Michelet : mieux. Puis une archéologie ultrà-romanesque suivant le drame de l’histoire ; du mysticisme de chic, roulant toutes controverses ; du poème en prose à la mode d’ici ; des habiletés de nouvelliste aux points obscurs. – Soyez prévenu que je n’ai en tête pas plus de panoramas, ni plus de curiosités historiques qu’à un bachelier de quelques années — Je veux faire une affaire ici.

Monsieur, je sais ce que vous savez et comment vous savez : or je vous ouvre un questionnaire, (ceci ressemble à une équation impossible), quel travail, de qui, peut être pris comme le plus ancien (latest) des commencements ? à une certaine date (ce doit être dans la suite) quelle chronologie universelle ? — Je crois que je ne dois bien prévoir que la partie ancienne ; le Moyen-âge et les temps modernes réservés ; hors cela que je n’ose prévoir — voyez-vous quelles plus anciennes annales scientifiques ou fabuleuses je puis compulser ? Ensuite, quels travaux généraux ou partiels d’archéologie ou de chronique ? Je finis en demandant quelle date de paix vous me donnez sur l’ensemble Grec Romain Africain. Voyons : il y aura illustrés en prose à la Doré, le décor des religions, les traits du droit, l’enharmonie des fatalités populaires exhibées avec les costumes et les paysages, — le tout pris et dévidé à des dates plus ou moins atroces : batailles, migrations, scènes révolutionnaires : souvent un peu exotiques, sans forme jusqu’ici dans les cours ou chez les fantaisistes. D’ailleurs, l’affaire posée, je serai libre d’aller mystiquement, ou vulgairement, ou savamment. Mais un plan est indispensable.

Quoique ce soit tout à fait industriel et que les heures destinées à la confection de cet ouvrage m’apparaissent méprisables, la composition ne laisse pas que de me sembler fort ardue. Ainsi je n’écris pas mes demandes de renseignements, une réponse vous gênerait plus ; je sollicite de vous une demi-heure de conversation, l’heure et le lieu s’il vous plait, sûr que vous avez saisi le plan et que nous l’expliquerons promptement — pour une forme inouïe et anglaise —

Réponse s’il vous plait.

Mes salutations respectueuses.

Rimbaud

30 Argyle square, Euston Rd. W.C.