Je ne me suis point donné l’honneur de vous écrire, Milord, sur le régiment que le roi vous a donné1 : vous auriez eu l’honnêteté de me faire réponse : j’ai voulu vous en ôter la peine et me suis contenté de prier M. de Montandre et M. Boyer de vous assurer que personne au monde ne prendra plus de part que moi à tout ce qui vous regarde.
Venons à M. de Puyzieulx. Je trouve qu’il agit fort prudemment de suivre le méchant goût des vins de Champagne d’aujourd’hui, pour vendre les siens. Je n’aurois jamais cru que les vins de Reims fussent devenus des vins d’Anjou, par la couleur et par la verdeur. Il faut du vert aux vins de Reims : mais un vert avec de la couleur, qui se tourne en sève, quand il est mûr. La sève en est amoureuse, et on ne le boit qu’à la fin de juillet. Vous avez été amant autrefois, et peut-être croyez-vous que le terme d’amoureux est profané. Cependant c’est le terme des grands connoisseurs, des d’Olonnes, des Boisdauphins, et de votre serviteur : Coteaux autrefois fort renommés2. Jamais on n’aura d’excellents vins de montagne qu’on ne leur donne un peu de corps, quoi qu’en disent les vignerons modernes. Il faut laisser la Tocane aux vins d’Aï. Les vins de Sillery et des Roncières se gardoient deux ans, et ils étoient admirables : mais au bout de quatre mois, ce n’est encore que du verjus. On a laissé prendre un tel ascendant aux vins de Bourgogne, malgré tout ce que j’ai dit, et ce que j’ai écrit des vins de Champagne3, que je n’ose plus les nommer. Vous ne sauriez croire la confusion où j’en suis.
Que M. de Puyzieulx en fasse une petite cuve, de la façon qu’on les faisoit, il y a quarante ans, avant la dépravation du goût, et qu’il vous en envoie.
Il étoit bien jeune quand je sortis de France ; je ne laissois pas d’avoir l’honneur de le connoître, quoique mon grand commerce fût avec monsieur son père, en qui j’ai perdu un bon ami, et douze bouteilles de son meilleur vin, qu’il me faisoit donner, l’hiver, par Gautier, son marchand en Angleterre. Vous m’obligerez, Milord, de faire de grands compliments pour moi à M. de Puyzieulx, si vous lui écrivez. Je l’honore, et par le mérite de monsieur son père, et par le sien.
Je suis si touché du vôtre, que je n’ai pas besoin de rappeler celui de M. de Ruvigny, pour vous assurer que je disputerai à tout le monde les sentiments d’estime et d’amitié que l’on doit avoir pour vous. Je respecte la vertu, les bonnes qualités, la philosophie, et la capacité en toutes choses ; et c’est la profession qu’en fait, sur votre sujet, Milord, votre très-humble et très-obéissant serviteur, et petit philosophe subalterne.
1. Le roi d’Angleterre, Guillaume d’Orange, lui avoit donné un régiment des gardes hollandaises à cheval.
2. Voyez ce que nous avons dit de l’ordre des Coteaux, dans le Ier vol., p. lxxxviii, et ce qu’en dit Saint-Évremond lui-même, sup., p. 291 et 292.
3. Voy. la Lettre au comte d’Olonne, sup., p. 16 et suiv.