Lettre du 12 juin 1669 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 550-552).
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98. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Aussitôt que j’eus reçu cette lettre, j’y fis cette réponse.

À Bussy, ce 12e juin 1669.

Avant que de répondre à votre dernière lettre, ma chère cousine, je vous déclare que je suis le plus content du monde de vous, et que quand vous devriez dire encore que je suis un homme d’extrémités, je vous aimerai et je vous estimerai fort toute ma vie. Avec tout cela, trouvez bon qu’avec tout le respect et toute la douceur imaginables je justifie mon procédé.

Quoique avant et après le mariage de Mme de Grignan je m’attendisse à une lettre de Monsieur son mari, et qu’il ne m’entrât point dans la tête qu’on pût plaisanter sur cela, je n’en disois mot, espérant un jour vous en faire mes plaintes, lorsque Mme de Bussy me manda que vous lui aviez témoigné trouver étrange que je ne vous eusse point écrit après ce mariage, et particulièrement que je n’en eusse point fait de compliment à Mme de Grignan[1] ; et sur cela je vous écrivis une lettre que vous me mandez qui étoit fort badine. En effet, tout ce qui vous regardoit l’étoit extrêmement, mais vous ne sauriez disconvenir que l’article de M. de Grignan ne fût sérieux : vous pourriez le voir encore si vous aviez gardé ma lettre, et pour moi, je m’en souviens mot pour mot. Cela étant, vous savez trop bien vivre pour répondre en badinant à un endroit où on a parlé tout de bon : aussi ne l’avez-vous pas fait, et quoique vous ayez affecté un air de raillerie, vous l’avez mêlé de choses sérieuses ; comme, par exemple, quand vous me priez d’écrire à M. de Grignan pour l’amour de vous que j’aime, peut-on prendre cela comme une plaisanterie ? Non, il n’est pas possible, et il ne faut pas que vous prétendiez me persuader que je n’entends point raillerie. Je ne l’ai jamais si bien entendue que je fais, et je ne me suis jamais si peu laissé aller au chagrin que la fortune m’a voulu donner ; mais surtout je n’ai jamais eu tant de disposition à vous aimer que j’en ai, je n’oserois plus dire ce terrible mot d’éperdument, mais à vous bien aimer. Au nom de Dieu, ma chère cousine, ne me donnez pas sujet de la vouloir changer[2].


  1. Lettre 98. — i. Voyez l’introduction de la lettre 93.
  2. En réponse à l’addition que nous avons reproduite dans la dernière note de la lettre précédente, Mme de Coligny a ajouté ce qui suit : « Voilà la dernière lettre que j’ai écrite au Roi. J’avois oublié de vous l’envoyer. Le cas que vous en faites m’en donne bonne opinion. »