Lettre du 18 mars 1676 (Sévigné)

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516. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ, ET DE LA PETITE PERSONNE SOUS LA DICTÉE DE MADAME DE SÉVIGNÉ, À MADAME DE GRIGNAN..
Aux Rochers, mercredi 18e mars.

Ma chère enfant, je ne veux pas forcer ma main ; c’est pourquoi voici le petit secrétaire.

Je vous apprendrai donc que, ne sachant plus que faire pour mes mains, Dieu m’a envoyé M. de Villebrune[1], 1676qui est très-bon médecin : il m’a conseillé de les faire suer, et tout à l’heure je l’ai fait à la fumée de beaucoup d’herbes fines ; je suis assurée que ce remède est le meilleur, et que cette transpiration est la plus salutaire. Je ne pars que mardi, à cause de l’équinoxe que Villebrune m’a dit qu’il falloit laisser passer ici, et m’a donné cent exemples : enfin je n’ai que Villebrune dans la tête. Je crois que la bonne princesse s’en va voir Madame sur la mort de Monsieur de Valois[2]. L’affaire de mon fils n’est point encore finie.

Le mariage de M. de Lorges me paroît admirable[3] ; j’aime le bon goût du beau-père. Mais que dites-vous de Mme de la Baume, qui oblige le Roi d’envoyer un exempt prendre Mlle de la Tivolière d’entre les mains de père et mère, pour la mettre à Lyon chez une de ses belles-sœurs ? On ne doute point qu’en s’y prenant de cette manière, elle n’en fasse le mariage avec son fils[4]. J’avoue que voilà une mère à qui toutes les autres doivent céder. Cela est un peu ridicule de vous dire les nouvelles de Lyon, mais je voulois vous parler de cette affaire. Je n’ai point eu l’oraison funèbre de M. Fléchier : est-il possible qu’il puisse contester contre Monsieur de Tulle ? Je dirois là-dessus un vers du Tasse[5], si je m’en souvenois.

1676Adieu, ma très-chère : le beau temps continue ; si je n’étois poule mouillée, je regretterois les Rochers ; mais puisque je crains le serein, et qu’il faudroit passer toutes les belles soirées dans ma chambre, les longs jours me feroient mourir d’ennui, et je m’en vais. Il faut une grande santé pour soutenir la solitude et la campagne ; quand je l’avois, je ne craignois rien, mais présentement je crains les vapeurs de la rate.

Je vous embrasse, ma très-chère, et le Comte. Je suis si lasse de cette chienne d’écriture que, sans que vous croiriez mes mains plus malades, je ne vous écrirois plus que je ne fusse guérie[6]. Cette longueur est toute propre à mortifier une créature, qui, comme vous savez, ne connoît quasi pas cette belle vertu de patience ; mais il faut bien se soumettre quand Dieu le veut. C’est bien employé, j’étois insolente : je reconnois de bonne foi que je ne suis pas la plus forte. Excusez, ma fille, si je parle toujours de moi et de ma maladie. Je vous promets qu’à Paris je serai de meilleure compagnie : c’est encore une de mes raisons d’y aller, pour désemplir un peu ma tête de mol et de mes maux passés ; les Rochers sont tout propres à les conserver dans la mémoire, quoiqu’il y fasse très-beau ; mais je veux espérer de vous voir quelque jour dans ce nido paterno[7].



  1. LETTRE 516. — Voyez la lettre du 3 juillet suivant.
  2. Alexandre-Louis d’Orléans, duc de Valois, fils du deuxième mariage de Monsieur, mort dans la nuit du 15 au 16 mars 1676, âgé de près de trois ans.
  3. Voyez la note 2 de la lettre du 8 avril suivant, p. 395
  4. Le comte, depuis maréchal, fils de Mme de la Baume de Tallard, épousa en effet, au mois de décembre 1677, Mlle de la Tivolière (Marie-Catherine de Grolée de Viriville la Tivolière).
  5. Celui-ci peut-être, qui termine la stance xiv du IIIe chant
    xxxxxxxxxxxxxxxx Uom di gran possa,
    Ma non già tal ch’a lei resister possa ;
    « homme de grande puissance, mais non tel pourtant qu’il lui puisse résister. »
  6. Ceci prouve que la lettre n’est pas tout entière de la main du petit secrétaire ; mais Mme de Sévigné ne nous dit pas à quel endroit elle a pris la plume.
  7. « Dans ce nid paternel. » Voyez, p. 269, la note 3 de la lettre du 11 décembre précédent ; p. 305, note 8 ; et la Notice, p. 37.