Lettre du 25 décembre 1664 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 479-481).
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66. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Jeudi au soir (25e décembre[1]).

Enfin la mère, la belle-fille et le frère ont obtenu d’être ensemble : ils s’en vont à Montluçon, au fond de l’Auvergne[2]. La mère avoit permission d’aller au Parc-aux-Dames avec sa fille ; mais sa belle-fille l’entraîne. Pour M. et Mme de Charost, ils sont partis pour Ancenis. Pecquet et Lavalée sont encore à la Bastille. Y a-t-il rien au monde de si horrible que cette injustice ? On a donné un autre valet de chambre au malheureux. M. d’Artagnan est sa seule consolation pendant le voyage. On dit que celui qui le gardera à Pignerol est fort honnête homme. Dieu le veuille ! ou pour mieux dire encore, Dieu le garde ! Il l’a protégé si visiblement, qu’il faut croire qu’il en a un soin particulier. La Forêt[3] l’aborda comme il s’en alloit ; il lui dit : « Je suis ravi de vous voir, je sais votre fidélité et votre affection. Dites à nos femmes qu’elles ne s’abattent point, que j’ai du courage de reste, et que je me porte bien. » En vérité, cela est admirable. Adieu, mon cher Monsieur, soyons comme lui, ayons du courage, et ne nous accoutumons point à la joie que nous donna l’admirable arrêt de samedi.

Mme de Grignan est morte.

Vendredi au soir (26e décembre).

Il semble par vos beaux remerciements que vous me donniez mon congé, mais je ne le prends pas encore. Je prétends vous écrire quand il me plaira, et dès qu’il y aura des vers du Pont-Neuf[4] et autres, je vous les enverrai fort bien. Notre cher ami est par les chemins. Il a couru un bruit ici qu’il étoit bien malade. Tout le monde disoit : « Quoi ! déjà ? » On disoit encore que M. d’Artagnan avoit envoyé demander à la cour ce qu’il feroit de son prisonnier malade, et qu’on lui avoit répondu durement qu’il le menât toujours, en quelque état qu’il fut. Tout cela est faux ; mais on voit par là ce que l’on a dans le cœur, et combien il est dangereux de donner des fondements sur quoi on augmente tout ce qu’on voit. Pecquet et Lavalée sont toujours à la Bastille. En vérité, cette conduite est admirable. On recommence la chambre après les Rois.

Je crois que les pauvres exilées sont arrivées présentement à leur gîte. Quand notre ami sera au sien, je vous le manderai, car il le faut mettre jusqu’à Pignerol, et plût à Dieu que de Pignerol nous le pussions faire revenir où nous voudrions bien[5] ! Et vous, mon pauvre Monsieur, combien durera encore votre exil[6] ? J’y pense bien souvent. Mille baisemains à Monsieur votre père. On m’a dit que Madame votre femme est ici, je l’irai voir. Je soupai hier avec votre amie ; nous parlions de vous aller voir[7].


  1. Lettre 66. — i. Dans l’édition de 1756, qui est la première des Lettres à Pompone, et dans toutes celles qui l’ont suivie, la lettre 66 a la date suivante : Jeudi au soir janvier 1665. C’est évidemment une erreur. Les mots l’arrêt de samedi ne peuvent avoir qu’un sens : l’arrêt de samedi dernier. Or, ce samedi dernier, c’est le 20 décembre. Le jeudi est donc le 25 du même mois. Mme de Sévigné avait mis simplement, comme nous le voyons par la copie Amelot, Jeudi au soir, sans indiquer ni le mois ni l’année. Ce qui achève de confirmer notre conjecture, c’est la mention de la mort de Mme de Grignan. Angélique-Clarice d’Angennes, première femme du comte de Grignan (voyez la Notice, p. 106), est morte le 22 décembre 1664, comme on le voit dans le Dictionnaire de Moréri, à l’article Angennes, et non en janvier 1665, comme il est dit dans le même ouvrage à l’article Grignan.
  2. Voyez la note 3 de la lettre précédente.
  3. L’écuyer de Foucquet. Il est raconté plus loin, dans la note 7 de la lettre du 25 juin 1670, comment il fut victime, quelques années après, de son dévouement à son ancien maître. — On lit dans toutes les éditions, ainsi que dans nos deux copies : « La Forêt, son défunt écuyer, l’aborda. » Ces mots : son défunt écuyer, sont une note qui s’est glissée dans le texte. Nous avons signalé plusieurs additions du même genre dans la copie de Troyes : pour le pseudonyme Puis, par exemple ; pour Sapho, etc. Dans la lettre précédente encore le nom de Saint-Mars est suivi de son titre futur, « depuis gouverneur de la Bastille. »
  4. On appelait vers du Pont-Neuf ou ponts-neufs tout court, des chansons populaires sur des airs très-connus. On en composa un grand nombre sur le procès de Foucquet. On peut voir, entre autres, un long noël de vingt-cinq couplets inséré dans le tome II, p. 41, du Nouveau siècle de Louis XIV (Paris, 1793,4 vol. in-8).
  5. Foucquet mourut prisonnier à Pignerol, le 23 mars 1680.
  6. Une lettre de cachet du 2 février suivant permit à Pompone de revenir à Paris, et il y revint en effet le 3. Voyez, à la suite des Mémoires de Coulange, sa lettre à son père du 4 février 1665.
  7. Cette dernière phrase manque dans la copie Amelot.