Lettre du 26 février 1676 (Sévigné)

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507. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ, ET DE LA PETITE PERSONNE SOUS LA DICTÉE DE MADAME DE SÉVIGNÉ, À MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, mercredi 26e février.
de madame de sévigné.

J’attends avec impatience, ma chère fille, mes lettres de vendredi ; il me faut encore cette confirmation de votre chère et précieuse santé. Je vous embrasse tendrement, et vais vous dire le reste par mon petit secrétaire.

de la petite personne, sous la dictée
de madame de sévigné.

Je ne vous parle plus de ma santé ; elle est très-bonne, à la réserve de mes mains que j’ai toujours enflées : si l’on écrivoit avec les jambes[1], vous recevriez bientôt mes grandes lettres ; en attendant, ma chère fille, je quitte les pensées de ma maladie, pour m’occuper de celles qui me sont venues de Provence ; elles en sont assez capables ; et, pourvu que votre bonne santé continue, j’aurai assez de sujet de remercier Dieu. Nous avons ici un temps admirable ; cela me fortifie, et avance mon voyage de Paris.

L’on me mande que Monsieur le Prince s’est excusé de servir cette campagne[2] : je trouve qu’il fait fort bien. 1676M. de Lorges est enfin maréchal de France[3] : n’admirez-vous point combien il en auroit peu coûté de lui avancer cet honneur de six ou sept mois ? Toutes mes lettres ne sont pleines que du retour de M. et de Mme de Schomberg[4] : pour moi, je crois qu’il ira en Allemagne. Tout le monde veut aussi que je sois en état de monter en carrosse, depuis que j’ai appris votre heureux accouchement : il est vrai que c’est une grande avance que d’avoir l’esprit en repos : j’espère l’avoir encore davantage, quand j’aurai mes secondes lettres.

Adieu, ma très-chère et très-parfaitement aimée. Mon fils s’en va à Paris pour tâcher de conclure une affaire miraculeuse, que M. de la Garde a commencée avec le jeune Viriville[5], pour vendre le guidon. J’aime la Garde de tout mon cœur, je vous prie d’en faire autant, et de lui écrire pour le récompenser de l’obligation que je lui ai. J’ai encore ici la bonne Marbeuf, qui m’est d’une consolation incroyable. Adieu, mon enfant.



  1. LETTRE 507. — « Avec les pieds. » (Édition de 1754.)
  2. Le Roi ayant nommé Condé général de l’armée d’Alsace, le Prince le pria de lui associer son fils le duc d’Enghien. Le Roi répondit froidement qu’il y penseroit. Plus tard le maréchal de Rochefort ayant laissé bloquer Philisbourg, le Roi pressa encore une fois Condé de marcher en Alsace, et affecta de se taire sur le duc d’Enghien. Le Prince répondit modestement que dans l’état où était réduite sa santé, le fardeau surpassait ses forces. Il cita le connétable Wrangel, dont les infirmités avaient été si funestes à son roi et à lui-même. Le Roi ne répliqua point, et Luxembourg se rendit bientôt à l’armée d’Alsace, dont il avait été nommé général. Voyez Desormeaux, Histoire de Louis Il, prince de Condé, livre IX.
  3. Sa nomination est du 21 février. La Gazette l’annonce en ces termes, à la date de ce jour, sous la rubrique de Saint-Germain en Laye : « Le Roi, en considération des services très-importants que le comte de Lorges a rendus en plusieurs occasions, avec une capacité, un courage et un succès extraordinaire, l’a honoré du bâton de maréchal de France. »
  4. Le maréchal de Schomberg avait commandé l’armée du Roussillon pendant la campagne précédente.
  5. Nous avons déjà vu ce nom au tome III, avec une orthographe un peu différente (Virville) : voyez la p. 235, et la note 3.
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