Lettre du 2 juillet 1650 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 368-369).
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17. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

L’hiver de 1649, les princes de Condé, de Conti et de Longueville ayant été arrêtés par ordre du Roi et menés au bois de Vincennes, leurs partisans prirent les armes. L’engagement où j’étois alors dans la recherche de Mlle de Bouville (il l’épousa en mai 1650) m’empêcha heureusement de me trouver dans Bellegarde, qui ne fit pas d’honneur à ceux qui défendirent cette place. Mais quinze jours après que je fus marié, nous nous en allâmes, Tavannes, Chastelux et moi, nous jeter dans Montrond[1], d’où j’écrivis, un mois après, cette lettre à la marquise de Sévigné.

Au camp de Montrond, ce 2e juillet 1650.

Je me suis enfin déclaré : je vous l’avois bien dit, ma belle cousine ce n’a as été sans de grandes répugnances ; car je sers contre mon Roi un prince qui ne n’aime pas. Il est vrai que l’état ou il est me fait pitié ; je le servirai donc pendant sa prison comme s’il m’aimoit, et s’il en sort jamais, je lui remettrai sa lieutenance, et je le quitterai aussitôt.

Que dites-vous de ces sentiments-là, Madame ? Ne les trouvez-vous pas grands et nobles ?

Au reste, écrivons-nous souvent ; le Cardinal n’en saura rien ; et au pis aller, si on vous envoie une lettre de cachet, il est beau à une femme de vingt ans d’être mêlée dans les affaires d’État. La célèbre Mme de Chevreuse n’a pas commencé de meilleure heure. Pour moi, je vous l’avoue, ma belle cousine, j’aimerois assez à vous faire faire un crime, de quelque nature qu’il fût.

Quand je songe que nous étions déjà l’annèe passée dans des partis différents, et que nous y sommes encore aujourd’hui, quoique nous en ayons changé, je crois que nous jouons aux barres. Cependant votre parti est toujours le meilleur ; car vous ne sortez point de Paris, et moi je vais de Saint-Denis à Montrond, et j’ai peur qu’à la fin je n’aille de Montrond au diable.

Pour nouvelles, je vous dirai que je viens de défaire le régiment de Saint-Aignan[2]. Si le mestre de camp y avoit été en personne, je n’en aurois pas eu si bon marché. Le sieur de Launay Lyaiss[3] vous dira la vie que nous faisons. C’est un garçon qui a du mérite, et que par cette considération je servirai volontiers ; mais la plus forte sera parce que vous l’aimez, et que je croirai vous faire plaisir.


  1. Lettre 17. — i. Château fort, situé dans le Bourbonnais, près de Saint-Amand (Cher), et appartenant au prince de Condé.
  2. François de Beauvillier, septième comte de sa famille, et premier duc de Saint-Aignan (1663), père du duc de Beauvillier ami de Fénelon. Le titre de mestre de camp désignait alors le commandant d’un régiment.
  3. Voyez la note 2 de la lettre 8.