Lettre du 3 octobre 1661 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 429-431).
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1661

* 49. — DE CHAPELAIN À MADAME DE SÉVIGNÉ.

À Paris, ce 3e Octobre[1] 1661.

Qu’est-ce donc que cela, ma très-chère ? N’étoit-ce pas assez de ruiner l’État et de rendre le Roi odieux à ses peuples par les charges énormes dont ils étoient accablés, et de tourner toutes ses finances en dépenses impudentes et en acquisitions insolentes qui ne regardoient ni son honneur ni son service, et au contraire qui alloient à se fortifier contre lui, et à lui débaucher ses sujets et ses domestiques ? Falloit-il encore, pour surcroît de dérèglement et de crime, s’ériger un trophée des faveurs ou véritables ou apparentes de la pudeur de tant de femmes de qualité, et tenir un registre honteux de la communication qu’il avoit avec elles, afin que le naufrage de sa fortune emportât avec lui leur réputation[2] ? Est-ce, je ne dis pas être honnête homme, comme ses flatteurs, les Scarron, les Pellisson, les Sapho[3], et toute la canaille intéressée, l’ont tant prôné, mais homme seulement, de ceux qui ont seulement la moindre lumière et qui ne tout pas profession de brutalité ? Je ne me remets point de cette lâcheté si scandaleuse, et je n’en serois guère moins irrité contre ce misérable quand vous ne vous trouveriez point sur ses papiers. Car, comme je l’apprends des mieux informés, vos billets, tout civils qu’ils soient, ne donnent aucun juste sujet de les interpréter à votre désavantage, et ne parlent que de la reconnoissance que vous avez du bien qu’il a procuré à Monsieur votre cousin[4]. J’en avois même juré avant que l’on me l’eût assuré, et pour imprimer fortement l’opinion de votre pureté, qui vous est tant due, j’ai battu la campagne contre mon ordinaire, et au milieu de mes pertes et de mes morts, j’ai couru tous les réduits où l’on a créance en mes paroles, pour y soutenir votre justice et pour éclaircir tout le monde peu charitable de l’occasion si louable qui vous a quelquefois obligée à lui écrire des billets. Je m’y suis signalé, n’en doutez point et en suis toujours sorti à ma gloire et à la vôtre par la force de la vérité et par la vigueur de mes paroles. Ne m’en sachez pas pourtant qu’un gré médiocre. Je n’y ai pas trouvé de résistance et m’a toujours semblé qu’avec moins de chaleur même, j’aurois obtenu ce que je désirois de ceux qui m’écoutoient. Je n’ai pas été le seul à vous rendre ce devoir. Vous n’avez point d’amis qui n’aient combattu pour votre cause, et vous en pouvez vivre et dormir en repos. Je n’ai pas voulu être le premier à vous en parler, et j’ai mieux aimé vous servir que de vous en donner la nouvelle[5].


  1. Lettre 49. — i. Dans le manuscrit d’où cette lettre est tirée il y a septembre au Lieu d’octobre. C’est évidemment une faute, puisque Foucquet ne fut arrêté que le 5 septembre. Voyez la note suivante.
  2. On avait saisi à Saint-Mandé les cassettes du surintendant Foucquet, qui avait été arrêté à Nantes le 5 septembre 1661. Ces cassettes enfermaient, outre les papiers politiques, beaucoup de lettres galantes. Parmi ces dernières, et (tout le prouve) ce n’était point leur place, s’étaient aussi trouvées des lettres de Mme de Sévigné. — Voyez les lettres suivantes, à Ménage et à Pompone, et la Notice biographique, p. 67 et suiv.
  3. On sait que le nom de Sapho désigne Mlle de Scudéry. Elle avait fait elle-même son portrait sous ce nom dans le Grand Cyrus (tome X, livre II, p. 554 et suivantes).
  4. Au marquis de la Trousse, dont Chapelain avait été le précepteur et dont toutes les affaires lui étaient confiées : voyez la lettre suivante. Mme de Sévigné avait eu aussi occasion de remercier Foucquet pour un autre cousin, le comte de Bussy.
  5. M. Mesnard dit avec raison au sujet de toute cette lettre de Chapelain : « Mme de Sévigné fut sans doute reconnaissante de son zèle ; mais nous doutons qu’elle ait été contente de sa lettre. Elle ne devait pas aimer qu’on parlât d’un ami malheureux avec une sévérité qui allait jusqu’à l’outrage, et qu’on traitât Scarron, Pellisson, et Mlle de Scudéry de canaille intéressée. » (Notice biographique, p. 68 et suivantes.)